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Les Nations Unies et les défis conceptuels
d'une économie qui se mondialise


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Si l'affirmation d'une validité universelle de certains principes fondamentaux des théories économiques généralement acceptées a entraîné l'appauvrissement de la pensée économique, qu'est-ce qui l'enrichira ?

La réponse est relativement simple : un retour à l'examen des institutions dans le sens le plus large possible du terme. Le dogmatisme économique a amoindri récemment les chances de prospérité de millions de personnes parmi les plus pauvres de la planète et il faut absolument le remplacer par une compréhension plus subtile des rapports d'interaction entre les institutions, et des limites au-delà desquelles les populations ne peuvent plus supporter les chocs économiques provoqués par des forces du marché dans des conditions variées.

On ne peut pas vraiment bien comprendre les économies si on les étudie en ne prenant pas en compte le fait qu'elles sont en grande partie façonnées par des circonstances politiques et en ignorant leur dimension historique. C'est pourtant ce que font les spécialistes des organisations internationales qui guident et surveillent le développement économique, ainsi que les responsables favorables au programme politique de la mondialisation. Un ordre du jour néo-libéral de libéralisation, déréglementation et privatisation a été présenté comme si le soutien à un principe historique allait de soi et était incontestable, et il a été élaboré avec l'encouragement intellectuel fervent de la science économique telle qu'on l'enseigne de nos jours dans la plupart des cours d'économie des universités occidentales. Cette pensée économique dominante, grandement influencée par des axiomes néo-classiques, s'est imposée parce qu'elle semble capable d'expliquer une grande partie de l'activité économique de telle manière qu'elle a acquis la réputation d'être une science empirique. Certes ces théories économiques ont indéniablement enrichi nos connaissances de manière remarquable mais leur succès repose en grande partie sur une explication claire de l'activité économique aux Etats-Unis et en Grande Bretagne et, dans une moindre mesure, en Europe occidentale. L'ordre du jour politique mentionné ci-dessus, qui se fonde sur ces théories, a tendance à profiter aux grandes entreprises financières occidentales et en général à l'intérêt économique de cette région. Le succès de ses explications, qui se limite à certaines régions, et la façon dont il justifie le pouvoir des entreprises ont fait oublier à beaucoup que, pour répondre aux normes putatives de la rigueur scientifique, la théorie avait dû exclure de ses perspectives l'étude des institutions qui se rapportent également à l'économie en tant qu'institutions politiquement ou socialement informées. A la différence des économistes d'une génération précédente, influencés entre autres par Keynes, Schumpeter et l'école américaine quasiment défunte de l'économie institutionnaliste, la plupart des praticiens des théories économiques dominantes ne considèrent pas que les institutions font partie de la sphère d'intérêt d'un économiste. Même un sujet ausi capital que le phénomène du marché est normalement traité comme une abstraction plutôt que comme une institution ou un ensemble d'institutions, qui ont des rapports avec des institutions non économiques et mus par des structures d'incitation variable. Les théories économiques dominantes actuelles sont donc à dessein "ahistoriques" et "apolitiques".

L'application de méthodes visant à trouver une solution aux problèmes économiques dictée par une théorie fondée sur des situations vécues par des économies occidentales, que l'on croyait, à tort, universellement applicables (parce que "scientifiques") a entraîné la stagnation, ou l'échec flagrant, de programmes de développement économique. Elle a même contribué à la détérioration de la situation économique en Afrique, en Amérique latine et en Russie. De nombreuses erreurs auraient pu être évitées. Une démarche beaucoup plus prudente des économies émergentes d'Asie les aurait protégées des situations de crise si la réalité économique avait été considérée dans la perspective d'institutions locales, marchés compris, engagés dans des actions réciproques avec d'autres institutions économiques et politiques.

Il faut trouver les moyens de parvenir à une harmonisation économique internationale, au lieu de lancer des appels à des réformes qui ont peu de chances d'être mises en place ou qui ne seront pas efficaces. Le défi conceptuel dans ce contexte est immense et clair. Une fois que l'on accepte que le Japon est parvenu à son statut de puissance industrielle grâce à une structure d'incitation radicalement différente de celles qu'on tient pour acquises dans les contextes américain et de la plupart des pays européens -- une conclusion inévitable si nous veillons à ce que l'idéologie n'étouffe pas la raison --, nous pouvons discerner également une incompatibilité non reconnue mais fondamentale entre des systèmes économiques couronnés de succès.

Le fait de l'incompatibilité a été reconnu de manière implicite par de nombreux investisseurs étrangers qui comprennent qu'ils ne peuvent pas faire entièrement partie des systèmes locaux de crédit. Sachant qu'ils ne seraient pas protégés par les avantages que ces mêmes systèmes confèrent aux initiés, ils ont insisté pour ne faire que des prêts à court terme et ensuite ils ont été prompts à se retirer.

Ceci semble en partie compris dans les milieux informés mais l'importance que l'on continue d'accorder au risque moral, à la transparence, etc., empêche le discours politique de s'orienter dans une direction plus avantageuse. Les entreprises occidentales développent normalement une compréhension tacite de la réalité des économies politiques dans les autres pays du monde et elles s'en accomodent; elles y sont obligées, pour réussir et maintenir à un niveau gérable les risques qu'elles prennent dans leurs activités régionales.

Mais pour le bien-être des populations locales, il est nécessaire que les responsables politiques et les organisations internationales développent une compréhension explicite de divergences qui font partie d'une réalité impossible à modifier. Ce n'est qu'alors que l'on pourra fixer des objectifs politiques pour empêcher le processus de mondialisation de causer de graves effondrements et distortions économiques.

On pourrait croire qu'il est évident qu'une connaissance approfondie des caractéristiques déterminantes des économies politiques locales, une compréhension de leur histoire, et des évaluations bien informées de ce qu'elles peuvent faire pour se transformer comme elles le souhaitent, sont les exigences de base d'une approche institutionnelle de la réalité économique en général et des problèmes de la mondialisation en particulier.



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