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Armés Jusqu'aux Dents:
Une arme légère pour 12 personnes


Par Markus Balser

Au Timor oriental, des bandes incontrôlées de miliciens ont récemment massacré des centaines d'innocents. Au Kovoso, des milliers de civils se sont trouvés pris sous les feux croisés des combattants. En Colombie, des guérilleros armés jusqu'aux dents menacent la sécurité des hommes politiques et des militants des droits de l'homme. Ce ne sont là que trois de ces nombreux points chauds du monde entier aux prises avec un problème mortel : la prolifération incontrôlée des armes de petit calibre.

La disponibilité de centaines de millions de petites armes dans le monde a contribué à une forte augmentation de la criminalité violente et des conflits intérieurs, un phénomène qui aggrave les inquiétudes des gouvernements et de la société civile. Ces armes, bon marché, abondantes et ne nécessitant guère d'entraînement, ont été privilégiées par les combattants dans 46 des 49 principaux conflits depuis 1990. D'après un groupe de 27 experts internationaux réunis par le Secrétaire général Kofi Annan en 1996, plus de 500 millions d'armes légères et de petit calibre sont en circulation dans le monde, soit environ 1 arme pour 12 personnes. "Au cours de la dernière décennie, les armes légères ont provoqué la mort de 4 millions de personnes", a dit Jayantha Dhanapala, Secrétaire général adjoint pour le désarmement, à la Chronique. Environ 90 % de ces victimes étaient des civils et 80 % des femmes et des enfants.

Alors que les Etats Membres des Nations Unies ont adopté plusieurs instruments pour prévenir la mise au point et la prolifération des armes nucléaires, chimiques et biologiques, il n'existe pas encore de traité mondial, ni de système de surveillance à l'échelle mondiale, pour maîtriser l'accumulation déstabilisatrice et l'utilisation à mauvais escient des armes de petit calibre. Les filières d'acquisition peuvent être légales ou illégales. Selon un rapport des Nations Unies sur les armes de petit calibre, en date d'août 1999, ces armes comprennent celles qui proviennent de la guerre froide, surtout dans les pays en développement : on estime leur nombre à 2 millions en Amérique centrale, 7 millions en Afrique de l'Ouest et 10 millions en Afghanistan.

Dans certains pays en développement, d'interminables confrontations armées ont détruit les progrès réalisés pendant des années dans la mise sur pied de l'infrastructure et la promotion du développement économique. Le Bureau des Nations Unies pour les affaires économiques estime qu'en Amérique centrale les armes à feu ont coûté 14 % du produit national brut en termes de santé et de dégâts aux personnes et aux biens. Au Mali, le PNUD et le gouvernement ont lancé un programme à grande échelle grâce auquel environ 13 000 anciens combattants ont échangé leurs armes contre la possibilité de se réinsérer dans la vie civile. En septembre, des représentants et experts de plus de 20 pays africains ont convenu qu'un registre, auquel on pourra accéder grâce à Internet, devrait contenir des informations sur l'importation, l'exportation, la saisie et les arsenaux militaires d'armes légères. Le ministre de la défense du Ghana, le lieutenant-colonel E.K.T. Donkoh, lui-même ancien soldat, s'est félicité de cette initiative : "Ce projet contribuera à éliminer les dangers qui pèsent sur la stabilité de la région et à créer un environnement favorable à la croissance économique".

Et pourtant la bataille ne sera pas facile parce que les armes de petit calibre n'ont pas la réputation désastreuse des mines terrestres, nombre de gouvernements estimant qu'elles répondent à des besoins importants. Le 24 septembre, le Conseil de sécurité s'est penché sur la question au niveau ministériel. "La plupart des conflits se sont déroulés dans le monde en développement mais la plupart des armes à feu ont été fabriquées dans les pays industrialisés", a souligné le Secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni Robin Cook. Le Ministre des affaires étrangères de Malaisie Datuk Seri Syed Hamid Albar a dit que le flux des armes de petit calibre, dans les pays en développement en particulier, obéissait non seulement à la demande mais également à l'offre. La Secrétaire d'Etat des Etats-Unis Madeleine Albright a noté qu'il fallait aussi s'en prendre à l'économie de la guerre, qui supportait les flux d'armes illicites. Et le Représentant permanent de la Namibie Martin Andjaba a fait valoir que les marchands de guerre, mûs par leur volonté d'enrichissement, ne ressentaient pas l'urgence de mettre fin au trafic et ne s'inquiétaient pas des conséquences dévastatrices qu'avaient les armes de petit calibre sur les pays en développement.

Le Réseau international d'action sur les armes de petit calibre s'est installé à Londres en octobre pour demander aux gouvernements de renforcer les restrictions sur les armes de petit calibre qu'ils approuvent pour l'exportation, de supprimer les transferts illicites d'armes et de tenter de récupérer les armes déjà en circulation dans le monde par le biais de programmes de rachat et autres incitations.

Une conférence qui se réunira en Suisse avant 2001 examinera les meilleures solutions au problème de l'accumulation déstabilisatrice des armes de petit calibre et des armes légères. Le Comité préparatoire a tenu sa première session du 28 février au 3 mars 2000 à New York. Depuis 1997, un certain nombre d'initiatives mondiales et régionales sur la question des armes de petit calibre ont vu le jour. On peut citer entre autres : un moratoire sur l'importation, l'exportation et la fabrication d'armes de petit calibre et d'armes légères, décrété par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest ; la Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicites des armes à feu, munitions, explosifs et autres produits de ce type ; l'Action commune de l'Union européenne sur les armes de petit calibre ; la Décision sur la prolifération, la circulation et le trafic illicite des armes de petit calibre et des armes légères, prise en juillet 1999 par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Organisation de l'unité africaine ; et les Décisions du Conseil de la Communauté du développement de l'Afrique australe sur la prévention et la lutte contre le trafic illicite des armes de petit calibre et les crimes s'y rapportant.

Des négociations sont également en cours à Vienne pour élaborer une convention internationale contre la criminalité transnationale, notamment un projet de protocole révisé contre la fabrication illicite et le trafic d'armes à feu, munitions et autres crimes s'y rapportant.

Séduction et tentation

Environ 300 000 jeunes de moins de 16 ans ont été exploités comme combattants dans des conflits où l'on avait recours à des armes de petit calibre, selon certaines estimations. En 1998, 200 000 enfants avaient reçu une arme à feu pour combattre aux côtés d'adultes, en qualité de soldats irréguliers, dans 25 pays. Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance et d'autres institutions pertinentes ont été priés de s'intéresser en priorité aux besoins spéciaux des enfants affectés dans les situations.

M. Olara Otunnu, Représentant spécial du Secrétaire général pour les enfants dans les conflits armés, souligne : "Ce ne sont pas des mots écrits sur du papier qui peuvent sauver les femmes et enfants en danger", ajoutant que pour freiner le recours massif actuel à des enfants comme soldats, il fallait adopter une démarche sur trois fronts : premièrement, faire passer à 18 ans l'âge minimum d'enrôlement et de participation à un conflit ; deuxièmement, mobiliser la communauté internationale pour faire pression de manière efficace sur les groupes armés qui maltraitent les enfants ; et troisièmement, trouver une solution aux problèmes politiques, sociaux et économiques qui créaient un environnement tel que les enfants acceptaient de devenir des soldats, qu'ils soient séduits par l'idéologie ou incités à le faire par l'effondrement socio-économique.



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M. Dhanapala suggère d'augmenter l'enjeu de la paix

Dans le cadre d'un projet pilote organisé dans le district albanais de Gramsh, qui comprend une centaine de villages dans la région d'Albanie centrale, les Nations Unies et le gouvernement albanais s'efforcent ensemble de remédier au problème de la prolifération, au sein de la population civile, d'armes légères pillées dans les entrepôts de l'armée du district lors des émeutes civiles de mars 1997. Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) offre aux communautés locales de Gramsh des incitations au développement, telles qu'un nouveau système de télécommunications pour le district, la réparation d'écoles et de routes en échange de ces armes. Depuis janvier 1999, environ 6 700 armes de petit calibre et 100 tonnes de munitions ont été récupérées. L'expérience de Gramsh repose sur un principe simple, explique M. Dhanapala : "Donnez à une communauté une meilleure chance de se développer et elle sera disposée à se débarrasser de ses armes. Augmentez l'enjeu de la paix pour cette communauté et elle sera plus résolue à se détourner de la violence".





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