UN Chronicle Online

Dans ce numéro
Archives
Anglais

Contactez-nous
Abonnez-vous
Liens
Première personne
La diplomatie : Trop importante pour être laissée aux hommes ?

Par Akmaral Arystanbekova

Article tiré de la revue bimensuelle Bulletin des Nations Unies, décembre 1948. Le Bulletin a précédé la revue actuelle, la Chronique ONU. Les lecteurs attentifs auront remarqué les mœurs de l’époque; au centre de l’article, la représentante Eleanor Roosevelt, connue aujourd’hui dans le monde entier, est appelée " Mme Franklin D. Roosevelt ".

Parmi les délégués de 50 pays qui ont signé la Charte de l’ONU le 26 juin 1945 à San Francisco figuraient quatre femmes : Virginia Gildersleeve (États-Unis), Bertha Lutz (Brésil), Wu Yi-fang (Chine) et Minerva Bernardino (République dominicaine). J’ai rencontré Mme Bernardino, au siège de l’ONU à New York, lors de la remise du prix Franklin and Eleanor Roosevelt Institute par la première dame des États-Unis, Hillary Clinton. Mme Bernardino avait été Représentante permanente de son pays auprès de l’ONU pendant de nombreuses années. " J’ai lutté pour les droits des femmes, a-t-elle dit lors de son allocution, et je continue. " Elle a participé activement au mouvement en faveur du droit de vote des femmes en Amérique latine et a poursuivi sa lutte pour que les femmes obtiennent des droits égaux au sein de la nouvelle Organisation, considérant qu’il était essentiel que les textes internationaux mettent l’accent non seulement sur les droits de l’homme mais aussi sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

Kathleen Telsh raconte dans son livre, A Global Affair: An inside Look at the United Nations : " Un jour, le Président de la session de l’Assemblée générale s’est adressé aux femmes déléguées en les appelant "Chères Mesdames" au lieu de "Chères déléguées". Mme Bernardino l’a aussitôt interrompu et a demandé à l’assemblée de déposer une motion de procédure. " Vous pouvez nous appeler Mesdames lorsque vous nous offrez un café ou un thé ou lorsque vous nous invitez à déjeuner. Ici, nous sommes des déléguées, et nous vous demandons de vous adresser à nous comme tel ", a-t-elle dit.

Certaines femmes ont laissé leurs marques dans l’histoire de l’ONU, en particulier Eleanor Roosevelt, qui s’est prononcée en faveur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais seulement deux femmes ont été élues Présidentes de l’Assemblée générale : la première, lors de la huitième session, en 1953, fut Vijaya Lakshimi Pandi, Représentante permanente de l’Inde dont le nom figurait sur la liste des candidats au poste de Secrétaire général des Nations Unies lorsque le premier Secrétaire général Trygve Lie a démissionné en octobre 1952. Puis, en 1969, la Représentante permanente du Liberia, Angie E. Brooks, qui fut élue Présidente de la vingt-quatrième session.

En tant que première Représentante permanente du Kazakhstan, je fus la quatrième femme parmi les 176 ambassadeurs. Les trois autres représentaient le Liechtenstein, la Jamaïque et le Canada. Lorsque j’apparaissais aux côtés de Louise Fréchette, Ambassadrice du Canada auprès des Nations Unies, elle ne manquait jamais de faire cette réflexion : " Vous avez devant vous exactement la moitié des ambassadrices auprès de l’ONU. " Et puisque j’étais la seule ambassadrice d’Asie, l’Ambassadeur de Chine me disait souvent : " Vous représentez toutes les femmes asiatiques, y compris les femmes chinoises. " Comme moi, Claudia Fritsche, Ambassadrice du Liechtenstein, n’avait pas de collègues, et nous disions souvent en plaisantant que nous menions une " mission d’une personne ", même si l’on ne pouvait trouver quelqu’un de mieux informé parmi les ambassadeurs de l’ONU. Plus tard, la Trinité-et-Tobago et la Finlande ont nommé des Représentantes permanentes.

Il me semble qu’un tournant décisif a eu lieu au début des années 1990 avec la nomination d’un plus grand nombre de femmes au poste de Représentant permanent auprès des Nations Unies. Les circonstances objectives et les capacités des femmes ambassadeurs ont joué un rôle en la matière. Le 1er février 1993, Madeleine Albright a pris ses fonctions de Représentante permanente des États-Unis auprès de l’ONU. À cette occasion, l’Ambassadeur russe, Yuli Vorontsov, a offert un déjeuner aux Représentants permanents des États Membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Il m’a invitée, a-t-elle dit, non seulement en qualité de Représentante de mon pays mais aussi en qualité de représentante des ambassadrices auprès de l’ONU. Lorsque j’ai rencontré Mme Albright pour la première fois, je lui ai dit : " Nous sommes six ambassadrices, vous êtes la septième - j’espère que nous ferons du bon travail ensemble. " Elle m’a remerciée et a répondu : " Dites à nos collègues que je vais bientôt toutes vous inviter à mon premier déjeuner officiel à l’ONU. " Et elle a tenu sa promesse. Deux semaines plus tard, elle organisait un déjeuner en l’honneur des ambassadrices. Elle avait invité la presse et The International Herald Tribune a publié une grande photo de nous sept. Peu de temps après, j’ai reçu une lettre d’une personne en France qui me complimentait sur mon apparence. D’ailleurs, un de nos collègues masculins m’a dit qu’il avait eu l’intention d’envoyer ce document de presse dans son pays mais, qu’après réflexion, il s’était ravisé, craignant d’être remplacé par une femme !

Claudia Fritsche a poursuivi l’initiative d’organiser régulièrement des déjeuners. J’en ai organisé un dans le bâtiment de la Mission permanente de Russie qui abritait alors la Mission du Kazakhstan. Yuli Vorontsov souhaitait y assister mais nous avions pour règle de ne pas inviter d’hommes. C’est ainsi que le groupe des ambassadrices auprès de l’ONU, que nous appelions le G-7, en référence à " Girls-7 ", a été créé. Nous avons convenu de nous soutenir mutuellement et de travailler ensemble pour promouvoir le rôle des femmes au sein de l’ONU ainsi que l’égalité entre les hommes et les femmes dans les activités de l’Organisation. Progressivement, avec l’arrivée de nouvelles ambassadrices du Turkménistan, du Kirghizistan, d’Australie, de Finlande et de Guinée et le départ de nos amies et collègues du Canada, des Philippines, de la Trinité-et-Tobago et des États-Unis, qui ont été remplacées par des hommes, notre groupe comptait dix membres. Nos collègues masculins de l’ONU ont mal pris le fait de n’avoir pas été invités à nos " déjeuners de femmes ". C’est de la discrimination, ont-ils dit. Mais pas du tout, avons-nous rétorqué. La vraie discrimination réside dans le fait qu’il n’y a que sept femmes sur les 185 ambassadeurs auprès de l’ONU !

Notre groupe a travaillé, officiellement et non officiellement, pour obtenir des décisions plus ou moins consensuelles avant la réunion de la quatrième Conférence mondiale des femmes à Beijing de septembre 1995. Le fait que nous portions le même acronyme que celui des leaders des sept grands pays industrialisés du monde n’était pas un hasard, la présence de la Représentante permanente des États-Unis lui conférant une importance et une autorité particulières.

Dès notre première réunion, mes relations avec Madeleine Albright ont été amicales. Elle était directe et dynamique. N’étant pas diplomate par profession, elle avouait ne rien connaître au protocole diplomatique. Mais elle était engagée sans réserve à l’idée de faire participer activement les femmes aux prises de décision tant au niveau national qu’international. Elle nous invitait souvent chez elle et nous avons eu l’occasion de rencontrer des femmes importantes, dont des membres du Congrès et du Sénat américains, des artistes connues et des militantes sociales. Il était toujours possible de la joindre et elle nous a toujours reçues dans sa Mission pour discuter de questions bilatérales.

Un jour, de retour d’un voyage dans les pays du Commonwealth of Independant States, elle m’a invitée à déjeuner et m’a dit : " Je vais vous raconter une histoire amusante. Lors de mon voyage, les Présidents de d’Azerbaïdjan, d’Arménie, de Géorgie et de Moldavie se sont plaints que leurs ambassadeurs n’arrivaient pas à me voir. Je leur ai donc conseillé de suivre l’exemple du Kazakhstan. Ils ont été surpris et m’ont demandé ce qu’ils devaient faire. Nommez une femme ambassadeur, ai-je répondu, et vous n’aurez aucun problème. " Nous avons ri et, en fait, je n’ai jamais eu aucun problème à discuter de n’importe quel problème avec elle. Quelquefois, c’était elle qui appelait ou passait me voir pour avoir des précisions sur une résolution de l’ONU ou sur les élections dans un organe.

Lorsque, quelques années plus tard, j’ai donné une réception dans la Salle à manger des délégués à l’occasion de la Journée de la République, Madeleine Albright était présente. C’était un fait sans précédent dans l’histoire de l’ONU, le Représentant permanent des Nations Unies n’assistant jamais aux réceptions organisées à l’occasion des fêtes nationales des États Membres. Sa présence n’est pas passée inaperçue. Lorsque je le lui ai fait remarquer, elle a répondu : " Je suis venue à votre réception parce qu’en tant que femmes nous devons être unies et nous soutenir. " Mme Albright m’a introduite auprès de l’ancien Président Bill Clinton, du Secrétaire d’État, Warren Christopher, et aussi de Hillary Clinton, que j’avais rencontrée à l’ONU à plusieurs occasions. Au cours de la période qui a précédé les élections présidentielles américaines de 1996, des rumeurs commençaient à circuler à l’ONU selon lesquelles Mme Albright serait la prochaine Secrétaire d’État. Nous, les ambassadrices, espérions que ce fût le cas, comme signe de soutien et de solidarité à notre collègue. Quand elle fut nommée à ce poste, en décembre 1996, j’étais à Almaty pour célébrer le cinquième anniversaire de l’indépendance du Kazakhstan. De retour à New York, en janvier, je l’ai appelée à Washington, pour la féliciter et ai suggéré d’organiser en son honneur un déjeuner ou un dîner avec les ambassadrices. Elle a immédiatement accepté de venir prendre le thé. J’ai donc organisé la rencontre le 16 janvier, en invitant également mes collègues ainsi que les femmes occupant des postes de haut niveau au Secrétariat et dans les institutions spécialisées de l’ONU. En présentant Mme Albright comme Secrétaire d’État, le Président Clinton avait déclaré qu’elle incarnait " le meilleur de l’Amérique. " Dans mon allocution j’ai ajouté, au nom de toutes mes collègues, qu’elle représentait également les femmes politiques et les mères. Elle était visiblement émue. Elle nous a répondu que notre relation resterait la même et nous a demandé de continuer de l’appeler par son prénom. Elle a tenu parole. Lors de ses visites à New York à l’occasion de l’Assemblée générale, elle a toujours donné des réceptions pour les femmes Ministres des affaires étrangères et les ambassadrices auprès des Nations Unies. À l’occasion, une photo avait été prise sur laquelle elle a écrit : " À ma chère amie Akmaral. Vous avez fait un travail remarquable en représentant votre pays et les femmes à l’ONU. J’attache une grande importance à votre amitié. Avec admiration et affection, Madeleine ". Lors de mon départ, en septembre 1999, après avoir été nommée à Paris, elle m’a reçue dans sa résidence de New York et a accepté avec un grand plaisir le cadeau que je lui ai offert, une veste traditionnelle brodée, et a promis qu’elle visiterait mon pays. J’étais à Paris quand elle m’a écrit pour me dire qu’elle allait enfin se rendre au Kazakhstan et qu’elle attendait beaucoup de cette visite.

De gauche à droite : Livia Silva, Commissaire de New York pour le corps diplomatique; Madeleine Albright, Ambassadrice des États-Unis; Akmaral Arystanbekova, Ambassadrice du Kazakhstan; Elaine Chokas, Mission américaine auprès de l’ONU; Claudia Fritsche, Ambassadrice du Liechtenstein; Aksoltan Ataeva, Ambassadrice du Turkménistan; Gillian Sorensen, Sous-Secrétaire générale de l’ONU. Photo prise en 1995.
Lorsqu’elle a été nommée à ce poste de haut niveau aux États-Unis, on m’a souvent demandé mon opinion sur elle. Pour moi, elle était une diplomate remarquable, ferme dans ses convictions lorsqu’il s’agissait de défendre les intérêts de son pays. Elle me disait souvent que nous étions toutes les deux du signe du Taureau (étant nées en mai), que nous étions des " bêtes de travail " et que je pouvais aussi me montrer ferme et résolue lorsque les intérêts du Kazakhstan étaient en jeu. En même temps, dans ses relations personnelles avec les ambassadrices, elle était toujours avenante et directe, fermement convaincue que les femmes devraient jouer un plus grand rôle dans la politique mondiale.

La biographie de cette femme remarquable est connue. Fille d’un diplomate tchèque qui a émigré aux États-Unis, Madeleine Albright a toujours dit que sa vie pouvait servir d’exemple pour mettre en pratique les principes de la démocratie américaine et la liberté des personnes. C’est une mère heureuse et une grand-mère fière de ses petits-fils et d’une petite-fille qui s’appelle Madeleine. Le fait d’avoir réussi à atteindre de tels sommets dans sa carrière, alors qu’elle était seule à élever ses enfants, ne peut qu’inspirer un grand respect. J’ai rencontré beaucoup de femmes pour qui elle personnifiait la réalisation du droit des femmes et leur capacité à participer à la résolution des problèmes mondiaux au plus haut niveau, forçant les gens à reconnaître leurs habilités et leur professionnalisme.

Un grand nombre de femmes avec lesquelles j’ai travaillé à l’ONU étaient remarquables et brillantes. J’ai mentionné précédemment Claudia Fritsche, qui a été Représentante permanente du Liechtenstein pendant plus de dix ans. Elle est un formidable exemple du rôle et des qualités personnelles irremplaçables d’un diplomate à mener à bien son travail. Représentant l’un des plus petits États du monde, elle était, en même temps, l’une des Ambassadrices les plus connues et les plus respectées. Quand je suis arrivée à New York, elle m’invitait toujours chez elle - j’ai rencontré ainsi de nombreux ambassadeurs et de nombreux membres du personnel supérieur du Secrétariat de l’ONU. C’est à elle qu’est revenue la tâche de préparer l’admission de son pays aux Nations Unies, comme cela avait été le cas pour moi, et j’ai voté avec d’autres délégués pour que le Liechtenstein soit membre des Nations Unies en 1990. Elle avait commencé sa carrière politique très jeune, ayant été conseillère auprès de Premier Ministre à l’âge de 19 ans, et a joué un rôle important pour assurer le droit de vote aux femmes de son pays. À la fin des années 1990, Claudia et moi avons eu l’honneur d’être acceptées dans le " club des doyens ", composé des 16 ambassadeurs qui étaient restés le plus longtemps en fonction à l’ONU, le plus vénérable étant l’Ambassadeur du Yémen, en poste pendant 26 ans.

En 1997, lorsque le nouveau poste de Secrétaire général adjoint des Nations Unies a été créé, Kofi Annan a proposé Louise Fréchette. Mme Fréchette avait été Représentante permanente du Canada au début des années 1990 avant d’être nommée Ministre adjointe associée au Département des finances de son pays. Puis, de son poste de Ministre adjointe de la Défense nationale, elle est retournée aux Nations Unies, occupant le poste le plus élevé jamais occupé par une femme.

Alors que notre " G-7 " gagnait de l’importance et du respect à l’ONU, nous avons mené des efforts pour que davantage de femmes soient élues dans les organes importants de l’Organisation. Grâce, en grande partie, aux efforts de notre groupe, deux femmes juges - des États-Unis et du Costa Rica - ont été nommées pour siéger au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

La première femme nommée Sous-secrétaire générale des Nations Unies, dans les années 1979, fut Lucille Mathurin-Mair qui a été Représentante permanente de la Jamaïque au début des années 1990. Il est intéressant de noter qu’au cours des dix dernières années, la Jamaïque a nommé des ambassadrices auprès des Nations Unies. Après Mme Mathurin-Mair, Patricia Durant, une diplomate qui possède une expérience professionnelle remarquable, a pris la relève. Elle vient d’être nommée au nouveau poste d’Ombudsman crée par l’Assemblée générale. Gillian Sorensen est la Secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les relations externes. De nationalité américaine, elle a dirigé pendant des années la Commission de la ville de New York pour les Nations Unies, s’occupant du corps diplomatique. Son mari, Theodore Sorensen, un économiste de renom, a été conseiller du Président John F. Kennedy. Mme Sorensen a dirigé le département du Secrétariat de l’ONU qui était chargé de préparer les célébrations du cinquantième anniversaire des Nations Unies en 1995. La relation que j’ai entretenue avec cette femme délicate a été particulièrement amicale et chaleureuse. Aujourd’hui, elle ne ménage pas ses efforts pour rallier la société américaine à la cause des Nations Unies.

Rosario Green (Mexique), qui faisait partie du cercle fermé du Secrétaire général Boutros-Boutros Ghali, a été sa conseillère spéciale pour les questions politiques. Je me souviens que nous lui avons apporté notre soutien moral quand, étant alors la seule femme à occuper un poste de haut niveau à la direction de l’Organisation, elle était souvent l’objet d’attaques de ses collègues masculins et devait constamment prouver ses capacités professionnelles.

En 1995, peu de temps avant le cinquantième anniversaire de l’Organisation, Benita Ferrero-Waldner (Autriche) a été nommée chef de du Protocole aux Nations Unies. Je l’ai immédiatement invitée à un déjeuner d’ambassadrices pour qu’elle rencontre mes collègues. Un an après, elle rentrait dans son pays pour occuper le poste de Secrétaire d’État au Ministère des affaires étrangères. En 1999, après la victoire de son parti aux élections, elle a été nommée Ministre des affaires étrangères. Je me souviens que tous les journaux français faisaient mention de son extraordinaire courtoisie et de son élégance. À en juger par la presse et les commentaires des diplomates autrichiens, elle a les plus grandes chances d’être élue Présidente de l’Autriche en 2004.

Narcisa Escaler a été Représentante permanente des Philippines. Belle femme et diplomate énergique, elle était populaire à l’ONU. Après avoir passé trois ans à l’ONU, elle a été nommée Directrice générale adjointe de l’Organisation internationale de la migration (OIM), malgré la présence de candidats sérieux. Lors de sa venue à New York, elle m’a dit que la coopération entre l’OIM et le Kazakhstan était excellente.

J’aimerais aussi mentionner une autre Américaine, l’Ambassadrice Melissa Wells, qui a été sous-secrétaire pour l’administration et la gestion de 1992 à 1993. Un jour, Oleg Troyanovski, un diplomate soviétique de renom et ancien Représentant permanent, que j’avais eu l’honneur de recevoir avec sa femme, Tatyana Aleksandrovna, m’a dit : " Si vous dites à Melissa qu’elle ressemble à sa mère, elle sera ravie. Après tout, c’est la fille de Miliza Korjus. " C’est donc ce que j’ai fait, et Melissa Wells a été agréablement surprise. Elle ressemble en effet à sa mère, une chanteuse et une actrice qui a tenu le rôle principal dans le film " La Grande Valse ", consacré à la vie de Strauss, compositeur favori de nombreuses générations. Au début des années 1990, la télévision russe a fait un film sur l’actrice légendaire qui commença à chanter lorsqu’elle était enfant en Ukraine, son pays natal. L’Ambassadeur Yuli Vorontsov, de la Fédération russe, a organisé une soirée en l’honneur Melissa Wells avec projection du film, à laquelle elle a invité un grand nombre d’amis dont je faisais partie. " La merveilleuse Korjus ", c’est ainsi que les journaux du monde appelait cette grande chanteuse.

Quand j’étais à l’ONU, cinq grandes institutions spécialisées et fonds du système de l’ONU étaient dirigés par des femmes : Sadako Ogata (Japon) au Haut-Commissariat pour les réfugiés; Mary Robinson (ancienne Présidente d’Irlande) au Haut-Commissariat aux droits de l’homme; Gro Harlem Brundtland à la direction générale de l’Organisation mondiale de la santé; Nafis Sadik (Pakistan), Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour la population, et Carol Bellamy (États-Unis), Directrice exécutive du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

J’ai travaillé en étroite collaboration avec Nafis Sadik et surtout avec Carol Bellami, qui a été nommée à deux reprises Vice-présidente du Conseil d’administration de l’UNICEF, son organe directeur. Elles ont travaillé avec mon pays avec une grande détermination. J’étais chargée d’organiser leurs visites au Kazakhstan et, à chaque fois, elles ont soutenu nos demandes et nos propositions avec un nouvel enthousiasme. Elles étaient toujours invitées à nos manifestations et les contacts professionnels avec ces femmes ont été renforcés par des relations personnelles et amicales.

Lors d’un déjeuner que j’avais organisé en 1996 pour les ambassadrices, nous avons soulevé la question de la participation des femmes aux activités de maintien de la paix. Jusque-là, compte tenu du danger que représentait ce travail, le Secrétaire général avait nommé des hommes comme envoyés spéciaux chargés d’engager des pourparlers et des négociations en vue de résoudre les conflits. Nous considérions cependant que, dans certaines circonstances, ces missions pourraient être confiées à des femmes, particulièrement au cours de la phase de consolidation de la paix, en tenant compte des conditions spécifiques dans le pays en question. C’est ainsi que l’idée de présenter au Secrétaire une liste de femmes diplomates et politiques qui accepteraient d’assumer les fonctions de médiation et de maintien de la paix est née et a été mise, plus tard, en pratique. La liste comprenait de nombreuses femmes éminentes du monde ainsi que mes collègues qui avaient travaillé, à différents moments, comme Représentantes permanentes auprès de l’ONU - j’y figurais aussi. À l’appui de cette liste, le Secrétaire général a nommé l’ancienne Ministre de la défense de la Finlande, Elisabeth Rehn, comme Représentante spéciale en Bosnie-Herzégovine. Et, seulement récemment, Heid Tagliani (Suisse) a été nommée Représentante spéciale du Secrétaire général en Géorgie. Nous avons encouragé la promotion des femmes aux postes importants du Secrétariat de l’ONU. Nous avons toujours soutenu la résolution de l’Assemblée générale sur la question et un grand nombre de pays, comme le Kazakhstan, l’ont parrainée.

Nous avons lancé la tradition d’organiser le 8 mars, Journée internationale des femmes, une réunion annuelle des ambassadrices et du personnel féminin du Secrétariat. Nous étions traitées non seulement comme des représentantes de notre pays mais aussi comme des membres de ce " club de femmes " original. En cette qualité, à la demande d’un grand nombre de membres du personnel féminin, je me suis occupée personnellement du paiement des pensions alimentaires aux femmes qui ont été mariées à un membre du personnel du Secrétariat. Lorsque la question a été examinée par la Cinquième Commission de l’Assemblée générale, chargée des questions administratives et budgétaires, j’ai organisé des réunions avec Movses Abelian (Arménie), alors Président de cette Commission, et avec un expert de premier plan, Nicholas Thoren (Royaume-Uni), leur communiquant les demandes des femmes qui voulaient s’assurer que leurs problèmes seraient résolus de manière objective et équitable, ce qui fut le cas grâce à nos efforts conjugués.

En 1995, le Département de l’information (qui publie la Chronique) a été le premier Département de l’ONU à instaurer la parité aux postes qui sont soumis à la distribution géographique. Un certain nombre de ses membres figurent sur la photo ci-dessus, en compagnie de Samir Sanbar, alors Chef du Département.
Toutes ces questions pratiques ont conféré au G-7 un grand respect. Parmi les 185 États Membres, sept étaient représentés par des femmes, le plus grand nombre de représentantes dans l’histoire de l’ONU. Le Secrétaire général n’a jamais manqué d’en faire mention lors des événements célébrant le 8 mars. Le 10 avril 1995, The New York Times a publié un long article sur les femmes dans lequel nos noms étaient mentionnés.

Lors de ma dernière année passée à l’ONU, des relations amicales se sont nouées entre les Représentantes permanentes auprès de l’ONU, dont Penelope Wensley (Australie), Marjatta Rasi (Finlande), Mahawa Bangoura Camara (Guinée), Aksoltan Ataeva (Turkménistan) et la Représentante permanente adjointe, Betty King (États-Unis). D’autres étaient parties avant que je ne prenne mes fonctions : Annette des Îles, Représentante permanente de la Trinité-et-Tobago était une diplomate et une femme remarquables qui, bien qu’elle ne soit pas restée très longtemps en poste, a joui d’un respect immense.

En octobre 1999, j’ai été mutée à Paris. Pour mon départ, Betty King a organisé une fête d’adieu et, avec mes amies et collègues, nous avons promis que, quel que soit l’endroit où nous serions, nous perpétuerions les traditions que nous avions lancées à New York. C’est ainsi qu’avec le soutien du Secrétaire général de l’Académie internationale des diplomates, Kyra Bodart, j’ai pris l’initiative de fonder un groupe similaire, composé d’ambassadrices auprès de la France (elles étaient quinze quand je suis arrivée) et auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. Le groupe se réunit une fois tous les deux mois et, le 8 mars 2001, je l’ai invité à l’Ambassade et nous avons décidé d’en faire une tradition. Je parle souvent de mes amies qui composaient le fameux " groupe des sept " et je continue de maintenir des relations amicales avec elles.

Je suis convaincue que les femmes diplomates, en tout cas celles que j’ai rencontrées, possèdent, parallèlement à leurs qualités professionnelles, un mélange de ténacité à défendre les intérêts de leur pays et de ressources à atteindre des compromis qui conviennent à tous. Ce n’est pas pour rien que mes collègues masculins sont nombreux à souligner cette qualité lors des pourparlers. Ce sont les femmes diplomates qui font preuve de la plus grande persistance et de la plus grande cohérence lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de leur pays.

À New York, j’ai souvent discuté avec mes collègues femmes de la participation des femmes dans la diplomatie et nous continuons de le faire à Paris. Nous partageons toutes l’avis que très peu de femmes ont accès aux postes importants dans le service diplomatique. Et une fois qu’une femme est devenue ambassadrice, elle doit travailler dix fois plus qu’un homme pour prouver qu’elle est capable, comme un homme, de traiter des affaires importantes, y compris la diplomatie.

Pour citer une phrase connue de Georges Clémenceau, le Premier Ministre de la France pendant la Première Guerre mondiale, " La diplomatie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls diplomates. " Il faisait allusion à la participation des militaires dans la diplomatie. Je pense, et je ne voudrais surtout pas froisser mes collègues masculins, que, de nos jours, on pourrait modifier cette citation comme suit : " La diplomatie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls hommes. "



Akmaral Arystanbekova a été Représentante permanente du Kazakhstan auprès des Nations Unies de 1992 à 1999. Elle était Ministre des affaires étrangères du Kazakhstan et est actuellement ambassadrice en France.

Dans ce numéro || Archives || Anglais || Contactez-nous || Abonnez-vous || Liens

Chronique Page d’accueil
 
Copyright © Nations Unies