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Encourager une bonne gouvernance :
L'approche décentralisée du FIDA


Par Klemens van de Sand
Président adjoint,
Département de la gestion des projets, FIDA

Au cours de la dernière décennie, les critères fondés sur la performance des pays et les conditions qui permettent une bonne gouvernance ont gagné en importance dans la coopération pour le développement. Lors de la guerre froide, les flux d'aide, en particulier ceux en provenance des principaux donateurs bilatéraux, étaient fortement influencés par des intérêts stratégiques de politique étrangère. Très souvent, les considérations politiques l'emportaient sur les objectifs du développement. Cependant, le développement lui-même, en particulier le développement rural, était considéré comme un problème essentiellement économique ou technique. Cette perception a considérablement changé au cours de ces dernières années.

Pays donateurs et bénéficiaires se sont mis d'accord sur un consensus de base : réaliser un développement soutenu dans l'intérêt des pauvres exigera davantage que la croissance et la mise en œuvre résolue de réformes économiques ; ce développement doit être lié à un processus qui permettra aux pauvres de se prendre en charge. L'aide au développement a donc pour objectif de combattre la pauvreté ; pour le faire de manière efficace, elle doit demander un environnement propice à ce processus et contribuer à l'instaurer.

L'évolution de la mission du Fonds international du développement agricole (FIDA) au cours des 20 dernières années anticipait d'une certaine manière sur cette réorientation fondamentale de la politique du développement. Dans ses politiques et critères, le Fonds a établi des principes directeurs d'ensemble liés à la gouvernance qui restent, semble-t-il, encore valides. Les principes affirment que "l'engagement du pays bénéficiaire en faveur d'une stratégie de développement orientée sur les pauvres en milieu rural, tel qu'il est manifesté dans les politiques et institutions appropriées, est un facteur important" et que "les critères de performance devraient tenir compte de l'efficacité de l'usage des flux des ressources vers l'agriculture".

Ces critères mettent en évidence la caractéristique frappante qui distingue le FIDA des institutions de Bretton Woods par exemple : le Fonds n'intervient pas au niveau macroéconomique mais au niveau local, en se servant des collectivités de base comme point de départ et point de référence. Les projets du FIDA fournissent toutefois non seulement les moyens d'améliorer directement les moyens de subsistance des pauvres, par exemple en réalisant des projets d'irrigation à petite échelle, en augmentant les surfaces cultivées ou en favorisant le micro-crédit, mais encore ils visent à améliorer le cadre institutionnel qui permet aux pauvres d'améliorer leur condition en ayant recours à des instruments qui veillent à ce que l'on tienne compte de manière satisfaisante de leurs intérêts et préoccupations.

Ces instruments peuvent être l'aide fournie aux organisations au niveau de base et le renforcement des institutions locales qui les assistent. Le fait que le FIDA privilégie les interventions au niveau local ne signifie pas du tout qu'il ne prévoit pas de changements structurels aux niveaux intermédiaire et macroéconomique. Ces changements sont certainement prévus, mais en partant de la base.

En fait, les activités du FIDA en de nombreux pays complètent celles de la Banque mondiale et des autres institutions financières multilatérales qui axent leurs interventions sur le niveau macroéconomique et avaient donc tendance, jusqu'à une période relativement récente, à adopter une démarche de "haut en bas".

En El Salvador et au Paraguay, par exemple, le dialogue de politique avec le gouvernement national a commencé avec la mise en œuvre de projets dans certains districts ruraux. Cela a entraîné la promulgation de lois spécifiques relatives au crédit rural et la création de fonds d'affectation qui ont donné aux pauvres des régions rurales l'accès aux services financiers. Au Chili, suite à la coopération avec le FIDA, des conseils de développement locaux, qui comprennent des représentants des pauvres ruraux et des gouvernements régionaux et centraux, ont été créés en vue de sélectionner et coordonner les investissements publics à faire dans les campagnes.

En Syrie, les politiques de développement agricoles ont longtemps préféré les démarches "de bas en haut". Le Projet de développement des pâturages extensifs de Badia adopte pour la première fois en Syrie une véritable stratégie de participation. Des groupes de bénéficiaires, coopératives et associations traditionnelles interviennent à toutes les étapes et pour tous les aspects de la mise en œuvre du projet.

Ces dernières années, un certain nombre de donateurs bilatéraux ont aidé les pays à adopter un régime démocratique fondé sur des élections libres. Cela ne fait pas partie, bien sûr, des tâches du FIDA. Cependant, au niveau des villages, le FIDA peut contribuer à la création d'associations d'usagers de l'eau par exemple, gérées par les habitants eux-mêmes. En Mauritanie, l'intervention locale du FIDA a incité le gouvernement à promulguer une loi qui reconnaît, pour la première fois, le droit des associations régies au niveau local de gérer les oasis. Le FIDA ne peut pas promouvoir à l'échelle gouvernementale le concept général de responsabilité mais il peut affermir des institutions locales viables, telles que les organismes de crédit et d'épargne, dont les équipes de gestion sont élues démocratiquement et répondent de leurs actions devant leurs membres. Le Projet P4K d'Indonésie en est une autre illustration. Dans le cas des économies socialistes centralisées, le mandat du FIDA ne prévoit pas le lancement de réformes nationales de politique visant à l'adoption du droit général à la propriété ou à la libéralisation des marchés. Mais son mandat lui assigne l'aide aux pauvres en milieu rural, et le FIDA peut donc soutenir, comme il le fait dans la République démocratique populaire de Corée, la notion de propriéte privée au niveau local, en allouant des crédits aux ménages individuels pour l'achat de bétail, qui devient une propriété privée et qui sera vendu sur des marchés locaux "libres".

Dans de nombreux pays, c'est la corruption qui représente le plus gros obstacle à l'amélioration des performances et de la gouvernance. Je le répète, il n'incombe pas au FIDA d'aborder ce problème au niveau national, c'est-à-dire en aidant les pays à mettre en place des institutions et règlements pour améliorer la transparence et la responsabilité de l'administration. Mais l'approche décentralisée du FIDA et les efforts croissants qu'il entreprend pour aider les gouvernements à mettre en œuvre des politiques de décentralisation pour les pauvres des régions rurales contribuent en fait beaucoup à une amélioration de l'efficacité et de la transparence des services gouvernementaux au niveau local. Si les gens ont leur mot à dire dans la conception et le contrôle des projets, les ressources publiques prévues pour améliorer la productivité ne sont en général pas détournées dans un but "non productif". C'est là une des raisons pour lesquelles le FIDA réclame que les associations des communautés locales soient un élément constituant de la vaste majorité de ses projets et que leurs capacités soient renforcées. Voilà pourquoi le FIDA a convaincu ses partenaires au Ghana, Sénégal et en Guinée, c'est-à-dire les gouvernements et la Banque mondiale, d'élargir les programmes de décentralisation au-delà du niveau des districts, jusque dans les villages et les organisations communautaires. Au Soudan, les projets du FIDA privilégient le renforcement des capacités des communautés villageoises à planifier et mettre en œuvre des sous-projets qui augmentent les revenus agricoles et non agricoles et donnent accès aux services financiers ruraux. Cela n'a peut-être pas un rapport immédiat avec le problème de base de légitimité et équité democratiques au niveau national mais cela encourage certainement, de façon exemplaire, la gouvernance et la transparence démocratique au niveau local, pour commencer.

Les pauvres, qui sont la catégorie la plus vulnérable de la population, sont aussi ceux qui souffrent le plus des troubles politiques et des guerres civiles. De plus, le cycle perpétuel de pauvreté, qui peut provenir de l'instabilité politique, peut devenir une source de nouveaux conflits internes. Dans ce contexte, le FIDA a récemment approuvé un certain nombre de projets qui lui permettent de jouer un rôle important dans le processus de relèvement dans plusieurs pays d'Amérique centrale, ainsi qu'au Rwanda et au Burundi. Le succès de ces projets vient en partie du fait que le FIDA n'a pas attendu que soit mise en place une administration efficace au niveau national; il est intervenu au moment opportun pour remettre sur pied l'infrastructure physique et institutionnelle de base nécessaire pour générer des revenus orientés sur la production et viables dans les régions rurales durement touchées. Au Rwanda et au Burundi, le FIDA a été le seul donateur international à maintenir ses activités, même au cours du conflit armé. Au Cambodge, il joue un rôle distinctif dans le relèvement, en s'efforçant en particulier d'empêcher que de nouveaux conflits n'éclatent.

Dans toutes ces situations après les conflits, les interventions du FIDA, menées en collaboration étroite avec l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture et le Programme alimentaire mondial, permettent de réduire la période entre les opérations de secours à court terme et le relèvement à long terme. Le Fonds joue également un rôle capital en remettant sur pied au niveau local la base vitale du processus de développement durable grâce aux mesures suivantes : le relèvement, tant sur un plan matériel qu'organisationnel, des organisations au niveau de base ; la remise en état des institutions locales au service des pauvres et l'accès au crédit et autres instruments de production; la conception et la mise en œuvre du processus de relèvement, en veillant à ce que les pauvres eux-mêmes prennent la tête du processus ; et la réintégration des rapatriés dans la société locale. Dans son ensemble cette démarche "de bas en haut" dans les situations de relèvement après une crise permet non seulement le rétablissement rapide des foyers mais encore elle favorise l'adoption de pratiques de bonne gouvernance au niveau local -- même lorsque le gouvernement national est encore faible.

Il va sans dire que le FIDA est déterminé, comme les autres, à orienter ses fonds vers les "auteurs des meilleurs performances". Mais ce qui compte pour le FIDA, c'est la performance et la gouvernance au niveau local, c'est-à-dire dans l'environnement immédiat des pauvres des régions rurales. L'application de critères de performance et de gouvernance au niveau "micro" a fréquemment amené le FIDA à tirer des enseignements très similaires à ceux qu'ont tirés d'autres donateurs. La Somalie, la Sierra Leone, la République démocratique du Congo et le Nigéria avant les récentes élections offrent à cet égard un exemple frappant. Et au Kenya, le FIDA a dû réduire sa coopération parce qu'il ne pouvait y maintenir une gestion financière saine -- un problème que l'on est en train de surmonter en explorant des systèmes acceptables et viables de décentralisation financière transparente. Mais il est arrivé que le FIDA, en appliquant ses critères de performance, décide de poursuivre ou même de lancer des projets de coopération, offrant ainsi un contraste saisissant avec d'autres institutions financières multilatérales et la plupart des donateurs bilatéraux. Cela est arrivé récemment par exemple au Soudan, au Rwanda, au Burundi et en République populaire démocratique de Corée. Cela se justifie, il est bon de le rappeler, parce que la mission et le rôle distincts du FIDA consistent à aider les pauvres en milieu rural avec des projets qui interviennent essentiellement au niveau de base.

C'est précisément cette démarche face à la réduction de la pauvreté qui a permis au FIDA de se rendre compte de ce qui, à mon avis, va devenir un gros problème politique dans l'application des résolutions du Sommet mondial pour l'alimentation de 1996 et de l'OCDE/ECC ("Façonner le XXIe siècle") en 1997 : orienter les ressources vers les pays les plus performants risque d'être en contradiction avec l'objectif d'ensemble de reduction de la pauvreté. Les pauvres habitent souvent dans des pays dont les performances ne sont pas bonnes et qui peuvent rarement satisfaire des normes élevées en termes de bonne gouvernance.

La communauté des donateurs doit donc relever le défi posé par cette tension inhérente, un défi qui est encore renforcé par la prise de conscience croissante de la nécessité de renforcer l'aide au développement dans la prévention des conflits et les situations de relèvement d'après les crises. Si les donateurs souhaitent s'acquitter correctement de cette tâche, ils doivent collaborer avec des pays qui se caractérisent par un environnement de macro-politique qui ne favorise pas un développement durable et participatoire, ce qui aggrave les risques de conflit. Les responsables politiques des institutions de développement commencent à se rendre compte qu'ils doivent se déciders:

  • Si l'objectif général des politiques de développement est de réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées ou qui ont faim d'ici à 2015, alors l'aide au développement doit être orientée vers les pays qui souffrent d'un niveau élevé de pauvreté, en termes relatifs et absolus.
  • S'il existe un "rapport fondamental" entre un système de gouvernement ouvert, démocratique et responsable, et le respect des droits de l'homme et la possibilité de parvenir à un développement économique et social durable, alors l'aide au développement devrait être utilisée pour investir dans la pose des premiers éléments d'une bonne gouvernance et d'une participation de la population au processus de décisions.
En conséquence, les critères qui se fondent sur la gouvernance démocratique ne doivent pas être appliqués dans le souci principal d'exclure les auteurs de "mauvaises performances". En fait, ils ne devraient même pas être appliqués pour décider de l'octroi de ressources à des pays spécifiques mais plutôt pour analyser les problèmes dans le domaine de la gouvernance et la participation; pour définir les activités qui s'imposent pour trouver une solution à ces problèmes; et, en conséquence, pour évaluer la quantité de ressources nécessaires pour atteindre les objectifs fixés en ce qui concerne le cadre spécifique de macro-politique.

Bien sûr, il peut arriver et il arrivera qu'il ne soit pas raisonnable de coopérer avec un gouvernement au niveau national. Mais avant de mettre fin à toute coopération avec un "mauvais gouvernement", infligeant ainsi une double punition aux pauvres, une politique de développement axée sur la lutte contre la pauvreté exige que l'on cherche toutes les formes et tous les instruments de coopération possibles pour aider les pauvres sans contribuer à renforcer les conditions générales qui les maintiennent dans leur situation. Orienter les fonds vers les organisations non gouvernementales (ONG), ou par leur intermédiaire, peut apporter une solution à ce dilemme. Malheureusement, un Etat faible correspond dans la plupart des cas à une société civile faible.

Voilà pourquoi, dans les pays où la gouvernance n'est pas bonne, il sera difficile le plus souvent de trouver des ONG performantes. Le FIDA peut alors permetre aux donateurs bilatéraux qui ne veulent pas coopérer directement avec un gouvernement parce qu'il ne répond pas aux critères de performance et de gouvernance, d'atteindre les pauvres en milieu rural et de désamorcer la tension inhérente entre les objectifs d'allégement de la pauvreté et les critères de performance. Le FIDA, au moins, a toujours cherché des partenaires intéressés par sa stratégie sur deux fronts : agir au niveau local et avoir simultanément un impact structurel sur les politiques nationales. Les exemples de pays mentionnés ci-dessus montrent que dans certaines circonstances, ce n'est peut-être qu'en privilégiant l'environnement économique et institutionnel dans lequel les pauvres vivent que l'on peut introduire des réformes de structure. J'irais jusqu'à dire que le rôle "unique" que joue le FIDA en Corée du Nord, au Soudan et au Rwanda fait partie de ses spécificités et de son avantage comparatif.

Les membres peuvent envisager de se servir davantage de cette spécificité. Finalement, quand le FIDA applique ses critères spécifiques de performance fixés par ses organes directeurs, il ne sape pas les conditionnalités de bonne gouvernance décidées par les autres donateurs. En fait, il les soutient. La coopération entre le Groupe de la Banque mondiale et/ou les donateurs bilatéraux d'un côté, et le FIDA de l'autre, a prouvé qu'elle renforçait l'efficacité et l'impact de leurs contributions. La raison en est que ces approches différentes se complètent.

Réduction de la pauvreté et bonne gouvernance
  • Les questions de gouvernance jouent un rôle de plus en plus important dans les décisions des donateurs concernant l'utilisation appropriée de ressources pour le développement limitées.
  • Parallèlement, les donateurs s'engagent de plus en plus dans la lutte contre la pauvreté rurale.
  • Même s'il vaut mieux utiliser les ressources de lutte contre la pauvreté là où il n'existe pas de problème endémique de gouvernance, les donateurs doivent aussi lutter contre la pauvreté rurale dans ces régions où la gouvernance n'est pas bonne et où les conflits peuvent en fait être exacerbés par le fait qu'on n'attaque pas le problème de la pauvreté.
  • Le mandat du FIDA est très explicitement orienté sur la lutte contre la pauvreté. Il reconnaît la contribution de la bonne gouvernance mais ne peut pas toujours attendre que les questions de bonne gouvernance soient résolues au "niveau macro".
  • Le FIDA est un bon instrument pour la communauté internationale qui peut s'en servir pour développer des capacités de bonne gouvernance au niveau des collectivités locales, en attendant que les problèmes au niveau supérieur soient résolus. Il peut être également un partenaire stratégique important pour ceux qui veulent attendre avant de s'engager de manière directe, mais qui veulent pendant ce temps que l'on attaque les problèmes de la pauvreté et du développement au niveau local.
  • Il peut jouer un rôle particulièrement important dans les situations après les conflits, lorsqu'une aide rapide est nécessaire pour éviter une reprise des hostilités, mais que les régimes ne sont pas encore prêts à recevoir une aide bilatérale/internationale complète.


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