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Regard sur le passé
Les nouvelles technologies dans les relations économiques mondiales

Par Gangadhar S. Gouri

Les photos de cet article ont été reproduites avec l’autorisation du CIGGB

La Conférence des Nations Unies de 1979 sur la science et la technologie a conclu ses travaux avec plusieurs recommandations. L’ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le développement industriel), comme les autres organisations de l’ONU, souhaitait mettre en œuvre des recommandations pertinentes. Puisque j’étais chargé de développer et de promouvoir la technologie au profit du développement, le Directeur exécutif m’a demandé de mettre en œuvre les recommandations et, en même temps, d’évaluer les nouvelles tendances du développement technologique. En parcourant la documentation de la Conférence, j’ai trouvé des informations très utiles. Mes collègues et moi avons estimé que, bien que présentées en annexe, ces technologies liées au génie génétique et de la biotechnologie, de la micro-électronique, des nouveaux matériaux méritaient d’être développées pour le profit des pays en développement.

Nous pensions que les pays en développement auraient avantage à développer de nouvelles technologies plutôt que d’utiliser les anciennes. Elles leur conféreraient un avantage compétitif sur les autres pays. Le développement et la promotion des technologies nécessitaient davantage une aide scientifique que des ressources en capitaux. Les pays en développement disposant déjà d’un personnel scientifique très compétent, ils pouvaient réaliser des progrès rapides. Et certaines de ces technologies associaient les éléments de la recherche et leur mise en pratique dans le processus. L’ONUDI a donc effectué une enquête sur plusieurs technologies et choisi trois domaines, à savoir le génie génétique et la biotechnologie, la micro-électronique et les nouveaux matériaux.

Parmi eux, le génie génétique et la biotechnologie offraient davantage d’opportunités pour résoudre les besoins alimentaires actuels, les besoins en graines, en combustibles et en engrais. L’approche adoptée par l’ONUDI consistait à recenser les innovateurs et les leaders scientifiques dans ces domaines et à les inviter à Vienne pour revoir le processus, s’assurer que ces nouvelles technologies pourraient être utilisées par les pays en développement et également pour discuter des méthodes et des fonds nécessaires. La réunion aurait aussi pour but d’attribuer un rôle à l’ONUDI. L’ONUDI a sélectionné une dizaine de scientifiques et de technologues les plus en vue dans le domaine du génie génétique et de la biotechnologie et les a invités à une réunion au début de 1978. Ils étaient principalement américains et européens, avec quelques experts des pays en développement.

Nous avons été surpris de la liberté avec laquelle ils exprimaient leurs points de vue. Loin de se montrer réservés, ils exprimaient ouvertement le désir de réaliser de nouvelles percées et de les propager pour le profit de l’humanité. Ils estimaient que les pays en développement pouvaient facilement poursuivre le travail et réaliser des progrès.

En fait, quelques scientifiques ayant participé à la réunion de l’ONUDI étaient américains d’origine indienne. Les scientifiques ont confié à l’ONUDI la tâche de lancer les travaux de recherche dans le domaine du génie génétique ainsi que d’assurer la propagation de la technologie. Pour ce faire, ils ont estimé que l’ONUDI devait établir le Centre international de génie génétique et de biotechnologie, et ont dit qu’ils fourniraient l’assistance nécessaire pour parvenir à ce but. Il a été aussi recommandé que l’ONUDI envoie un groupe de personnes éminentes dans des pays sélectionnés afin d’évaluer leur niveau actuel de développement et les possibilités de croissance. Le groupe devait être composé de deux experts présents à la réunion et d’un membre du personnel de l’ONUDI, qui serait chargé de préparer le rapport complet, lequel serait évalué par le même groupe d’experts, ainsi que de préparer un plan d’action. Les missions se sont rendues au Mexique, en Inde, aux Philippines, en Belgique, en Espagne, en Allemagne, au Canada, en Égypte, au Nigeria, au Brésil et en ex-Yougoslavie. Les résultats ont été excellents. Les pays en développement étaient prêts à lancer les travaux et les pays développés comme le Canada, l’Espagne, l’Italie et la Belgique ont accepté de fournir les ressources financières.

Les photos de cet article ont été reproduites avec l’autorisation du CIGGB
Lors de la réunion d’examen de ces experts, l’année suivante, il a été décidé qu’en plus d’un centre international, d’autres centres nationaux devraient être créés. Ceux-ci assureraient la recherche et la formation en fonction des besoins nationaux. L’avantage était que la recherche et la formation allaient de pair.

Mais quand le Conseil du développement industriel en a été informé, certains éléments politiques sont entrés en jeu. Les représentants des pays développés tenaient à garder leur suprématie technologique et leur leadership dans le monde. Certains ont pris l’initiative d’informer personnellement M. Khan, le Directeur exécutif, de traiter cette question avec prudence. (En 1975, M. Khan [Algérie] a succédé à M. Abdel [Égypte] au poste de Directeur exécutif de l’ONUDI.) Non seulement il a fait la sourde oreille mais il leur a également rappelé que l’une des fonctions de l’ONUDI était de promouvoir l’industrialisation des pays en développement. Comment ceux-ci pourraient-ils y parvenir s’ils ne maîtrisaient pas les technologies ?

En fait, la technologie était devenue si importante qu’elle se situait au premier rang des priorités en matière d’investissement des capitaux financiers dans les relations économiques internationales. Le Directeur a donc expliqué qu’il s’en tiendrait essentiellement aux décisions de l’Assemblée générale de l’ONU sur la politique définie lors de la création de l’ONUDI et sur celle du Conseil du développement industriel. Il ne pouvait pas agir en l’absence de résolutions du Conseil. Et les pays développés n’étaient pas prêts à adopter une telle résolution. Ceux-ci lui ont dit que vu la situation budgétaire de l’ONUDI, la Cinquième Commission de l’Assemblée générale pouvait ne pas accorder de ressources financières à ce genre de projets. Le Directeur exécutif a précisé que lorsqu’une situation se présenterait, il serait prêt à revoir entièrement la question.

Plus tard, il m’a appelé et m’a demandé de trouver au plus vite des contributions volontaires, de sorte que le projet ne dépende pas du budget ordinaire. Nous allions recevoir des ressources des gouvernements de l’Espagne, du Canada, de l’Italie, de la Belgique et de l’ex-Yougoslavie.

Les gouvernements du Mexique et de l’Inde ont également promis de faire des contributions, et en ont informé le Directeur exécutif. Tout était donc en place pour que le Secrétariat de l’ONUDI se mette à l’œuvre. Il a été décidé qu’il préparerait le programme de travail des centres ainsi que leurs statuts. Devant la nécessité d’avoir un soutien politique, il a été également décidé de créer une Commission préparatoire à cette fin, qui serait composée des pays disposés à promouvoir et à soutenir le centre. Mais avant, il fallait organiser une réunion de ces pays et adopter les statuts du centre. Ceux qui les approuveraient et les signeraient deviendraient membres de la Commission préparatoire. Mais, l’adoption des statuts à Madrid par les pays concernés ne fut pas aussi aisée que prévue.

Finalement, après une session marathon, les statuts ont été adoptés. La cérémonie de signature a été fixée à minuit, le même jour. Vingt-deux pays ont signé le document. Il était entendu que la signature indiquait simplement que le pays était intéressé mais que cela ne l’engageait pas du point de vue financier. Les statuts seraient contraignants seulement lorsqu’ils seraient adoptés par les parlements nationaux.

Les photos de cet article ont été reproduites avec l’autorisation du CIGGB
Le même groupe avait adopté peu de temps auparavant le Programme de travail de cinq ans. La Commission préparatoire a donc été formée. Vingt-deux chefs de délégation des pays respectifs, accrédités auprès de l’ONUDI, ont assisté à la première réunion, organisée à Vienne. La création de la Commission préparatoire a entièrement changé le rôle du Secrétariat dans l’établissement du Centre international.

Mais de nouvelles difficultés sont apparues. Les pays développés, qui avaient promis d’accorder au Centre international des fonds à hauteur de 70 millions de dollars, ont commencé petit à petit à revenir sur leurs décisions. Le Canada fut le premier à se rétracter et le Mexique, le dernier. Ce revirement a porté un coup aux efforts du Secrétariat. Pendant cette période d’effervescence, le Président de la Commission préparatoire a changé d’optique.

Il a estimé que le centre était si important pour les pays en développement qu’il ne devrait pas être difficile de réunir les fonds. Il a dit au Secrétariat qu’il fallait à tout prix ne pas perdre l’élan. Lors de la réunion suivante, la Commission préparatoire a recommandé de créer un groupe d’experts qui serait chargé de conseiller le centre sur toutes les questions scientifiques. Le groupe de scientifiques comprenait trois lauréats du prix Nobel. Ce fut un tournant décisif. À l’initiative du Président, la première réunion entre les scientifiques et les chefs de délégations a été organisée à Vienne. Cette réunion a permis d’éclaircir les nombreux doutes que partageaient les Ambassadeurs, et le représentant de l’URSS a demandé d’assister à la Commission en qualité d’observateur. Au fil des réunions, les parlements nationaux ont été de plus en nombreux à approuver les statuts. La création du centre était en vue. Pourtant, un autre problème est apparu. Les pays en développement ont demandé que le centre soit établi dans l’un de leurs pays, mettant en avant le fait qu’ils étaient les premiers concernés. De leur côté, les pays développés, avec l’Italie en tête, considéraient qu’il devait être établi dans un des pays qui le finançait. Mais la constitution était fondée sur le concept de l’établissement d’un centre, pourvu d’un directeur général à la tête d’une équipe de scientifiques, qui offrirait des conseils aux centres nationaux et assureraient la formation. Le Programme de travail de cinq ans était également établi en fonction d’un seul centre. Il fallait donc trouver une solution.

Finalement, il a été décidé de faire appel à un expert de renom qui informerait la Commission sur le bien-fondé de la création d’un ou de plusieurs centres. Celui-ci se trouvait dans une situation délicate, le problème étant davantage de nature politique que de nature scientifique. Il a réuni toutes les informations et présenté les avantages et les inconvénients. Lors des discussions, il a essayé de ne pas prendre position sauf pour expliquer la situation sous différents angles.

Fait marquant
  • De 1992 à 1999, la consommation mondiale de combustibles fossiles a augmenté de 10 %. La consommation par habitant était la plus élevée dans les pays développés, où elle était en moyenne de 6,4 tonnes de pétrole par an en 1999, soit dix fois la consommation des pays en développement.
  • Environ 2,5 milliards de personnes n’ont pas accès aux services énergétiques modernes, soit un tiers de la population mondiale.
  • La consommation d’énergie mondiale a augmenté de manière significative depuis 1992 et devrait continuer de progresser de 2 % par an jusqu’en 2020. À ce rythme, d’ici à 2035, la consommation d’énergie doublera par rapport à 1998, et triplera d’ici à 2055.
Source: WSSD Factsheet
La Commission a soulevé de nombreuses questions, auxquelles l’expert et le Président ont répondu. Sur la base du rapport et des réponses de l’expert, la Commission a décidé de tenir une autre session sans la présence de l’expert et du Secrétariat de l’ONUDI. La discussion fut de nouveau houleuse. Les pays candidats, à savoir l’Italie, du côté des pays développés et l’Inde, du côté des pays en développement, ont exprimé le désir d’accueillir le centre dans leur pays. Il a été même question d’avoir recours à un vote. Le Président, cependant, a considéré qu’il était plus judicieux de voter pour l’établissement d’un ou de deux centres, plutôt que de voter pour les pays. Il a été finalement décidé d’avoir recours à un consensus. Après plusieurs séries de négociations, la création de deux centres a été adoptée. Les Italiens ont renouvelé leur offre de fournir les ressources financières nécessaires tout comme le gouvernement indien. Le Centre international a donc été établi en deux lieux différents.

La réunion suivante de la Commission, à New Delhi, a été consacrée à l’établissement du programme de travail pour les deux centres. Ce fut une lutte acharnée entre les deux pays, quant au choix des domaines de projet. Bien que la Commission ait fixé des directives quant à leur choix, il était difficile de définir le travail de base des deux centres. L’idée de se spécialiser dans l’agriculture n’intéressait pas vraiment l’Inde. Ce qui l’intéressait, c’était le domaine médical. Il a été finalement décidé qu’un certain chevauchement était inévitable et que cela pouvait même être bénéfique. Chaque centre a donc eu carte blanche pour mener ses travaux en fonction des ressources disponibles. Et la nomination du Directeur général du centre ne présentait pas de problèmes. Après avoir examiné un nombre de candidats possibles, le groupe de scientifiques a choisi un citoyen américain.

D’après mes dernières informations, les travaux menés dans les deux centres sont satisfaisants. Le Centre indien a mis au point des kits de diagnostics et a entrepris des travaux importants dans le domaine de la culture de tissus. Le Centre italien a également réalisé des progrès remarquables dans plusieurs domaines. Il dispose de son propre bâtiment à Trieste et a réuni un personnel compétent. Vingt-quatre gouvernements ont ratifié les statuts du Centre dans leurs parlements nationaux respectifs. Finalement, mon rêve d’établir un Centre international est devenu une réalité.



Gangadhar S. Gouri est titulaire d'un doctorat de l'University of Bombay School of Economics. Il est associé aux activités de l'ONU depuis une trentaine d'années. Il vit actuellement à Bangalore. Cet article est tiré de son livre Personal Reflections.

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