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L’INTERVIEW de Chronique ONU

“Pour de meilleures conditions de vie à Dar es Salaam”
Le développement urbain durable

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Le maire, Wilson Mukama, assis à son bureau
sur lequel est posé le Prix international de
Doubaï pour les meilleures pratiques mises en
place pour améliorer les conditions de vie.
Wilson Mukama est à la tête du conseil municipal de Dar es Salaam. Son Programme d’infrastructure communautaire - établi en 1995 dans le cadre du Projet de développement durable à Dar es Salaam et destiné à accroître la capacité du Conseil municipal dans les domaines de la planification et de la gestion de la croissance et du développement urbains - a reçu le Prix international de Doubaï pour les meilleures pratiques mises en place pour améliorer le cadre de vie. "Je voudrais que Dar es Salaam bénéficie de meilleures conditions de vie - en termes de sécurité, bien entendu, mais surtout en termes de niveau de vie, explique le maire. Selon sa vision, "une ville plus planifiée" est une "ville plus facile à gérer, plus propre et plus sûre". Horst Rutsch, de la Chronique ONU, s’est entretenu avec M. Mukama, le 28 février 2001, à Dar es Salaam.

Sur le développement durable de la ville et la planification régionale
L’urbanisation rapide n’est pas un problème spécifique à Dar es Salaam. Un grand nombre de villes des pays en développement font également face à ce phénomène. Chaque jour, des centaines, voire des milliers de personnes, quittent les zones rurales pour s’installer dans les villes. Cette importante migration mine souvent les efforts menés par les gouvernements locaux afin de fournir des services adéquats aux habitants de la ville. C’est d’autant plus difficile que la plupart de ces migrants s’installent dans les grandes villes des pays en développement. Dans notre cas, seule une collaboration entre la municipalité et le gouvernement central permettra de ralentir ce flux.

Il faut considérer Dar es Salaam non pas comme un espace de développement mais comme une région économique dans laquelle nous devons développer des villes satellites. En d’autres termes, nous devons promouvoir le développement à l’extérieur de la ville. En Europe et aux États-Unis, les urbanistes conseillent généralement de construire de nouvelles villes. Mais ici, c’est plus difficile. Pourtant, nous avons déjà développé quelques villes satellites. Mais c’est au niveau de la planification urbaine, du développement de Dar es Salaam en tant que région économique, que le gouvernement central a un rôle à jouer. Nous avons une capitale régionale, Kibaha, qui est à environ 45 km, et d’autres centres urbains dans un rayon de 100 à 120 km - qui forment la périphérie de Dar es Salaam. Si nous voulons réduire le flux de migrants vers la ville, nous devons, en même temps, développer ces centres urbains.

Il faut, bien entendu, examiner les causes fondamentales des problèmes ruraux. Nous devons encourager les jeunes à rester dans les zones rurales de façon à réduire l’immigration vers Dar es Salaam. Pour ce faire, il faut développer des activités économiques adéquates - une culture commerciale, des conditions de vie satisfaisantes et l’accès à des services tels que l’éducation, la santé et l’approvisionnement en eau potable, qui attirent généralement les jeunes gens. Ils seraient moins tentés de quitter leur région si ces services étaient disponibles dans ces zones, si des activités économiques génératrices de revenus étaient développées - cultures et vente des produits. La plupart de ces jeunes hommes, qui vendent à la sauvette des produits sur les routes, viennent du Sud. Traditionnellement, le Sud, insuffisamment engagé dans une culture commerciale adéquate, a toujours été moins développé. Mais avec l’introduction de la culture de la noix de cajou, la plupart des villes du Sud ont enregistré un taux de croissance élevé. Les gens retournent donc chez eux parce qu’ils peuvent enfin trouver du travail.

Sur la coopération entre le gouvernement central et les autorités locales
À moins de collaborer avec le gouvernement central, les autorités locales ne peuvent pas faire face à la situation. La Tanzanie a transformé sa politique : le développement urbain n’est plus concentré seulement à Dar es Salaam. Les centres urbains, tels que Dodoma, Arusha, Mwanza, Mbeya, sont devenus des centres de croissance économique, ce qui aide notre capitale. Dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, le développement est concentré en grande partie dans la capitale ; mais cela n’est pas le cas en Tanzanie. D’abord, la capitale du pays n’est pas Dar es Salaam mais Dodoma, qui fait partie du développement de la région centrale de notre pays. Et nous avons aussi d’autres centres commerciaux en pleine expansion tels que Moshe, Arusha, Tanga, Mwanza. Arusha, par exemple, abrite un certain nombre d’institutions internationales telles que la Cour criminelle internationale pour le Rwanda. Mwanza a changé de statut et est désormais considérée comme une ville. À Dar es Salaam, le Secrétariat régional du gouvernement central, qui coordonne toutes les activités gouvernementales au sein des villes, collabore avec les autorités locales. Ensemble, nous examinons des questions telles que le chômage et la surpopulation à Dar es Salaam. Le gouvernement central travaille également étroitement avec les autres autorités régionales, dans notre cas, la région côtière et Morogoro.

Sur la gestion des ordures ménagères
Nous avons récemment décidé de nous attaquer ensemble au problème de la gestion des ordures. Il faut voir grand et unir nos efforts à ceux des autres régions. Nous envisageons même d’utiliser notre système ferroviaire en nous servant de certains wagons pour acheminer les ordures vers certains points d’où elles seraient transportées par camion vers la décharge publique. De cette façon, nous pourrions éviter un certain nombre de difficultés liées à leur gestion - qui représente actuellement un problème de taille. Il ne sera pas possible de trouver une solution permanente à ce problème, à moins de travailler étroitement avec le gouvernement central. Nous n’avons pas pu ouvrir la plupart des sites de décharge que nous avions approuvés à cause des injonctions du tribunal. Les gens sont de plus en plus conscients des problèmes écologiques - ils ne veulent pas vivre dans un environnement pollué et qui empeste, ni à proximité d’une décharge publique. Il faut donc trouver une solution. La gestion d’une décharge moderne nécessitant des investissements très importants, même dans la ville de Dar es Salaam, nous devons mettre en commun nos ressources si nous voulons que les installations soient efficaces et modernes. La solution à long terme est de mobiliser nos ressources et de travailler étroitement avec les autres régions ou avec les villes avoisinantes.

Dar es Salaam
Vue de Dar es Salaam

Sur l’importance des initiatives locales
Les habitants ont de plus en plus conscience de l’importance de l’environnement sur leurs conditions de vie. Les initiatives locales jouent un rôle important dans ce sens et permettent d’intégrer ces nouvelles pratiques environnementales dans le mode de vie de la région. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est de la maintenance car ce sont les activités quotidiennes qui, finalement, déterminent le succès d’un projet. Il ne fait aucun doute que les actions menées au niveau local sont plus efficaces. Mais elles pâtissent aussi du manque d’expérience et de compétences. C’est pourquoi il est important d’apprendre des expériences des autres, et c’est en ce sens que les échanges avec la communauté internationale sont capitaux. Surtout pour ce qui est des meilleures pratiques - l’idée de tirer profit des projets urbains est utile car on n’a pas à partir de zéro. Les autres villes ont eu à faire face à ces problèmes et nous avons la chance de pouvoir partager leurs expériences, de connaître les moyens mis en œuvre pour les résoudre.

Toutefois, il faut veiller à ce que l’aide ne crée pas une culture de dépendance. C’est tout un système de valeurs qu’il faut changer. Nous voulons que les donateurs internationaux nous aident à construire de l’intérieur les capacités nécessaires de façon à les posséder et à les partager avec les autres membres de la communauté. Ces communautés devraient par la suite prendre une part active aux activités. Elles devraient, par exemple, contribuer à la construction de systèmes d’égouts et de routes, entreprises qui permettraient de leur donner un sens de la propriété. Cela ne peut pas venir de l’extérieur. Il faut développer ce type d’initiatives, les adapter au niveau local, car si nous n’intégrons pas le développement dans la région, cela posera un problème.

Sur les leçons tirées des meilleures pratiques
Pendant l’année où j’ai assumé les fonctions de Directeur du Conseil municipal de Dar es Salaam, j’ai beaucoup appris des conférences internationales. Quelques-unes des meilleures pratiques ont contribué à me faire mieux comprendre la manière dont les autorités locales s’y prennent pour faire participer leurs citoyens, spécialement dans le domaine de la gouvernance. L’interaction est maintenant plus horizontale et plus ouverte, beaucoup moins hiérarchique qu’avant. Des groupes de citoyens se font entendre, comme nous l’avons vu à Porto Allegre (Brésil) et à Lima (Pérou). Pour qu’une administration locale soit performante, il faut que l’autorité locale soit une organisation qui évolue. Si elle se ferme à tous les changements, elle stagnera, ne progressera pas.

Sur les priorités de la ville de Dar es Salaam
Je voudrais que Dar es Salaam bénéficie de meilleures conditions de vie - en termes de sécurité, bien entendu, mais surtout en termes de niveau de vie. En d’autres termes, une ville dont les habitants ont des revenus satisfaisants qui leur permettent de payer les divers services qui leur sont offerts - logement, transport, espace de loisirs. Nous avons l’intention de réaménager certains quartiers, parce que si nous n’avons pas suffisamment d’espaces verts, nous allons étouffer. Nous tentons de rendre nos plages plus sûres et plus propres pour que les citadins puissent s’y détendre. Il n’y a aucune raison pour qu’ils passent leurs moments de loisirs chez eux parce qu’ils n’ont pas d’autres choix. Nous avons besoin de plus d’espaces verts, avec des jardins et des zones de jeux.

Nous travaillons en vue de mettre en œuvre le processus de planification de la ville. Nos efforts sont centrés, en premier lieu, sur des logements adéquats et à des prix abordables. Les prix de l’immobilier augmentent; nous cherchons donc d’autres moyens pour aider les gens. Le gouvernement envisage de rétablir la Banque pour les logements qui accorderait des prêts à de meilleures conditions. Nous voulons également améliorer le système de transport urbain, en mettant l’accent sur les transports en commun. Il n’est pas encore suffisamment admis que les transports publics sont aussi efficaces que la voiture. Il faut donc changer les mentalités : éviter d’aller en ville en voiture pendant la semaine, et utiliser sa voiture le samedi ou le dimanche, lorsqu’il y a moins de circulation. Cette ville doit être mieux gérée, moins chaotique.

Et, surtout, être plus propre, parce qu’une ville qui n’a pas instauré un minimum de normes environnementales aura des difficultés à attirer les investisseurs. Il faut qu’elle soit une destination d’investissements qui généreraient suffisamment d’activités pour créer des emplois. Dar es Salaam compte actuellement 3,4 millions d’habitants - en ne comptant que les résidents - la population flottante étant de 5 millions environ. Dans nos efforts de planification, il nous faut prendre en compte cette situation, nous assurer que les lois et les règlements reflètent cette réalité afin de réduire la criminalité et faire de Dar es Salaam une ville plus sûre.

Sur le Programme pour une ville plus sûre
Le Programme pour des villes plus sûres a été un succès dans plusieurs domaines. Il a permis à la population de prendre davantage conscience de la criminalité. D’une part, les habitants sont de plus en plus conscients des violences dont sont victimes les groupes vulnérables, tels que les femmes et les enfants, dans notre société et, d’autre part, ils ont appris à les combattre, réalisant qu’une plus grande participation de la communauté était nécessaire pour assurer une meilleure protection. La communauté a pris les choses en main et les résultats sont positifs. Auparavant, le maintien de l’ordre était considéré comme un domaine réservé à la police nationale. Aujourd’hui, la population participe davantage et n’attend plus que le gouvernement central ou les autorités locales interviennent pour maintenir l’ordre. Elle est même prête à contribuer financièrement pour assumer les frais.

Le Programme pour une ville plus sûre a aussi conduit à la formation de groupes qui travaillent avec les jeunes afin de les détourner des activités criminelles en leur offrant des cours de formation et en les encourageant à apprendre un métier. Certains de ces groupes communautaires participent au développement d’activités qui génèrent des revenus pour aider ces jeunes à changer leur vie. Ceux-ci comprennent que pour ne pas être désœuvrés, il faut qu’ils s’engagent à développer ce genre d’activités. C’est un domaine où il est possible de mesurer le succès.




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