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L'INTERVIEW de Chronique ONU

Sam Nujoma est Président de la Namibie depuis 1990. Leader fondateur de l'Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO), il est né à Ovamboland dans une famille de paysans. En exil de 1959 à 1989, il a été élu Président de la Namibie lors des premières élections libres, supervisées pour la première fois par les Nations Unies dans son pays nouvellement indépendant. Il a été réélu en 1994 et en 1998.
Tarja Halonen est la première femme ayant élue Présidente de la Finlande en mars 2000. Issue de la classe ouvrière, avocate pour les syndicats de travailleurs, elle est devenue membre du Parlement en 1979. Ayant rempli les fonctions de ministre dans trois gouvernements, dont ministre des Affaires étrangères, la présidente T. Halonen est une figure importante dans le mouvement des femmes et est souvent considérée comme un modèle.
Le Président de la Namibie Sam Nujoma et la Présidente de la Finlande Tarja Halonen, qui présideront tous deux le Sommet du millénaire, répondent aux questions d'Inga Eggers et de Svan Siefken de la Chronique ONU.


Le Sommet du millénaire laissera-t-il dans l'histoire une marque plus importante qu'un grand rassemblement de chefs d'Etat ?


Photo ONU
Son Excellence Sam Nujoma : L'importance du Sommet du millénaire réside dans les décisions que prendront les leaders mondiaux et dans la volonté politique dont nous ferons preuve afin d'examiner les contraintes socio-économiques auxquelles fait face la majorité des peuples du monde, surtout dans les pays en développement et particulièrement en Afrique. Les leaders mondiaux ont la possibilité de forger l'histoire en plaçant les peuples au centre des activités des Nations Unies. Notre attention devrait être dirigée là où les besoins sont les plus importants.

Pour moi, le Sommet est une affirmation de la centralité du multilatéralisme qui répond aux besoins mondiaux, sociaux et économiques au profit des peuples qui vivent dans la pauvreté, particulièrement dans les pays en développement. Pour nous tous, c'est une occasion de traduire notre vision collective en biens tangibles. C'est une occasion historique que les leaders mondiaux ne peuvent laisser passer.

Son Excellence Tarja Halonen : Le Sommet du millénaire offre une occasion unique de réfléchir sur notre destinée commune à un moment où nous sommes plus que jamais liés les uns aux autres. En tant que leaders, notre rôle est d'identifier les nouveaux défis et d'y répondre. Les Nations Unies peuvent contribuer à relever ces défis, à condition que ses membres partagent un sens accru de la mission. Nous faisons face à un réel défi qui est de rénover les Nations Unies pour leur donner un rôle plus important dans ce nouveau siècle.

Pensez-vous que, durant le Sommet du millénaire, les grands thèmes qui seront abordés sont nouveaux pour les Nations Unies ?


Photo ONU
La Présidente Tarja Halonen : La globalisation est une immense force qui crée des opportunités et des défis complexes. Nous devons faire notre possible pour que les aspects positifs prévalent. Je partage l'avis du Secrétaire général : "Si nous voulons saisir les promesses de la globalisation tout en gérant ses effets négatifs, nous devons apprendre à mieux gouverner et à mieux gouverner ensemble." La communauté internationale devrait aussi tirer pleinement parti des techniques de l'information et de communication pour lutter contre la pauvreté et assurer le progrès du développement humain.

Le Président Sam Nujoma : Les problèmes auxquels le monde est confronté ne sont pas nouveaux. La pauvreté, la dette, les personnes sans logement, la faim, les maladies, la détérioration de l'environnement, le VIH/sida, les conflits et l'insécurité sont des problèmes actuels qui n'ont toujours pas été réglés. Ce qui est différent, c'est leur ampleur et la manière dont ils affectent des régions. Aujourd'hui, le problème majeur auquel nous sommes confrontés est la pauvreté, un problème qui est d'une grande complexité. Je pense que nous serons tous résolus à examiner la situation sociale et économique mondiale de manière objective et à déterminer ce que nous pouvons faire collectivement pour trouver une solution bénéfique pour tous. Les conflits, en particulier en Afrique, qui se soldent par de nombreuses pertes en vies humaines et la destruction de biens sont un frein au développement. Le Sommet devrait s'inspirer des recommandations présentées dans le rapport du Secrétaire général sur "Les causes de conflit et la promotion d'une paix durable en Afrique", afin de promouvoir la paix, la stabilité et la sécurité dans la région."

Aujourd'hui, la pauvreté, les personnes sans logement, le manque d'éducation et la prolifération des armes sont des facteurs qui favorisent le recrutement des enfants soldats. La situation à laquelle est confrontée une fille, qu'elle soit réfugiée ou déplacée, est encore plus déplorable. L'abus de pouvoir exercé à l'encontre des filles, spécialement en tant que femmes de soldat ou travailleuses non qualifiées est alarmant. Qui peut oublier les images d'enfants soldats en Sierra Leone ou encore celles d'enfants amputés ? Les enfants n'ont rien affaire dans les conflits armés. Ils sont notre avenir et nous devons nous assurer qu'ils développent au maximum leurs aptitudes et compétences. Le Sommet du millénaire doit se pencher sur leur situation, particulièrement sur celle des enfants engagés dans les conflits armés.

Un autre problème majeur est la propagation rapide de l'épidémie du VHI/sida, qui constitue une menace pour l'humanité. On estime à plus de 60 % le nombre total de cas de VHI/sida en Afrique alors que ce continent n'abrite que 10 % de la population mondiale. Les conséquences sociales et économiques de cette épidémie se manifestent dans l'érosion de la croissance du produit intérieur brut, en particulier dans les pays très touchés. Nombreux sont les gouvernements des pays en développement qui n'ont pas les moyens de se procurer les médicaments pour le traitement du VHI/sida. Le Sommet devrait donc répondre à l'appel lancé par les pays en développement, en particulier les pays africains, pour leur faciliter l'accès à ces médicaments à un prix réduit.

A votre avis, quels changements sont nécessaires pour renforcer les Nations Unies ainsi que son rôle au XXIe siècle ?


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Le Président Sam Nujoma : Nous avons maintenu qu'après la fin de la guerre froide, les Nations Unies devront être prêtes à faire face aux réalités de notre époque. Aujourd'hui, il faut trouver des moyens novateurs pour renforcer leur rôle — afin qu'elles soient prêtes à répondre aux nouveaux défis tels que ceux d'origine ethnique ou religieuse, qui étaient maîtrisés pendant la guerre froide mais qui sont maintenant source de conflits. Depuis leur fondation, les Nations Unies ont connu une forte augmentation tant du nombre de ses membres que des problèmes dont elles ont été chargées. Elles sont composées aujourd'hui de 189 membres. Nous avons donc besoin, entre autres, d'une Organisation plus forte et plus démocratique. Et la démocratie implique la représentation. L'Assemblée générale est l'organe le plus représentatif des Nations Unies à laquelle participe tous ses membres. En vertu de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité est responsable du maintien de la paix et de la sécurité, mais il joue également un rôle dans le maintien de la paix et de sécurité internationales. En outre, de nombreuses mesures de réforme ont été mises en place pour renforcer le rôle du Conseil économique et social. Il nous reste maintenant à terminer la restructuration dans d'autres domaines. Depuis que la Charte a été signée le 26 juin 1945 à San Francisco, la composition du Conseil de sécurité n'a pas changé. Au XXIe siècle, le Conseil doit tenir compte des réalités actuelles. Les pays en développement doivent être représentés dans toutes les catégories — membres permanents ou non.

Le déséquilibre de la composition du Conseil actuel en ce qui concerne les pays en développement, et particulièrement l'absence de toute représentation de la vaste région de l'Afrique parmi les membres permanents, doivent être corrigés dans l'intérêt de l'équité, la justice et la crédibilité des Nations Unies. Pour que les décisions, qui lient tous les Etats membres, soient légitimes, il faut que la composition du Conseil reflète la nature globale de l'Organisation. Il doit être une institution véritablement représentative de toutes les régions et de tous les peuples.

La Présidente Tarja Halonen : Le temps est venu de réformer le Conseil de sécurité pour qu'il soit plus représentatif. Il est nécessaire qu'une meilleure coopération et une plus grande cohérence existent entre les Nations Unies, ses organes et les institutions de Bretton Woods. La société civile, le secteur privé ainsi que les experts en questions de procédure devraient jouer un rôle plus actif dans les travaux de les Nations Unies.

Pour renforcer l'Organisation, il faut lui donner les ressources financières nécessaires pour qu'elle puisse accomplir sa tâche. En investissant judicieusement dans les Nations Unies et dans leurs activités, la communauté internationale pourra éviter plus tard des coûts importants en termes de ressources et de souffrance humaine.

La Finlande ainsi que la Namibie sont depuis longtemps associées aux activités de maintien de la paix de l'ONU. Quel rôle les Nations Unies devraient-elles jouer dans la recherche de résolution des conflits régionaux ?


Photo ONU
La Présidente Tarja Halonen : Aujourd'hui, les conflits sont souvent plus difficiles à régler, et ils n'engendrent pas moins de souffrance humaine que les ceux de la guerre froide. Cependant, ils demandent un plus haut degré de détermination, de patience, de ressources et de savoir-faire pour les résoudre. La communauté internationale semble déterminée à mettre fin à l'impunité et à résoudre les crises humanitaires. Mettre cette résolution en pratique est l'un des grands défis auxquels font face les Nations Unies. Même si les Nations Unies sont plus fortes que la somme de ses parties constituantes, elles ne peuvent pas agir sans la volonté politique et les ressources de ses Etats membres. Si l'Organisation ne répondait pas aux défis, les conséquences seraient désastreuses pour elle et catastrophiques pour ceux qui ont besoin de son aide.

Le Président Sam Nujoma : Les Nations Unies sont un partenaire dans la résolution des conflits. Le rôle des casques bleus est de maintenir la paix mais la volonté politique doit venir des parties qui sont engagées dans le processus de paix. La Namibie est l'un des succès de l'ONU en matière de maintien de la paix. Le conflit n'aurait pas pu être résolu sans la volonté politique des dirigeants de l'Organisation des peuples du Sud-Ouest africain (SWAPO), la population de Namibie et l'assistance de la communauté internationale. Cette volonté politique s'est traduite en mettant à la disposition du Groupe d'assistance des Nations Unies pour la période de transition (GANUPT) les ressources concrètes et nécessaires. Aujourd'hui, cependant, les demandes d'aide auxquelles l'ONU fait face sont croissantes alors que les ressources sont en baisse. De par la Charte, les Etats membres doivent payer leurs cotisations pour permettre aux Nations Unies d'assurer efficacement le maintien de la paix et de la sécurité internationales. En outre, l'expérience montre l'importance de la coopération entre les Nations Unies et les organisations internationales, telle que stipulé dans le chapitre VII de la Charte. L'article 53 est très clair à cet égard.

Quel rôle les Nations Unies pourraient-elles jouer dans le progrès du développement humain au cours de ce siècle ?


Photo HCR/M. Kobayashi
Le Président Sam Nujoma : Le développement et la paix se construisent ensemble. Le développement est un processus continu sans limites arbitraires; nous devons essayer d'élaborer un nouveau consensus global sur les stratégies en matière de développement et de croissance. Le sous-développement constitue la menace la plus dangereuse pour la paix. Notre priorité numéro un est d'éradiquer la pauvreté, l'ignorance et les maladies, et de multiplier les choix visant à l'épanouissement individuel basé sur des opportunités égales pour les hommes et les femmes. Ceci est principalement la responsabilité de chaque Etat, mais dans un monde qui se mondialise, l'environnement international doit soutenir les efforts menés en faisant preuve de justice et d'équité dans les relations économiques internationales. On ne peut attendre des pays en développement qu'ils œuvrent à la prospérité économique et sociale de leur pays alors qu'ils sont confrontés à la dette. Le monde doit être sensible à leurs appels répétés pour annuler leur dette.

Nous devons partager les connaissances et les technologies de l'information. Dans les pays en développement, la création de capacités doit être améliorée. L'ONU a prouvé par le biais de ses institutions, ses Fonds et ses Programmes qu'avec des ressources adéquates, elle peut être un partenaire indispensable et efficace dans la lutte contre la pauvreté et pour le progrès humain, social et économique. Il est certain que la Namibie, comme d'autres pays en développement, a bénéficié des Fonds et des programmes. Nous devons maintenir les caractéristiques universelles, neutres et humanitaires des organismes de l'ONU, dépolitiser le développement humain — alors pourrons-nous répondre efficacement aux besoins des personnes qui souffrent de la faim, des pauvres et des malades et de tous ceux qui ne connaissent ni la paix ni la sécurité. Aujourd'hui, le VHI/sida, le paludisme, la tuberculose, entre autres, affectent la vie de millions de personnes dans les pays en développement. L'ONUSIDA et la campagne "Evincer le paludisme" de l'Organisation mondiale de la santé garantissent le soutien concret de la communauté internationale. Toutes les institutions de l'ONU sont indispensables au développement humain dans les pays en développement. Elles doivent continuer d'apporter leur soutien.

La Présidente Tarja Halonen : J'ai réalisé que l'influence des Nations Unies ne vient pas du pouvoir mais des valeurs qu'elles représentent. Elles ont joué un rôle important dans l'établissement et le maintien des normes mondiales dans des domaines tels que les droits de l'homme, l'égalité, l'environnement, la prévention de la criminalité pour n'en citer que quelques-uns. Au cours des 50 dernières années, le monde a enregistré des progrès économiques sans précédent. Cependant, 1,2 milliard de personnes vivent toujours avec moins de 1 dollar par jour.

L'extrême pauvreté et l'inégalité entre les pays et à l'intérieur de ceux-ci représentent pour nous un grand défi. Avec une Organisation forte, nous pouvons répondre à ces défis. Celle-ci pourra les relever en travaillant avec le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG). Il nous faut prêter une attention particulière aux femmes qui vivent des pays les plus pauvres. Elles sont la clé qui permettra de résoudre les problèmes actuels.

Quelles mesures novatrices dans les programmes de développement, de financement et de mise en œuvre pourraient aider à réaliser la mission des Nations Unies ?


Photo HCR/M. Kobayashi
La Présidente Tarja Halonen : Je soulignerai encore une fois l'importance d'une coopération efficace entre les Nations Unies et la société civile, les ONG et les organismes multilatéraux. L'ONU doit agir comme catalyseur et stimuler les actions entreprises par d'autres. Il faut que les institutions formelles obtiennent le soutien des réseaux de politiques informels.

Le Président Sam Nujoma : Il est évident que les gouvernements ne peuvent s'attaquer seuls aux problèmes actuels. D'autres acteurs non gouvernementaux ont un rôle important à jouer. Cela ne signifie pas qu'ils sont sur le même pied d'égalité que les gouvernements ni que ceux-ci n'ont plus à se conformer aux obligations imposées par la Charte. Mais cela reconnaît l'importance contribution que le secteur privé et les ONG peuvent apporter dans le développement. Dans beaucoup de pays en développement, les ONG, les organisations communautaires et le secteur privé contribuent, au niveau national, par leurs ressources au développement. Il est tout à fait logique et humain qu'au niveau international, les acteurs non gouvernementaux joignent leurs efforts pour s'attaquer aux problèmes du développement auxquels fait face l'humanité aujourd'hui.

Pourriez-vous partager avec nous une expérience personnelle qui a montré dans votre pays l'importance que les Nations Unies ont dans le monde ?


Photo HCR/M. Kobayashi
Le Président Sam Nujoma : On dit que si les Nations Unies n'existaient pas, il faudrait les inventer. En Namibie, nous y croyons fermement. L'indépendance de la Namibie, gagnée au prix de grands efforts, a renforcé et affermi la confiance dans les Nations Unies de la majorité noire du peuple namibien qui était alors opprimée. Nous avons mené un long combat contre une force militaire d'occupation puissante. Ce fut une époque difficile — un véritable test pour l'esprit humain. Mais par les Groupes des Etats d'Afrique et en particulier le Mouvement des pays non alignés, l'ONU a maintenu les aspirations légitimes de la Namibie prioritaires dans son ordre du jour, avec comme point culminant, l'arrivée tant attendue des femmes et des hommes du GANUPT. Leur engagement et leur professionnalisme à créer un climat propice à assurer des élections légales et sans incident est une expérience que la Namibie n'oubliera jamais. Bien sûr, la peur et l'incertitude étaient présentes étant donné qu'une partie des forces d'occupation étaient toujours sur le territoire. Mais la simple présence du GAPNUT était rassurante. La réalité s'est finalement imposée lorsque le Secrétaire général de l'ONU Javier Pérez de Cuéllar m'a fait prêter serment en tant que premier Président d'une Namibie libre et indépendante. Nous pleurions de joie. L'enfant des Nations Unies était né; la communauté internationale était témoin et partageait cette grande victoire. Sans les Nations Unies, la réalité en Namibie ne serait qu'une possibilité bien lointaine.

La Présidente Tarja Halonen : Il nous faut maintenant continuer à construire sur les normes internationales élaborées et soutenues par les Nations Unies, en insistant spécialement sur l'importance de la primauté du droit. J'ai beaucoup travaillé sur les questions des droits de l'homme et je suis de plus en plus convaincue que le système universel des Nations Unies est une base adéquate pour le succès de la coopération aux niveau régional et national. Les droits de l'enfant et de la femme sont de bons exemples. Les Nations Unies donnent aussi l'espoir de lancer une campagne contre la peine de mort.


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