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Quinze ans après. Vivre après Tchernobyl


Par Lars-Erik Holm

Le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) a été créé en 1955 avec, comme mandat défini par l'Assemblée générale des Nations Unies, d'évaluer et de communiquer les doses et les effets de l'exposition aux rayonnements ionisants.


 
Mikael Jensen/SRPI  
Au cours des dernières années, le Comité a entrepris une étude approfondie sur les sources et les effets des rayonnements ionisants. Le rapport qu'il vient d'adopter pour 2000 et qu'il a présenté à l'Assemblée générale résume les développements en matière d'irradiation au cours des années précédant le nouveau millénaire. Ce rapport comporte dix annexes scientifiques qui proposent des études et des évaluations appronfondies sur l'exposition aux rayonnements d'origine naturelles, artificielles, médicales et professionnelles; les risques de cancer liés aux rayonnements; la réparation de l'ADN; les effets à faibles doses; et les effets conjugués des rayonnements et d'autres agents. Une annexe est spécialement consacrée à une évaluation des conséquences de l'exposition aux rayonnements de l'accident de Tchernobyl.

L'accident de l'usine nucléaire de Tchernobyl, qui s'est produit en 1986, est le plus grave en matière d'exposition aux rayonnements ionisants. Il a contaminé les régions alentour, le Bélarus, la Fédération russe et l'Ukraine, a entraîné des changements à long terme dans la vie des populations des régions contaminées en raison des mesures prises pour limiter l'exposition aux rayonnements, telles que l'évacuation des personnes, les changements en matière de ressources vivrières et la restriction des activités des personnes et des familles. Puis, vinrent s'ajouter les bouleversements économiques, sociaux et politiques qui ont eu lieu lors du démantèlement de l'ex-Union soviétique.

Sur les 600 employés présents sur le site le 26 avril 1986, 134 ont reçu des doses élevées d'irradiation et souffert du mal des rayons. Parmi ces dernières, 28 personnes sont mortes dans les trois premiers mois et 2 autres très peu de temps après. En outre, environ 200 000 personnes travaillant à des opérations de récupération ont été exposés à des doses comprises entre 0,01 et 0,5 Gy. Etant donné les risques de cancer à long terme, ce groupe fait l'objet d'un suivi minutieux.

Trois radionucléides étaient concernés : l'iode 131, le césium 134 et le césium 137. L'iode 131 peut pénétrer dans l'organisme par l'air, le lait et les légumes à feuilles.

Pour des raisons liées à l'ingestion de ces aliments, à la masse de la glande thyroïde et au métabolisme chez l'enfant, les doses d'irradiation sont généralement plus élevées dans ce groupe d'âge que chez les adultes. Les isotopes du césium ayant une période radioactive relativement longue, les populations sont continuellement exposées par l'ingestion d'aliments contaminés et l'irradiation externe à la surface du sol. Un grand nombre de radionucléides liés à l'accident ont été pris en compte dans les évaluations des rayonnements.

La plupart des études épidémiologiques faites à ce jour sont descriptives. La dosimétrie individuelle n'étant généralement pas disponible, il est difficile de déterminer si les effets sont liés aux rayonnements, et il est impossible d'estimer de manière fiable les risques de cancer. La reconstitution des doses individuelles est donc cruciale pour les futures recherches. Les doses moyennes des personnes les plus exposées étaient les suivantes : 240 000 personnes travaillant à des opérations de récupération ont reçu des doses approximatives de 100 mSv, 116 000 personnes évacuées en ont reçu 30 mSv et, pendant les dix premières années qui ont suivi l'accident, les personnes ayant vécu dans les zones contaminées du Bélarus, de la Fédération russe et de l'Ukraine ont reçu des doses de 10 mSv. Les valeurs maximales de la dose peuvent être d'un ordre de grandeur plus élevé. Dans d'autres pays européens, les doses étaient, au plus, de 1 mSv dans la première année qui a suivi l'accident, avec des doses en baisse dans les années suivantes. Celles-ci sont comparables à une dose annuelle de rayonnements naturels et ont peu de conséquences sur la santé.

Au total, 1 800 cancers de la thyroïde ont été signalés chez des personnes exposées dans leur enfance, en particulier dans les zones très contaminées des trois pays touchés. Si la tendance actuelle continue, de nombreux cas pourront se déclarer au cours des prochaines décennies, spécialement chez ceux qui ont été exposés dans leur plus jeune âge. Indépendamment des problèmes liés au dépistage, ces cancers ont été probablement causés par l'exposition aux rayonnements au moment de l'accident. Mis à part cette augmentation des cancers de la thyroïde, aucune augmentation de la fréquence des cancers ou de la mortalité n'a été constatée, pas même parmi les personnes travaillant à des opérations de récupération. L'accident a bouleversé la vie sociale et l'équilibre psychologique des personnes concernées mais aucune augmentation des maladies bénignes ne peut être attribuée aux irradiations. Cependant, l'accident a eu des répercussions psychologiques importantes - pas tant en raison des doses de rayonnements que de la peur suscitée par les rayonnements ionisants.

On a tendance à attribuer l'augmentation du nombre de cancers à l'accident de Tchernobyl. Or, ce nombre était déjà en hausse dans les zones touchées avant l'accident. De surcroît, une augmentation de la mortalité a été constatée au cours des dernières années dans la plupart des régions de l'ex-Union Soviétique. Il est important de prendre ce fait en compte lors de l'interprétation des résultats des études liées à Tchernobyl.

L'accident de Tchernobyl pourrait mettre en lumière les effets à long terme d'une exposition prolongée mais, étant donné les faibles doses reçues par la majorité des personnes exposées, toute augmentation du nombre de cancers ou de la mortalité sera difficile à discerner dans des études épidémiologiques.

De nombreux problèmes de santé autres que le cancer ont été observés dans les populations. Mais il est peu probable qu'ils soient liés aux rayonnements ionisants. Du point de vue scientifique, il est nécessaire d'évaluer et de comprendre les causes techniques et les conséquences de l'accident sur la santé. Du point de vue humain, il est également indispensable de fournir une analyse objective de ces conséquences sur la santé des personnes concernées. Notre futur défi sera de faire une estimation dosimétrique individuelle, y compris une estimation approximative, et de déterminer les effets des doses accumulées dans les zones contaminées au cours d'une longue période.

Résumé analytique : Réhabiliter la région de Semipalatinsk

Après 40 ans d'essais nucléaires effectués dans la région, Semipalatinsk a accueilli favorablement les efforts des Nations Unies visant à revitaliser les activités humaines, écologiques et économiques.

Semipalatinsk, qui s'étend le long de la rivière de l'Irtish, au Kazakhstan, a été le principal site d'essais nucléaires de l'Union soviétique depuis la première explosion en 1949. Pendant 40 ans, l'équivalent de 17 400 000 tonnes de trinitrotoluène ont explosé sur une superficie de 18 500 km2, dite le Polygone. Entre 1949 et 1963, 116 tests ont été effectués dans l'atmosphère. Puis, le Traité d'interdiction des essais nucléaires dans l'atmosphère, l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau, signé par l'Union soviétique en 1963, a limité les essais nucléaires à des sites souterrains. L'impact de ces tests sur l'environnement inclut le déversement de gaz radioactifs dans l'atmosphère, la contamination des relations écologiques et même la création du lac Balapan - le "lac atomique" - et finalement, et non des moindres, la santé de la population exposée aux rayonnements. En août 1991, suite à un décret présidentiel, le site a été fermé, mais le mal était fait.

En 1992, le Kazakhstan a reconnu que 1,6 million de personnes avaient été irradiées à la suite des essais nucléaires. En 1998, avec la prise en compte du taux de natalité et de mortalité ainsi que du nombre de personnes ayant émigré, le chiffre était de 1,2 million. Dans la loi de 1992 sur la protection sociale des citoyens et des victimes au site d'essais nucléaires de Semipalatinsk, le gouvernement a recensé environ 67 000 personnes vivant dans 19 villages parmi les personnes ayant reçu des doses importantes de rayonnements, soit une dose de plus de 1 sievert, et une dose maximale de 2,9 sieverts. Près de 27 000 personnes de ce groupe ont survécu.

Reconnaissant la gravité de la situation, l'Assemblée générale a adopté la résolution 52/169 M en 1997 appelant la communauté internationale à soutenir les efforts du gouvernement du Kazakhstan visant à répondre aux besoins des personnes qui avaient été exposées aux rayonnements depuis l'existence du Polygone. Dans le courant de 1998, une mission commune a été organisée afin d'évaluer les conséquences des essais nucléaires. Les participants comprenaient le gouvernement du Kazakhstan, les institutions des Nations Unies, telles que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUP), l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), le Programme des Volontaires des Nations Unies, l'Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, l'Organisation internationale du travail (OIT) et d'autres participants de la communauté internationale. L'évaluation, qui a porté sur quatre domaines, l'environnement, la santé, la relance économique et l'aide humanitaire, a fait l'objet d'un rapport spécial du Secrétaire général, présenté en 1998 devant l'Assemblée générale.

En 1999, un Plan d'action national, s'appuyant sur les résultats de la mission, a été mis sur pied par le gouvernement avec le concours du PNUD. La première action, qui a fait suite au rapport spécial du Secrétaire général, a été la Conférence internationale, organisée conjointement et parrainée par le PNUD et le gouvernement du Japon, qui s'est tenue à Tokyo en septembre 1999. Le Japon, le Conseil général des ministres mondiaux, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, la Banque mondiale et les institutions de l'ONU se sont engagés à verser une contribution prioritaire de 20 millions de dollars sur les 43 millions accordés au Programme de secours et de réhabilitation de Semipalatinsk.



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Lars-Erik Holm est Directeur général de l'Institut suédois de protection contre les irradiations et est actuellement Président de l'UNSCEAR.

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