Chronique | Logo


Le virus de l’Ebola ...
et les défis pour la recherche sur la santé en Afrique

Suite de la page précédente

Accueil
Dans ce numéro
Archives
Abonnez-vous
Vos réactions
L’institut guinéen
L’institut guinéen de recherche et de
biologie appliquée, à Kindia, en Guinée.

Si, dans de nombreux instituts africains, les chercheurs sont actuellement désœuvrés, ce n’est pas par laxisme. À chaque fois que j’en visite un, quelqu’un me propose de collaborer et, parfois même, me remet une proposition écrite pour que je donne mon avis. Elles ont souvent pour objet de mettre à jour les différences qui existent entre leurs ordres du jour et ceux des enquêteurs des pays industrialisés. À juste titre, les enquêteurs africains tendent à privilégier la recherche appliquée afin de répondre aux besoins des communautés africaines alors que les étrangers semblent s’intéresser davantage aux caractérisations moléculaires abstraites, la protection des voyageurs ou le danger posé par l’apparition d’une maladie transmissible dans leur pays.

Les deux approches sont importantes. Mais étant donné que le financement est assuré en grande partie par des donateurs étrangers, les projets de recherche sur la santé ne se traduisent pas toujours en avantages directs pour les pays africains. Seule une autonomie institutionnelle et financière permettra à ces pays de jouer un plus grand rôle dans l’établissement des ordres du jour.

Les obstacles à l’établissement de programmes de recherche ne sont pas tous scientifiques. Trop souvent, même lorsqu’il s’agit de transférer la technologie ou de mettre sur pied un projet de collaboration, il est difficile de trouver des partenaires compétents et responsables. Il convient de signaler, même si cela n’est pas politiquement correct, la corruption et les emplois inutiles qui ont paralysé un grand nombre de programmes. Je me souviens de la construction, dans une petite ville, d’une luxueuse maison de deux étages, une structure ultramoderne bâtie entre les huttes. “C’est la maison du chef du district”, m’ont expliqué mes compagnons.

“Il a reçu sa nomination le mois dernier.” Un exemple criant, peut-être, mais pas rare.

Il ne sera pas facile de changer les choses. Comme l’observait l’un de mes collègues africains à propos de la corruption : “Quand les gens se comportent comme des loups, on ne peut pas bêler comme un agneau.” Les questions de responsabilité ne sont, bien sûr, pas uniques aux pays en développement. Combien de fois, lorsque les études étaient terminées, les avantages académiques ont été accordés aux instituts de recherche des pays industrialisés et les profits investis dans de grands laboratoires pharmaceutiques, sans que les ministères de la santé africains ne puissent faire quoi que ce soit. Un meilleur leadership et une plus grande responsabilité sont nécessaires de part et d’autre. De plus, l’insécurité qui règne en Afrique paralyse souvent le développement scientifique. Dans un grand nombre de domaines, les solutions scientifiques au problème de santé sont liées aux solutions politiques de conflits de plus grande ampleur. Autre exemple des conséquences de la guerre civile, le projet de recherche du CDC sur la fièvre de Lassa en Sierra Leone a finalement pris fin après vingt ans de travail.

Un camp de réfugiés
Un camp de réfugiés en Sierra Leone.
Exemples d’instabilité civile et de
luttes sociales qui représentent des
défis pour les programmes de recherche.
En fait, tous les projets et toutes les réponses d’urgence auxquelles j’ai participé en Afrique ont dû faire face à l’insécurité civile. Étrangement, les fièvres virales hémorragiques et la violence vont de pair : le virus de Lassa en Sierra Leone, le virus de Marbourg dans la République démocratique du Congo, l’Ebola dans le nord de l’Ouganda. À Gulu, nous étions dans l’incapacité de suivre des cas suspects d’Ebola qui s’étaient déclarés dans les régions rurales, une escorte militaire étant nécessaire pour chaque déplacement à l’extérieur du centre de la ville. La violence qui sévit en Sierra Leone et au Liberia a gagné récemment la Guinée, menaçant le centre IRBAG-CDC qui y a été mis en place.

La recherche d’une solution

Par où commencer, quelles mesures prendre pour améliorer les problèmes de santé auxquels est confronté le continent africain?

Étant donné la diversité des problèmes et des pays, il n’y a pas de solution unique. Il est clair qu’on ne peut parler de l’Afrique comme d’une entité, réduisant le continent le plus varié du monde à quelques pays. Certains thèmes, cependant, pourraient s’appliquer à l’ensemble des pays africains.

Première proposition : les solutions aux problèmes de santé auxquels est confrontée l’Afrique résident tant dans le domaine des sciences politiques que dans celui des sciences biologiques. Ces problèmes, qu’ils soient biologiques, politiques ou sociaux, sont étroitement liés, pour ne pas dire “imbriqués les uns dans les autres”. Dès qu’une question de santé est abordée, l’aspect économique et politique, les traditions et les droits de l’homme entrent en jeu.

À cet égard, l’Ebola est atypique. C’est un virus pathogène apolitique qui tue sans discrimination. Les détails le concernant ainsi que ses réservoirs demeurent mystérieux, d’où la difficulté à faire des recommandations en matière de prévention. Mais, qu’on l’admette ou non, nous possédons le savoir scientifique nécessaire pour lutter contre la plupart des maladies, parfois même pour les éradiquer. Mettre les efforts politiques, économiques et sociaux au service de ce savoir est une autre paire de manches. Cela signifie non pas que les personnes impliquées doivent être compétentes dans tous les domaines mais qu’il faut instaurer un dialogue entre les pays du Nord et l’Afrique et reconnaître que les problèmes ainsi que les disciplines sont liés. Nous pourrons alors nous consacrer à la tâche qui nous incombe, façonner notre travail le mieux possible et essayer de l’inscrire dans un contexte plus large.

Il faut penser globalement, et agir localement. Ce qu’il faut, c’est un nouveau modèle “d’engagement”, ou le retour partiel à un ancien. Par le passé, les centres de recherche mis en place dans les pays en développement étaient souvent maintenus par les puissances coloniales, non sans un degré de paternalisme et de polémique. Au fil des ans, un grand nombre de ces unités ont fermé, privant aussi bien les chercheurs des pays industrialisés que ceux en développement de sites de formation consacrés à l’étude des virus pathogènes tropicaux. Il ne s’agit pas de revenir à l’époque coloniale mais il faut reconnaître que la fermeture de ces unités représente aussi une occasion manquée, une perte de savoir, un abandon de jeunes chercheurs dédiés à l’étude des virus pathogènes tropicaux.

Et si un gouvernement africain s’associait, par exemple, à un institut de recherche, à une ONG, à un laboratoire pharmaceutique ou bien à une entreprise de biotechnologie afin de s’attaquer ensemble à un problème de santé identifié. La formation et le transfert de la technologie, le développement de la recherche et des produits, la distribution de services pourraient s’inscrire dans un contexte plus large, après avoir défini un objectif commun. Chaque organisation prendrait l’engagement initial de mener à bien sa tâche puis passerait le relais au partenaire suivant. Les chercheurs et épidémiologistes en science fondamentale auraient enfin la satisfaction de savoir que leurs données ne seraient plus ignorées, comme c’est le cas actuellement, mais qu’elles seraient utilisées par les entreprises de biotechnologie pour fabriquer des produits fiables. De leur côté, les ONG et les ministères de la santé devraient nouer des partenariats pour s’assurer que ces produits seraient fournis dans les pays où ils sont le plus nécessaires. Cela prendra peut-être du temps, les budgets alloués changeant considérablement, mais est-ce plus problématique que le chemin indirect et fortuit suivi de nos jours pour mettre la recherche médicale au service de la santé?
Pour remplacer les centres de recherche établis à l’étranger, des projets à court terme sont souvent proposés qui se concrétisent par le transfert de la technologie dans les pays en développement et des bourses de formation accordées au personnel africain pour poursuivre leurs études dans les pays développés. Mais la question est plus complexe que d’envoyer des microscopes et d’accorder des bourses. Dans leur pays, les intellectuels ont besoin d’un cadre de travail attractif. Matériel, projets, collaborateurs, salaires, institutions, il faut leur donner les possibilités de travailler dans de bonnes conditions. Sinon, les graines de la productivité seront peut-être semées mais ne seront jamais récoltées. Il est ironique de constater que, souvent, ce sont les pays industrialisés qui bénéficient de cet exode des intellectuels qui choisissent de travailler dans un environnement académique plus fertile hors de leur pays d’origine.

Une chose est certaine : mettre la recherche scientifique au service de la santé nécessitera la création de partenariats qui comprendront un large éventail d’entreprises et de disciplines. Aucune entreprise n’est en mesure, à elle seule, d’offrir l’expertise et les services nécessaires, de mener des études de recherche en science fondamentale et en épidémiologie, de fabriquer des médicaments et des vaccins, de fournir des soins de santé et des services de secours. De plus, aucun mécanisme n’est en place, en Afrique ou ailleurs, pour mettre les avancées de la science fondamentale au service de la santé publique. La curiosité académique, les lois du marché libre et l’altruisme sont des facteurs qui contribuent parfois aux avancées de la santé. Mais, trop souvent aussi, on abandonne en cours de route.

Parfois nous possédons les connaissances qui permettent de développer un médicament ou un vaccin mais les informations ne sont pas exploitées. Ou bien, un médicament existe, mais les pays africains sont trop pauvres pour le fournir. Il arrive qu’une organisation gouvernementale ou non gouvernementale (ONG) identifie un problème ou un besoin, mais les moyens pour y faire face sont inexistants. Peut-être faudrait-il coordonner ces divers efforts en vue d’une solution efficace. Et si un gouvernement africain s’associait, par exemple, à un institut de recherche, à une ONG, à un laboratoire pharmaceutique ou bien à une entreprise de biotechnologie afin de s’attaquer ensemble à un problème de santé identifié? La formation et le transfert de la technologie, le développement de la recherche et des produits, la distribution de services pourraient s’inscrire dans un contexte plus large, après avoir défini un objectif commun. Chaque organisation prendrait l’engagement initial de mener à bien sa tâche puis passerait le relais au partenaire suivant. Les chercheurs et épidémiologistes en science fondamentale auraient enfin la satisfaction de savoir que leurs données ne seraient plus ignorées, comme c’est le cas actuellement, mais qu’elles seraient utilisées par les entreprises de biotechnologie pour fabriquer des produits fiables. De leur côté, les ONG et les ministères de la santé devraient nouer des partenariats pour s’assurer que ces produits seraient fournis dans les pays où ils sont le plus nécessaires. Cela prendra peut-être du temps, les budgets alloués changeant considérablement, mais est-ce plus problématique que le chemin indirect et fortuit suivi de nos jours pour mettre la recherche médicale au service de la santé?

Mais, malgré tout, il y a lieu d’espérer. L’Afrique dispose de nombreuses ressources, d’une grande diversité culturelle, d’une tradition de créativité, de persévérance ainsi que de richesses naturelles telles que les minéraux. Dans de nombreux pays africains, j’ai été particulièrement fasciné par la civilité, le dynamisme et la complexité de la structure sociale ainsi que par le respect des aînés, la solidité de la cellule familiale et le sens du devoir. Il faudra peut-être du temps, voire même des générations, pour apporter les réponses mais il faut, dès maintenant, chercher des solutions. Même les continents que nous considérons maintenant comme plus “développés” sont sortis de périodes complexes similaires à celles que connaît actuellement l’Afrique. Des expériences ont été couronnées de succès comme, par exemple, les initiatives de santé publique qui ont permis récemment de ralentir l’épidémie de sida en Ouganda. Même l’Ebola peut avoir un heureux dénouement, comme le prouve Onenchan Jones. Le jour précédent mon départ de Gulu, il est venu me voir à l’hôpital, accompagné de ses onze enfants. En bonne forme, le sourire aux lèvres, il m’a fait cadeau d’un poulet. Vous pouvez penser ce que vous voulez des tragédies qui surviennent en Afrique, mais je suis sûr que vous n’avez jamais vu quelqu’un aussi heureux de vivre.

“Comme dans un mauvais film d’action, il semble parfois qu’un grand nombre de pays africains, victimes de maladies, de catastrophes, de guerres, d’épidémies, invitent la misère. ”
Page précédente de l’article
Daniel Bausch est épidémiologiste au Département de virus pathogènes du Centers for Disease Control and Prevention à Atlanta, en Géorgie. Il est médecin spécialisé en médecine interne et en maladies infectieuses et possède une maîtrise en santé publique et en médecine tropicale. Spécialisé dans les fièvres virales hémorragiques, il possède une grande expérience en matière de recherche et de lutte contre les poussées endémiques en Afrique et en Amérique latine.



Accueil || Dans ce numéro || Archives || Abonnez-vous || Vos réactions

Créez un signet pour le site de la Chronique: http://www.un.org/french/pubs/chronique
Et vous pouvez adresser un courrier électronique: unchronicle@un.org
Site de la Chronique en anglais: http://www.un.org/chronicle

Chronique ONU: Copyright © 1997-2001 Nations Unies.
Tous droits réservés pour tous pays. Les articles de ce numéro peuvent être reproduits dans un but éducatif. Cependant aucune partie ne peut en être reproduite dans un but commercial sans l’autorisation expresse par écrit du Secrétaire du Conseil des publications, Bureau L-382C, Nations Unies, New York, NY 10017, Etats-Unis d’Amérique.