Chronique ONU | Edition en ligne


L’INTERVIEW de Chronique ONU

Mechai Viravaidya, qui était à New York pour la 54e Conférence annuelle des organisations non gouvernementales associées au Département de l’information des Nations Unies, est un militant social, un planificateur gouvernemental et le responsable d’une ONG. Il est président de Population and Community Development Association en Thaïlande, qui est le fer de lance de la planification familiale basée sur les communautés du pays, les programmes de développement rural et de lutte contre le sida depuis les années 1970. Par le biais du programme Thai Business Initiative for Rural Developement (TBIRD), il a également tenté d’enrayer la migration en Thaïlande. En 1978, le gouvernement thaïlandais a adopté la distribution de contraceptifs basée sur les communautés. Dans un entretien avec Vikram Sura, de la Chronique ONU, M. Viravaidya explique pourquoi la réduction de la pauvreté, la lutte contre la corruption et le renforcement du rôle des femmes dans les domaines politique et social sont ses priorités actuelles. Accueil
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Qu’est-ce qui a donné à la Population and Community Development Association l’impulsion de débuter ses activités en 1974, bien avant que l’idée du développement centré sur les personnes n’ait pris racine dans les pays en développement ?
Cela tombait sous le sens. Si vous voulez obtenir des résultats, il faut faire appel aux gens. C’est comme pour un soldat en temps de guerre - s’il ne veut pas combattre, il ne peut pas gagner. Notre idée était donc que les personnes à qui ce programme était destiné devaient être des éléments, des acteurs essentiels. C’était notre optique.

Quand vous dites “notre optique”, n’est-ce pas plutôt votre propre optique ? Avez-vous rencontré des obstacles ? Personne dans votre entourage n’avait ce genre d’approche à cette époque.
Non, autant que je sache, personne ne s’y est opposé, en Thaïlande ou à l’étranger.

Avez-vous reçu un soutien suffisant de la part du gouvernement ?
Oui, bien sûr. Le gouvernement nous a autorisés à travailler dans ce domaine et il était content de faire figurer les résultats sur ses statistiques. Tout le monde était donc satisfait.

La mondialisation tente de concentrer les capitaux autour des grandes agglomérations urbaines, ce qui incite la population rurale à émigrer. Des initiatives telles que TBIRD sont-elle en porte-à-faux avec la dynamique de la mondialisation ?
La mondialisation me fait penser à un match de basket : c’est toujours le plus grand qui gagne. Si l’on change le basket-ball pour qu’il s’apparente davantage à l’haltérophilie, où chaque athlète soulève un poids, alors on a des chances de gagner. Je crois que c’est plus juste. C’est une idée qu’il faudra développer plus tard. Mais, dans notre cas, nous avons constaté que les gens qui vivaient à la campagne se déplaçaient vers les villes. Cela détruit le tissu social, la tradition culturelle des villages. Le meilleur moyen est d’inciter les gens à rester dans les villages et d’y amener les machines et non pas l’inverse. Et c’est ce que nous avons fait.

Une telle initiative pourrait-elle également réussir dans d’autres pays ?
Oui, pourquoi pas. De nos jours, la migration tue les villages. Tant qu’il existe une infrastructure simple comme l’électricité et des routes, cela devrait marcher. Je pense que d’autres pays commencent à y penser.

À votre avis, pourquoi les gouvernements sont-ils réticents à aborder la question du sida alors qu’ils l’ont fait pour d’autres maladies comme la tuberculose ou la malaria ?
Parce que c’est une maladie sexuelle. Les gens ne veulent pas regarder les choses en face. C’est bien dommage mais c’est ainsi. Et puis, nombreux sont les gouvernements dans les pays asiatiques qui, dans un premier temps, ont refusé de reconnaître le problème. Ils ont ensuite réalisé que plus ils niaient l’existence du sida plus la maladie se propageait.

C’est donc, d’après vous, principalement une question d’éducation sexuelle.
Oui, une question liée à la sexualité en général. Tout ce qui est lié au sexe, aux gens, spécialement pour les gouvernements, a tendance à être un sujet tabou.

Mais les rapports sexuels ne sont pas la seule cause du sida.
Si, en Asie, c’est le cas. Et en Afrique aussi, les rapports sexuels en sont la cause principale. Bien sûr, dans certains pays, un faible pourcentage de personnes sont infectées par injections intraveineuses mais, pour la majorité des cas, ce sont les rapports sexuels qui sont en cause.

Dans votre campagne de lutte contre le sida, vous avez souligné qu’il fallait défendre les droits des patients à refuser les tests de dépistage obligatoires. Dans quelle mesure cela a-t-il permis de susciter la confiance dans le programme de lutte contre le sida mis en place par le gouvernement ?
Il était très important que les gens acceptent de se faire tester. C’est un droit humain fondamental - on a donc arrêté d’effectuer des tests obligatoires. C’est la pression de notre groupe qui a amené le gouvernement à adopter cette mesure.

Et comment le gouvernement a-t-il réagi ?
Au début, il était plutôt réticent mais nous avons sans cesse mis cette question sur le tapis. Et puis j’étais au gouvernement, j’étais ministre de cabinet. J’occupais donc une position qui me permettait de contrecarrer les règles et réglementations draconiennes que certains préconisaient.

Photo HCR
Dans les sociétés patriarcales asiatiques, comment la manière dont sont traitées et perçues les femmes influence-t-elle la lutte contre le sida, et quel est le rôle des femmes dans ce combat ?
Il faut donner aux femmes davantage de droits. En Thaïlande, nous nous efforçons même d’aller plus loin. Par exemple, nous espérons qu’au cours des cinq prochaines années un amendement à la constitution sera voté pour donner aux femmes la moitié des sièges du Sénat. Plus nous donnerons le pouvoir décisionnel aux femmes, plus nous pourrons aider les femmes en général. En matière de politique, de parité, dans tous les domaines. Les femmes ont un rôle crucial à jouer dans le processus du développement. Elles ont prouvé combien leur participation était essentielle. Ce sont les hommes dans le gouvernement qui ont des vues très limitées. Quand on a deux bras forts pourquoi n’en utiliser qu’un seul ?

Combien de temps faudra-t-il pour que les femmes obtiennent une meilleure représentation en matière de décision de politiques qui leur sont favorables quand, pendant des siècles, ces sociétés ont été patriarcales ?
Les mœurs évoluent. Pendant les premiers milliers d’années, nous ne savions pas voler ! Mais nous avons réussi à le faire ! Il faut prendre le taureau par les cornes. Ce n’est pas parce que le temps n’a pas été de notre côté au cours de l’histoire qu’on ne peut pas désormais accélérer le processus. Il suffit de constater le nombre de femmes qui sont Premiers Ministres ou Présidentes depuis ces dix dernières années comparé aux 200 dernières années !

Quelle est la priorité de votre ordre du jour social ?
La lutte contre la corruption, cela ne fait aucun doute. Mais, plus important encore, la diminution de la pauvreté et ensuite le rôle des femmes.

À votre avis, l’alphabétisme a-t-il un rôle à jouer dans la lutte contre la pauvreté ?
Alphabétisme ou non, la pauvreté existe. Mais plus le système éducatif sera développé, mieux ce sera. Je ne pense pas que ce facteur soit une condition majeure de la pauvreté.

Quelle est donc l’une des conditions majeures de la pauvreté ?
Le manque d’opportunités et les politiques inadéquates adoptées par le gouvernement pour mettre fin à la pauvreté. Par exemple, la politique d’aide sociale destinée aux pauvres. Nous devrions plutôt faire appel à ceux qui réussissent dans les affaires pour qu’ils aident les pauvres à développer leurs compétences et avoir accès à de meilleures opportunités. Cela veut dire que la participation du monde des affaires est indispensable, ce que j’appelle la privatisation de la réduction de la pauvreté. Nous devons utiliser de plus en plus ce type d’approche. C’est ce que nous faisons en Thaïlande, et TBIRD s’inscrit dans ce processus.

À propos de l’aide sociale, êtes-vous concerné par les subventions qui sont accordées ?
Pendant combien de temps pourrons-nous accorder des subventions ? Où trouverons-nous les ressources ? N’oublions pas que les pays dont nous parlons sont des pays pauvres.

La croissance démographique exerce généralement des contraintes sur la croissance économique d’un pays. Les technologies de l’information étant actuellement le moteur de l’économie mondiale, des pays comme la Chine et l’Inde exportent leurs ressources humaines. Les pays en développement dont le taux démographique est élevé peuvent-ils renforcer leur économie de cette manière ?
Pour la plupart des pays, le nombre de personnes qui sont envoyées à l’étranger est très minime par rapport à la croissance démographique totale. Cela ne constitue pas un gain majeur.

L’Inde considère que c’est un atout majeur.
Peut-être à court terme, mais quand la population de l’Inde aura dépassé celle de la Chine, ce chiffre sera totalement insignifiant. Sur une population d’un milliard d’habitants, combien partent travailler à l’étranger ?

Quand je parle d’exportation des connaissances, j’entends les revenus en dollars qui sont injectés dans l’économie nationale.
En général, les gens partent travailler à l’étranger lorsque la situation est problématique dans leur pays. L’Inde envoie-t-elle ses spécialistes dans un pays parce que la qualité de la vie est la même dans les deux pays ou parce que les salaires sont plus élevés à l’étranger ? Mais, encore une fois, cela touche combien de personnes ? C’est un atout mais il est limité.

À votre avis, quel rôle l’ONU devrait-elle jouer ?
L’ONU devrait solliciter davantage la participation des particuliers et des organisations non gouvernementales pour collaborer à ses activités, plutôt que de s’appuyer seulement sur les gouvernements.

Pensez-vous que cela freine le processus ?
Je crois qu’il est important d’élargir la participation sous tous ses aspects. Quand on parle de questions touchant les hommes, les femmes devraient être impliquées, et quand on parle de développement, les organisations gouvernementales et non gouvernementales devraient être consultées. Tout cela relève de la même conception.

Dans quelle mesure vos parents, tous deux médecins, ont-ils joué un rôle dans votre zèle de missionnaire ?
Je ne sais pas. Je le dois en partie à mes parents, en partie à l’éducation que j’ai reçue, et en partie à mon expérience auprès des pauvres.



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