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ESSAI

Réseaux d’institutions, réseaux de solutions
Par M.S. Swaminathan
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Le Rapport du développement humain 2001, du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUP), a introduit un indice d’innovation technologique composé de quatre groupes d’indicateurs relatifs à l’innovation technologique, à la diffusion des technologies, récentes et anciennes, ainsi qu’aux compétences humaines. L’innovation technologique a été mesurée par le nombre de brevets par habitant, les redevances et les droits de licence par habitant des pays étrangers. L’accent est donc mis sur les droits de propriété intellectuelle des nations, mis en évidence par le pouvoir de la science exclusive. Les autres indicateurs concernent le fossé numérique, les écarts dans le domaine du développement et de l’éducation. Cependant, le rapport intitulé “Mettre les nouvelles technologies au service du développement humain” n’a pas souligné le fait qu’il est fondamental de réduire les écarts en matière de nutrition si l’on veut réduire les autres écarts, notamment ceux relatifs aux droits de la propriété intellectuelle. Dans son rapport intitulé “Mettre fin à la malnutrition d’ici 2020 : un nouvel ordre du jour pour le millénaire”, la Commission sur les défis nutritionnels du XXIe siècle a souligné que dans les pays en développement, quelque 30 millions d’enfants naissent chaque année souffrant d’hypotrophie fœtale, ce qui représente environ 24 % des naissances dans ces pays.

Photo FAO
Les nourrissons dont le poids est faible à la naissance souffrent de déficience intellectuelle. On compte dans le monde plus de 150 millions d’enfants d’âge préscolaire souffrant d’une insuffisance pondérale et plus de 200 millions d’enfants rachitiques. Au vu des progrès actuels dans la lutte contre ces maladies, d’ici à environ 2020, un milliard d’enfants présenteront un handicap mental durant leur croissance. Quel impact cette situation aura-t-elle sur la propriété intellectuelle d’une nation ? Même au stade du fœtus, nier à un enfant la possibilité de se développer normalement constitue la forme d’inégalité la plus cruelle. Avant de lancer un système de nutrition à l’échelon national, il est essentiel de tirer les leçons des expériences réussies. La Thaïlande, le Sri Lanka, le Costa Rica, Cuba, la Chine, l’Inde ainsi qu’un grand nombre d’autres pays en développement ont une riche expérience en matière de programmes d’aide alimentaire qui répondent aux problèmes des individus au cours des différentes étapes de leur vie. Les leçons ont été à la fois positives et négatives. Les stratégies futures devraient être fondées sur ces deux aspects. Il faudrait mettre en place un système de sécurité alimentaire durable pour la communauté. C’est ce point que je vais développer dans les pages suivantes.
Un système de sécurité alimentaire durable pour la communauté

Accorder le droit à une nourriture adéquate, et donc la possibilité de mener une vie saine et productive pour tous ceux qui souffrent de sous-alimentation, est le devoir fondamental de l’État ainsi que de la classe aisée. Grâce aux systèmes démocratiques de gouvernance au niveau de la base de plus en plus nombreux et aux avancées technologiques, nous pouvons développer un système de sécurité alimentaire contrôlé et centré sur les communautés. Une telle gestion décentralisée permettra d’améliorer la fourniture de l’aide, de réduire les coûts des opérations, d’éliminer la corruption et de répondre à la fois aux besoins d’introduire une approche fondée sur le cycle de vie et de répondre au défi des changements saisonniers. Les principes directeurs d’un tel système sont les suivants :

1. Adopter une approche fondée sur le cycle de vie.

Photo FAO
Femmes enceintes : Près de 30 % des enfants nés en Asie du Sud souffrant d’insuffisance pondérale à la naissance et présentant des risques de malformation cérébrale, il est urgent de résoudre le problème des femmes enceintes sous-alimentées. Selon Ramalingaswamy et al (1997), la moitié des enfants sous-alimentés dans le monde se trouvent en Inde, au Pakistan et au Bangladesh. Le poids faible à la naissance est un indicateur quotidien du statut défavorisé des femmes dans la société, particulièrement de leur santé et de leur alimentation durant toute leur vie.

Femmes qui allaitent : Des programmes adéquats devront être mis en place pour venir en aide aux femmes qui allaitent leur bébé au moins pendant les six premiers mois, tel que recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les politiques dans les lieux de travail devraient viser à atteindre ce but.

Enfants (0 à 2 ans) : Ce groupe étant le plus difficile à atteindre de nos jours, des efforts spéciaux devront être menés pour toucher les mères ; 80 % du cerveau se développe avant l’âge de deux ans. L’enfant étant totalement dépendant de sa mère pour son alimentation et sa survie, les quatre premiers mois de sa vie sont particulièrement cruciaux.

Enfants d’âge préscolaire (2 à 6 ans) : Un service de développement intégré, revitalisé et contrôlé par la communauté, permettra de répondre aux besoins nutritionnels et de soins de santé de ces enfants.

Jeunes et adolescents (6 à 18 ans) : Un programme assurant le déjeuner dans les écoles (publiques et privées, en milieu urbain et rural) serait le bienvenu. Or, un pourcentage important d’enfants appartenant à cette tranche d’âge ne sont pas scolarisés pour des raisons économiques. Ces enfants non scolarisés ou obligés de travailler nécessitent une attention particulière.

Adultes (18 à 60 ans) : Pour cette tranche d’âge, un programme d’aide alimentaire devrait comprendre des programmes tels que la distribution de bons de nourriture ainsi qu’un programme de développement écologique rétribué en vivres (appelé aussi le programme “Food-for-Work“). Ce dernier encouragerait l’emploi de céréales alimentaires comme salaire dans le but d’établir des structures de récupération de l’eau (banques d’eau) et de réhabiliter les terres et les écosystèmes dégradés. Cela permettra de créer de nombreux avantages en aval et d’améliorer les moyens d’existence. Lors de la création de ce programme, il faudra traiter séparément les personnes travaillant dans les secteurs organisés et dans ceux non organisés.

Personnes âgées et handicapées : Ce groupe devra bénéficier d’une aide alimentaire adéquate dans le cadre des obligations éthiques de la société à l’égard des handicapés.

2. Adopter un plan d’action de sept points afin d’assurer la sécurité alimentaire durable pour chaque être humain.

Identification : Identifier les personnes nécessiteuses par le biais de la communauté locale. Il serait utile de former des bénévoles de la communauté comme cela s’est fait en Thaïlande.

Éducation et information : Informer les gens sur leurs droits en matière de programmes d’aide alimentaire disponibles et leur offrir des conseils. Il est possible de créer une base de données des droits pour chaque région et de distribuer aux familles des cartes indiquant comment avoir accès aux programmes d’aide alimentaire, de soins de santé et d’éducation.

Surmonter la malnutrition protéino-calorique : Adopter les mesures indiquées dans le cadre de l’approche du cycle de vie. Les problèmes du travail des enfants travaillant dans le secteur non organisé nécessitent une attention particulière.

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Éliminer la faim insoupçonnée provoquée par une carence en micronutriments dans le régime alimentaire : Introduire une approche intégrée, incluant des légumes et des fruits, du millet et des légumes secs ainsi qu’un apport d’aliments enrichis en vitamines, tels que le fer et le sel iodé, ainsi que la prise orale de vitamine A. L’approche de base devrait être centrée sur l’alimentation, en mettant l’accent sur la création de jardins potagers, tant individuels que collectifs, lorsque cela est possible socialement et économiquement.

Eau potable, hygiène et soins de santé de base : Assurer l’accès à l’eau potable et améliorer l’hygiène du milieu. Améliorer aussi le système de soins de santé de base.

Moyens d’existence durables : Améliorer l’accès économique à l’alimentation par le biais de microentreprises liées au marché qui bénéficient de microcrédit et susciter une participation économique dans la conservation des ressources naturelles et partagées. S’assurer que les règles établies dans les accords conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) soient équitables pour les produits de la production décentralisée à petite échelle (production des grandes ou petites exploitations agricoles) comparés à ceux des technologies de production à grande échelle ou de l’agriculture industrielle.

Accorder une attention particulière aux femmes enceintes et à celles qui allaitent ainsi qu’aux enfants d’âge préscolaire : Mesurer les progrès en surveillant la rougeole, les oreillons et la rubéole, IMR, l’incidence de l’insuffisance pondérale à la naissance et le taux de masculinité hommes-femmes. Les suppléments en fer pendant les soins prénatals devraient être accompagnés par des mesures destinées à pallier l’insuffisance protéino-énergétique.

3. Les Banques d’alimentation comme instrument de sécurité alimentaire et de nutrition durable.

Des banques d’alimentation pour la communauté peuvent être mises en place au niveau du village, les premiers approvisionnements en vivres étant assurés par des dons des gouvernements et des organisations de donateurs. Elles peuvent ensuite être soutenues par des achats locaux ainsi que par le soutien international et celui des gouvernements aux programmes de développement économique ou de nutrition en échange du travail. Ces banques peuvent non seulement permettre de réduire l’état nutritionnel précaire de certaines populations mais aussi promouvoir l’égalité entre les sexes, l’écologie et l’emploi. Elles peuvent également être équipées afin de répondre aux situations d’urgence telles que les cyclones, les inondations, la sécheresse, les tremblements de terre et être investies des quatre grandes responsabilités suivantes.

Droits aux avantages sociaux : Les avantages accordés par tous les programmes gouvernementaux, bilatéraux et multilatéraux, dans le but de combattre la sous-alimentation et la malnutrition, peuvent être fournis de manière coordonnée et interactive (par exemple, ceux destinés à surmonter les carences en macronutriments et micronutriments).

Écologie : Le développement économique contre le travail; création de banques de l’eau, protection des terres ou désertification et reboisement.

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Éthique : Ce groupe d’activités sera lié au soutien nutritionnel aux personnes âgées et handicapées, aux femmes enceintes et à celles qui allaitent, aux jeunes enfants ainsi qu’aux enfants d’âge préscolaire.

Secours d’urgence : Cette activité sera liée aux opérations de secours d’urgence après la survenue de grandes catastrophes naturelles, telles que la sécheresse, les inondations, les cyclones, les tremblements de terre, ainsi que pour répondre aux défis que présentent les glissements de terrain.

Chacune de ces activités peut être dirigée par quatre groupes autonomes distincts de femmes et d’hommes au niveau local qui, par leur participation, aideront à combattre la faim. Les conseils et la supervision peuvent être assurés par un conseil de banque alimentaire pour la communauté multilatérale.

4. Centres de ressources des banques alimentaires

Pour que le mouvement de banques alimentaires réussisse, des directeurs de formation sont nécessaires pour développer les capacités de la communauté, superviser le conseil afin de mettre en place et surveiller les différents programmes. Les modules de formation devront être préparés dans ce but. Il faudra développer des logiciels de comptabilité et de surveillance, former les membres des groupes autonomes pour qu’ils sachent s’en servir et gérer les centres de connaissances assistées par ordinateur liés aux banques alimentaires. Quatre modules de formation différents, chacun ayant trait aux droits, au développement économique, à l’éthique et aux situations d’urgence, devront être mis au point pour que chaque groupe autonome soit dirigé par une personne spécialement formée. Un réseau d’institutions chargées de fournir les soutiens techniques, de direction et de formation aux responsables des groupes autonomes et des banques alimentaires devra être organisé dans chaque pays, avec l’engagement politique de combler, dès que possible, l’écart en matière de nutrition.

Pour conclure, les pays en transition ont aujourd’hui l’occasion d’améliorer la sécurité de la nutrition de chacun par l’intermédiaire de systèmes contrôlés, centrés sur la communauté. De tels systèmes peuvent permettre d’adopter une approche holistique de la nutrition, tels que les différents besoins durant les étapes de la vie ainsi que durant les différentes saisons des récoltes.

Les problèmes et les solutions sont connus. Maintenant, il est indispensable d’avoir des systèmes efficaces qui permettent d’enseigner des choses impossibles et d’inclure les exclus en termes d’âge, de sexe et d’occupation (le travail des enfants, les personnes travaillant dans le secteur non organisé).
M.S. Swaminathan occupe la chaire Cousteau en écotechnologie à l’UNESCO et est Président de la Fondation de Recherche M.S. Swaminathan à Madras (Inde).



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