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L'INTERVIEW de Chronique ONU

Fort d'une vaste expérience politique, le nouveau président de la 55e session de l'Assemblée générale des Nations Unies — l'Assemblée du millénaire — jouit d'une solide réputation en tant que médiateur habile à obtenir un consensus. M. Harri Holkeri, fut Premier ministre de Finlande de 1987 à 1991 et dirigea un gouvernement de coalition composé de conservateurs et de sociaux démocrates. Figure politique la plus connue et la plus prestigieuse du parti conservateur au cours des dernières décennies, il a été nommé à plusieurs postes politiques et économiques au service de son pays et de la communauté internationale.

De 1995 à 1998, en tant que membre de l'Organe international — un groupe créé par les gouvernements du Royaume-Uni et d'Irlande, chargé de superviser le processus de remises des armes illégales en Irlande du Nord — M. Holkeri fut l'un des trois présidents indépendants chargés de présider des négociations de paix multipartites et contribua au succès du processus de paix. Né en 1937, il grandit dans la petite ville de Tojala où son père était agent de police. Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques à l'université d'Helsinki, il fut membre de la délégation finnoise auprès de l'Assemblée générale de 1963 à 1965. La philosophie politique "Les décisions faciles ne peuvent se prendre que si l'on s'engage d'abord à trouver des solutions difficiles " lui a servi de guide durant toute sa vie politique. Horst Rutsch, Inga Eggers et Sven T. Siefken de la Chronique ONU se sont entretenus le 5 juillet avec M. Holkeri.



C'est un moment très spécial pour présider l'Assemblée générale.

J'espère sincèrement que le Sommet du millénaire donnera un nouvel élan aux travaux des Nations Unies, en particulier à la 55e session de l'Assemblée générale. A la lumière du Rapport du millénaire du Secrétaire général, j'ai fondé de grands espoirs sur le Sommet. Et j'espère que l'Assemblée du millénaire veillera à la mise en œuvre des idées présentées dans la Déclaration du Sommet.

Certes, je sais déjà que j'ai à affronter certains problèmes. Il y a, par exemple, les questions budgétaires, et plus spécialement le barème des quote-parts. Il s'agit d'un problème très critique qui doit néanmoins être résolu avant la fin de l'année. Et puis, il y a des problèmes plus sérieux comme la réforme du Conseil de sécurité —des questions que le président de l'Assemblée générale doit au moins ne pas perdre de vue. Il reste à déterminer quels sont les véritables problèmes, mais les défis et obstacles sont nombreux. Essayons donc de changer les obstacles en avantages.

Les Finlandais font preuve de transparence et d'ouverture d'esprit dans leur manière de prendre des décisions politiques. Je pense pouvoir me considérer comme un décideur politique. Que l'on soit président, ici ou ailleurs, quel est le principal défi pour celui qui préside une réunion ? Ce n'est pas la discussion — la discussion n'est qu'un outil. On vise un objectif. Le but final doit être de prendre une décision. Votre point de vue personnel sur une question n'est pas toujours très important, même s'il l'est pour vous en tant que personne. Pour obtenir une décision, il faut parfois savoir mettre ses propres idées et points de vues de côté.

Lorsque je m'occupais des problèmes internes de la Finlande, je procédais de la sorte — réunir les gens et les faire travailler ensemble au lieu de de se disputer. Dans les négociations politiques, certaines règles sont importantes. La première règle, c'est de créer un climat de confiance entre les parties. On constate généralement un manque de confiance lors des crises internationales ou nationales. Pour obtenir des résultats, il faut changer les mentalités. Cela semble idéaliste, et cela l'est, mais il faut que le message soit clair : si la confiance fait défaut, si l'on ne s'attache pas à instaurer la confiance entre les parties, on ne réussira jamais.

D'un côté, il s'agit d'instaurer la confiance et, de l'autre, de faire preuve de volonté politique.

Tout à fait. Nous avons les outils mais nous devons apprendre à les utiliser — c'est ma philosophie politique. Quelquefois, cela commence par le lieu. Par exemple, j'ai travaillé avec les gouvernements britanniques et irlandais dans le processus de paix en Irlande du Nord. J'ai toujours dit à tous ceux que je côtoyais là-bas et aux autres présidents que mon opinion sur "qui a raison et qui a tort" n'avait rien à voir avec le fait que nous devons réunir ces peuples qui sont opposés l'un à l'autre afin de transformer l'antagonisme en coopération — et, dans une certaine mesure, nous avons réussi. Au début, en Irlande du Nord, les parties opposées ne voulaient pas se trouver ensemble dans la même pièce mais nous avons finalement réussi à les réunir autour d'une même table. Elles ne se parlaient pas et s'adressaient seulement aux présidents. Et puis finalement elles se sont parlées. Elles se sont aperçues qu'elles pouvaient accepter certains points de vue. C'est là que commence l'instauration du consensus. Certes, vous avez vos propres convictions personnelles mais le négociateur en face de vous a aussi les siennes. Si vous n'acceptez pas les idées des autres, vous ne pouvez pas mener à bien votre propre tâche. Seul, vous ne pouvez pas obtenir de résultats, et cela dépend de vous. Bien sûr, le processus n'est pas si simple mais c'est ainsi qu'il fonctionne. Si vous arrivez à une table de négociations en disant que vous avez la solution, qu'il n'existe qu'une seule et unique solution, si vous n'êtes pas prêt à accepter d'autres points de vue, vous n'obtiendrez rien.

En d'autres termes, le conflit en Irlande du Nord illustre un antagonisme politique en général ?

L'Irlande du Nord est un cas en soi, mais il n'est pas unique. Cet antagonisme entre les unionistes et les nationalistes ou tel qu'on les appelle, les Protestants et les Catholiques, existe au moins depuis 800 ans. Au début, ce n'était pas une question de protestantisme ou de catholicisme parce que l'Eglise catholique était la seule église à ce moment-là — c'était un conflit nationaliste. Mais dans chaque pays européen, y compris le mien, il y eut des problèmes au cours de l'histoire où la société était aussi divisée. Il y a un peu moins de cent ans, une guerre civile a éclaté en Finlande, comme en Irlande. Si vous examinez l'histoire des nations nouvellement indépendantes, vous remarquerez que, malheureusement, la guerre civile est presque toujours présente, même aux Etats-Unis. Dans ce pays, la guerre civile n'a pas éclaté immédiatement mais elle présentait des ressemblances avec celle qui a eu lieu dans mon pays ou en Irlande. En examinant l'histoire des différentes nations, on constate que la violence et l'usage de la force, et bien souvent les guerres civiles, font partie de leur héritage. Ce sont les traditions de l'humanité. En Finlande, nous avons beaucoup appris de notre guerre civile. Lorsque j'étais jeune, les blessures étaient visibles, quand le pays était divisé entre les communistes et les démocrates. Mais ma génération a connu la deuxième guerre mondiale et cela a unifié la nation. Les blessures sont désormais pansées.

Depuis que la Finlande s'est jointe aux Nations Unies en 1955, elle a participé à des opérations du maintien de la paix dans le monde entier.

Au vu de la participation des Finlandais aux opérations du maintien de la paix à Suez, à Chypre et dans de nombreux autres lieux, on peut dire que nous jouons un rôle important à cet égard. Et ce n'est pas tout. Nous nous occupons aussi d'autres problèmes qui ne font pas strictement partie du maintien de la paix. L'imposition de la paix par exemple, qui est une opération beaucoup plus difficile.

La Finlande a été le premier pays à accorder les droits politiques aux femmes et aujourd'hui, ce sont deux femmes qui sont à la tête du gouvernement et du Parlement.

La présidente actuelle de la République finnoise, Madame Tarja Halonen, était ministre dans mon Cabinet. Elle fut d'abord ministre des Services sociaux puis ministre de la Justice. C'est une femme très compétente. C'est un exemple parfait de l'égalité politique entre les femmes et les hommes en Finlande. Nous ne nous considérons pas par rapport à notre sexe, et cela se reflète d'ailleurs dans notre langue. Nous n'avons qu'un seul mot pour désigner "il" ou "elle". C'est donc héréditaire. C'est notre façon fondamentale de penser. Les quelques problèmes qui existent dans le domaine des droits de la femme sont d'une importance minime si vous considérez notre système et notre situation dans leur ensemble. Bien entendu, les hommes et les femmes ont leurs propres rôles dans leurs familles et dans les affaires de tous les jours. Leurs rôles sont différents mais leurs droits sont égaux.

L'Assemblée générale peut-elle jouer un rôle important dans la promotion de l'égalité des droits ?

Je pense que l'Assemblée générale offre un forum où ces questions peuvent être présentées et discutées. A mon avis, l'une des grandes questions du développement dans le monde auxquels sont liées la plupart des autres problèmes est l'éducation des filles. Nous savons, de par notre expérience, que c'est la question la plus essentielle mais malheureusement ce n'est pas le cas dans de nombreux pays. S'il y a une chose que je voudrais faire en tant que président de l'Assemblée générale, c'est donner la priorité à l'éducation.

Cette question est liée à une autre préoccupation primordiale des Nations Unies, à savoir l'élimination de la pauvreté, problème qui touche principalement les femmes des pays en développement.

Tout à fait. C'est l'éducation qui permet une vie meilleure pour les femmes et pour tous. Je ne veux pas parler de la surpopulation ou de la régulation des naissances mais je pense que l'éducation est une manière de donner un nouvel élan à la question de la pauvreté. Et la question des droits de l'homme en général commence par l'éducation.

Votre carrière internationale est liée aux Nations Unies depuis le début des années 60.

Je venais de terminer mes études universitaires quand j'ai eu l'occasion de venir travailler ici. Bien entendu, mon travail était contrôlé par de vrais experts mais, par exemple, j'ai été affecté au Cinquième comité. J'y étais seul. Ce n'était pas toujours si facile que ça (rires). J'étais le représentant de la Finlande. L'ambassadeur alors en poste, M. Ralph Enckell, célèbre figure de la diplomatie finlandaise, m'a ensuite dit : "Je vous ai affecté à ce poste parce que je voulais que vous appreniez quelque chose." Et je pense l'avoir fait, au moins un peu.

Quelle est la différence la plus frappante entre votre expérience à cette époque et votre vue sur les Nations Unies aujourd'hui ?

Je viens de relire un article que j'avais écrit en 1964 et je pense qu'il est toujours actuel. Il n'y a donc pas une grande différence. De nombreux points qui figuraient à l'ordre du jour il y a 37 ans, lorsque j'ai commencé à l'ONU, sont toujours les mêmes. Lorsque j'étais un jeune homme et membre de la délégation finlandaise aux sessions de l'Assemblée générale, au début des années 60, la plupart des questions à l'ordre du jour étaient les mêmes qu'aujourd'hui. Mais il y a des questions qui sont incontournables, telles que le développement et les droits de l'homme. Certes, la liste est bien plus longue mais les préoccupations n'ont pas changé. Il me semble que seules deux ou trois questions ont été abandonnées : les questions de tutelle par exemple, celles relatives aux pays divisés tels que l'Allemagne et la Corée, et l'apartheid — mais l'apartheid est venu plus tard. En tant qu'organisation, les Nations Unies se sont considérablement développées. Il crois qu'il y avait alors 11 Etats Membres alors qu'ils sont actuellement 189. Aujourd'hui, les discussions au sein de l'Assemblée générale sont davantage orientées sur les questions du développement. Celles-ci étaient déjà présentes à l'époque mais les questions des droits de l'homme et du développement jouent un rôle beaucoup plus important aujourd'hui.

Je connais très bien la situation financière des Nations Unies. En 1964, j'ai été également nommé membre de la délégation finlandaise mais nous ne sommes jamais venus à New York parce que l'Assemblée générale a été pratiquement annulée en raison de la crise financière de l'Organisation. Aujourd'hui, nous faisons face à des problèmes similaires mais ils n'ont pas la même ampleur. Le manque de fonds de l'Organisation est cependant toujours réel.

Vous avez six petits-enfants. A votre avis, quel sera le monde auquel ils seront confrontés lorsqu'ils auront votre âge ?

C'est une question très importante. Je me souviens que lorsque mon fils est né en 1962, j'ai écrit une lettre à mon grand-père pour lui dire combien j'étais heureux et en même temps inquiet. Il y avait alors de nombreux problèmes qui semblaient assez graves. J'ai maintenant six petits-enfants merveilleux, âgés de neuf à deux ans à demi. Dimanche dernier, j'étais en compagnie de trois d'entre eux. Nous avons fait un agréable pique-nique et discuté des problèmes dans le monde. Le plus âgé, qui a 9 ans, m'a demandé : "A ton avis, qu'est-ce que je ferai quand je serai grand ?" " Je ne peux pas te donner de conseil. Qu'est-ce que tu aimerais faire ?" lui ai-je dit. " Je ne sais pas" a-t-il répondu, "mais je ne veux pas être ingénieur (son père est ingénieur dans l'aéronautique) ou politicien". Je lui ai demandé pourquoi. "Parce que mon père n'est jamais à la maison et que tu as tellement de choses à faire que tu voyages constamment. Je veux faire autre chose". (Rires). Il a dit qu'il voulait être médecin parce que les docteurs aident les gens. "Alors, sois médecin" lui ai-je répondu.

Je pense qu'il existe des problèmes sérieux. Les questions de l'environnement m'inquiètent beaucoup même si, dans la société finlandaise, nous ne sommes pas confrontés aux problèmes les plus urgents. Pour prendre un exemple, la mer Baltique est de plus en plus polluée parce que la population côtière ne la protège pas suffisamment. C'est pourtant un élément crucial de la vie pour les pays comme la Finlande et les autres Etats baltes comme la Suède ; elle a toujours été le lien qui relie le nord de l'Europe. Et ce problème me préoccupe beaucoup. Que va-t-il se produire si la pollution continue ? Ce n'est qu'un exemple, mais c'est un grave problème pour moi ainsi que pour tous ceux qui vivront en Finlande, y compris mes petits-enfants. En tant qu'individus, nous ne pouvons peut-être pas faire grand-chose à l'échelon mondial mais nous devons commencer à instaurer le changement à cet égard en appliquant ce que nous préconisons — c'est mon point de vue.


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