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Point de vue
À qui appartient la Terre ?

Par Huey D. Johnson

Photo/PNUE

« La loi sanctionne l’homme ou la femme
Qui vole une oie dans un terrain public,
Mais laisse en liberté le coupable
Qui vole le terrain à l’oie. »
- Anonyme
La « durabilité » est un terme conçu pour établir un processus de croissance qui améliorerait la qualité de la vie du monde entier. Les efforts menés au niveau mondial visent à équilibrer les considérations environnementales et sociales ainsi que l’efficacité économique car, sans cet équilibre, elles donnent souvent naissance à des conflits. Or, la dimension économique a pris le pas sur les aspects environnementaux et sociaux, limitant le succès de la durabilité en tant que concept.

Alors que l’économie en soi est un instrument utile, la priorité donnée à la performance économique mondiale a placé au second plan la qualité de l’environnement, les valeurs culturelles, le patrimoine humain et les droits de l’homme. C’est ainsi que le patrimoine humain a été ignoré pendant que les industries privées, intéressées par le profit, ont eu carte blanche pour puiser dans les ressources naturelles et durables telles que l’air et l’eau. La logique du profit et de la privatisation ont causé des dégâts environnementaux et une baisse de la qualité de la vie qui aura des effets sur l’existence de tous. Le temps est venu de mesurer les résultats de la domination économique dans l’espoir d’instaurer un meilleur équilibre.

Ma critique de l’économie s’appuie sur mon expérience personnelle et professionnelle. J’ai travaillé, étudié et voyagé dans de nombreuses régions du monde afin de comprendre la relation entre patrimoine et politique environnementale. Tout aussi important, j’ai travaillé avec succès dans un environnement économique libéral très compétitif. Soucieux de l’avenir des générations futures, j’avais choisi de m’engager dans d’autres directions; maintenant que j’ai des petits-enfants, mes inquiétudes sont d’autant plus vives. D’ailleurs, j’en suis venu à conclure qu’il était impossible de soutenir la croissance économique comme politique mondiale sans plan ou sans limites et avec une augmentation de la consommation aussi importante. En fait, une telle politique constitue une menace pour notre avenir.

Il y a quelques années, j’ai entrepris, seul, un voyage de deux ans autour du monde pour mieux comprendre les nations, les cultures et leur histoire. Mes conclusions ont été à la fois négatives et positives. J’ai constaté que la plupart des conflits dans l’histoire de l’humanité ont été, et sont toujours, fondés sur la concurrence en matière d’exploitation des ressources naturelles. Mais il y a de nombreux exemples où, par le passé, les hommes ont trouvé des solutions à des problèmes qui devaient alors être difficiles. Ces expériences ont évolué au fil du temps pour devenir notre culture.

J’ai dirigé une organisation environnementale gouvernementale qui disposait d’un budget annuel d’un milliard de dollars et je me suis occupé de la gestion de la sécheresse, des inondations et des incendies. J’avais une importante responsabilité en matière de réglementation et j’ai établi un programme de coopération réussi avec les industries dans les domaines de l’énergie, de l’eau, des forêts, de la pêche et de questions connexes. J’ai été militant écologique pendant quarante ans. En 2001, le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) m’a décerné le Prix Sasakawa pour l’environnement. Ce prix, décerné par un comité international de l’ONU et du PNUE, fut le couronnement de ma carrière.

Le monde fait face à de grands défis. L’un des problèmes les plus importants est la gestion et la distribution des ressources naturelles - en de nombreuses façons, ce sont ces mêmes problèmes que la Rome antique n’était pas parvenue à résoudre mais qui existent actuellement à l’échelle mondiale. Cet article, qui se penche sur la question cruciale de la croissance économique au détriment de la santé de l’environnement et de la qualité sur la Terre, me paraît opportun. Pour moi, cette époque du « tout économique » représente un autre chapitre de l’histoire de l’humanité.

La domination économique de ces dernières années pose trois problèmes. Le premier est la tentative de privatisation - la prise de contrôle des biens publics, tels que l’eau et l’air, qui est en conflit avec la loi et la tradition. En effet, dans ce contexte de performance économique, les questions sociales et les revendications historiques pour la préservation des biens publics appelée la « doctrine du mandat public » sont largement ignorées. Cette doctrine embrasse les traditions culturelles qui sont profondément enracinées dans l’humanité.

La présence d'un grand nombre de réfugiés aggrave les pressions exercées sur les ressources en eau limitées. Ceux-ci peuvent être amenés à utiliser de l'eau contaminée, ce qui présente un risque sérieux pour leur santé. (Photo HCR/C. Sattlberg)
Poursuivre une logique de profit tout en ignorant les traditions est une forme de naïveté. Les tentatives de privatisation des biens publics sont une menace pour les générations futures. L’air et l’eau ont une valeur monétaire considérable et, une fois privatisés, ils généreront d’importants profits. En conséquence, la question de savoir à qui revient le droit de disposer de l’air, de l’eau et de la terre mérite d’être posée et est essentielle au débat sur le commerce mondial.

Le problème de la relation entre l’économie cherchant à écraser la culture et la tradition n’est pas nouveau. Déjà, dans la Grèce et la Rome antiques, des lois existaient : les premières lois de la Rome antique ont été élaborées pour protéger l’accès public aux ressources naturelles. Elles prévoyaient que l’accès public à l’air, aux eaux navigables et à l’eau était fondamental pour la société civique et que les droits privés de propriété ne pouvaient pas interférer. Ces concepts ont émergé au fil des ans pour devenir des lois de la société moderne. Les tribunaux ont été saisis, à maintes reprises, d’affaires relatives à cette question et, aujourd’hui, les nouvelles technologies et le commerce mondial, en particulier les tentatives de privatisation, ravivent les menaces passées.

La politique économique fondée sur le profit ignore les valeurs importantes du patrimoine humain qui sont inestimables car elles sont le fruit de l’expérience humaine. Elles sont importantes pour la qualité de la vie. Bon nombre de ces traditions ont évolué au cours du temps lorsque le rythme des changements n’était pas aussi rapide et qu’il était possible de trouver une solution aux problèmes. Mais, de nos jours, les changements sont rapides et le rythme ne fait que s’accélérer. La technologie de pointe et la dimension mondiale de l’économie de marché nous incitent à dépasser la réalité.

Le deuxième problème a trait à l’échec des politiques économiques étroites actuelles motivées par le profit à faire face aux problèmes environnementaux, tels que les pénuries, la pollution et les changements climatiques. Par exemple, l’effet néfaste sur la santé humaine de la baisse de la qualité de l’eau ou du réchauffement de la planète ainsi que de l’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère causée par la combustion de combustibles fossiles.

Enfin, la logique du profit est si forte partout que les économistes ont pénétré tous les secteurs du gouvernement et de l’industrie ainsi que le secteur à but non lucratif, alors qu’une grande partie de l’activité économique non réglementée cause des dégâts à l’environnement.

Un exemple évident de l’influence des intérêts économiques sur les efforts menés à l’échelle internationale afin de réaliser un développement durable a été récemment mis en avant dans le journal scientifique britannique, New Scientist. En 1972, la première Conférence sur l’environnement humain, réunie à Stockholm, avait pour objectif de promouvoir les efforts mondiaux afin de réaliser le développement durable et créer une nouvelle organisation des Nations Unies pour l’environnement. Dans le cadre de la Conférence, j’ai travaillé avec Barbara Ward et Margaret Meade. Celles-ci avaient été informées que des intérêts économiques puissants sapaient nos efforts. Mais nous avons dû attendre janvier 2002 pour pouvoir le prouver.

Selon l’article du New Scientist, « un groupe secret de nations développées conspirait à limiter l’efficacité de la première Conférence de l’ONU sur l’environnement humain de 1972 ». Les dossiers du gouvernement britannique couvrant les trente dernières années et rendant compte des activités de ce groupe ont été communiqués, tel que l’exige la loi, au début de 2002. Connu sous le nom de Groupe de Bruxelles, qui comprenait la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la France, il s’est réuni dans le secret en 1971 pour influencer les résultats de la Conférence. Un document rédigé en 1971 par un responsable du Département de l’environnement britannique faisait état de la position du groupe : « Nous devons éviter la création d’une nouvelle organisation internationale coûteuse, mais la mise en place d’un mécanisme de coordination central, réduit et efficace [...] n’est pas souhaitable, bien que ce soit probablement inévitable. » Il est certain que les résultats de la Conférence ont été limités et que nos adversaires disposaient de fonds importants. Tout est clairement expliqué dans le document.

Les économistes répondent aux questions ayant trait à la propriété publique des ressources naturelles en faisant remarquer que le monde moderne, face à l’explosion démographique, sera mieux à même d’améliorer la qualité de la vie en utilisant les avancées technologiques et en appliquant la politique économique. Leur argument n’est pas à négliger. Des ressources financières sont nécessaires pour réaliser le développement durable et il est donc important de s’allier à des partenaires économiques. Le manque d’argent alloué au développement est problématique mais il est possible d’obtenir des capitaux de façons innovantes. Par exemple, une taxe écologique mondiale sur les combustibles fossiles pourrait générer les fonds requis et permettre de contrôler les émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

« L’échec de la théorie économique comme dispositif de politique publique indique un problème très sérieux. »



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