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Les effets de l'évolution de la sécurité
en Europe sur les Nations Unies


Par Jack Seymour

Les relations en matière de sécurité entre les Nations Unies et l'Europe ne se sont jamais autant entrelacées qu'au cours de la décennie de l'après guerre froide. Ce qui est nouveau en Europe, c'est l'apparition de situations de conflit variées, déclaré ou simplement potentiel, qui exigent une réponse limitée, par opposition à une défense contre une menace militaire massive.

La force internationale déployée aujourd'hui au Kosovo et la force dirigée par l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) en Bosnie-Herzégovine opèrent sous mandat de l'Organisation des Nations Unies. La Mission civile des Nations Unies au Kosovo est dirigée par un responsable français nommé par le Secrétaire général et placé sous sa responsabilité. Auparavant, les Nations Unies avaient mené, en pleine zone de combats, une opération de secours humanitaire en Bosnie sous la protection d'une force de 15 000 hommes dépêchée par l'ONU. En outre, un contingent important de soldats de l'ONU a été déployé en Macédonie en tant que mesure préventive. Jamais, du temps de la guerre froide, lorsque la sécurité en Europe était régie par la rivalité entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie, l'ONU n'avait monté de telles opérations.

Il peut sembler superflu que les Nations Unies s'engagent sur un continent qui se vante de disposer de l'alliance en matière de sécurité la plus sophistiquée de l'histoire. Mais cette décennie nous a enseigné que la sécurité peut être compromise de bien des manières et sans agression militaire et qu'il ne suffit pas de disposer de moyens militaires pour la préserver. Les Nations Unies offrent des instruments et une expérience de la prévention des conflits et de consolidation de la paix après les conflits qui peuvent être adaptés aux besoins européens d'aujourd'hui. En même temps, nombre des institutions de sécurité bien développées de l'Europe peuvent donner des leçons ou des exemples de "meilleures pratiques" aux Nations Unies elles-mêmes et à d'autres régions. Pour profiter toutefois de ces échanges mutuellement bénéfiques, il est urgent de mettre au point une communication efficace et des réseaux d'informations entre les quelques institutions européennes chargées de la sécurité ainsi qu'entre elles et les Nations Unies.

En dépit des frictions et des polémiques mal placées qui ont quelquefois accompagné les premiers efforts de coopération avec les Nations Unies, des progrès considérables ont été effectués en Bosnie. Les opérations d'après conflit menées au Kosovo pourraient également bénéficier de l'engagement des institutions sur le terrain à travailler ensemble.

De toutes les institutions chargées de la sécurité en Europe, l'OTAN est clairement celle dont le rôle est fondamental, l'instance principale où l'on débat des crises qui se profilent et des plans militaires et des opérations à lancer pour les affronter. Mais d'autres organisations ont également un rôle important à jouer, en particulier pour prévenir et désamorcer les crises et reconstruire ou renouveler la société civile une fois un conflit terminé. Ces organisations, à but économique, politique ou militaire, comprennent entre autres l'Union de l'Europe occidentale (UEO), l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, le Conseil de l'Europe, l'Union européenne (UE) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Chacune a sa propre histoire, son propre but et sa propre composition, même si leurs domaines se chevauchent quelquefois. De nombreux pays d'Europe ou d'ailleurs font partie de deux ou plus de ces institutions, ou y sont affiliés. Tous ont mis en oeuvre des changements considérables face aux défis que doit relever l'Europe depuis la fin de la guerre froide.

L'OTAN a admis trois nouveaux membres d'Europe centrale et orientale et a développé des relations de partenariat avec certains pays de l'ex-bloc soviétique. Elle a également évolué, passant d'un mode défensif à un mode qui lui permet de monter des opérations limitées de maintien de la paix. Il y a quelques années encore seulement, l'OTAN aurait été bien en peine d'imaginer une telle évolution de ses activités.

L'UE commence maintenant à se considérer comme un instrument de promotion de la sécurité dans son sens le plus large. Elle a déjà admis trois nouveaux membres d'Europe du Nord et centrale, négocie avec six autres candidats et élargira probablement encore sa liste bientôt. La simple perspective de faire partie de l'UE a incité plusieurs Etats européens à résoudre des conflits potentiels.

L'UEO est devenue un lien entre l'OTAN et l'UE, qui aspire à réaliser sa propre vocation de sécurité commune. Alors que l'UE renforce ses activités en faveur de la stabilité par le biais du développement économique, l'UEO va probablement fusionner avec elle pour permettre de forger une "identité européenne en matière de sécurité et de défense", ou une politique de défense commune. L'institutionnalisation de l'OSCE grâce à la création d'un secrétariat à Vienne et de bureaux annexes ailleurs, a fait moins de bruit mais elle est tout aussi importante. L'OSCE axe ses travaux sur les questions de droits de l'homme et les problèmes des minorités, la coopération parlementaire etc. Elle mène des missions spéciales en Bosnie et Herzégovine, au Kosovo et dans d'autres points chauds moins connus d'Europe.

La fin de la guerre froide et la crise au Kosovo expliquent que l'on reparle avec insistance en Europe d'une capacité européenne en matière de sécurité "que l'on pourrait séparer mais qui ne serait pas séparée" de l'OTAN. En vertu de ce concept, l'Europe aurait la capacité de répondre à une crise qui la touche et dans laquelle les Etats-Unis ne souhaitent peut-être pas intervenir directement. Cela permettrait également de donner à l'Europe une voix plus forte lorsque surgissent des différends avec les Etats-Unis sur la manière de répondre à telle ou telle crise, un souhait exprimé depuis longtemps. Quoi qu'il en soit, cette volonté de l'Europe de créer une force indépendante s'explique non seulement par ces divergences de vue avec les Etats-Unis mais aussi par le souci de pouvoir agir pour son propre compte et ceci définira à long terme l'ordre du jour de la sécurité. Nombreux sont ceux qui pensent qu'en renforçant leurs moyens dans les technologies militaires sophistiquées, le renseignement, les communications, les pont aériens, les Européens peuvent faire davantage de leur côté et donc diminuer leur dépendance à l'égard des Etats-Unis.

La conduite de la guerre au Kosovo, et les efforts diplomatiques qui ont finalement contribué à l'instauration d'un cessez-le-feu, ont fait surgir de nombreux différends entre les pays européens et les Etats-Unis à propos des actions de ces derniers, même si l'OTAN a tenu bon, de justesse d'ailleurs. Ce qui s'est passé au Kosovo a obligé les Européens à s'interroger sur leur dépendance militaire envers les Etats-Unis. Il va de soi que les Etats-Unis eux-mêmes, qui demandent depuis toujours aux Européens de consacrer davantage à leur défense, se réjouiraient d'un renforcement des capacités européennes en matière de défense et de sécurité - si cela se traduisait par un rôle de l'Europe plus fort et plus efficace au sein de l'Alliance atlantique.

Les Etats-Unis ont fourni 80 pour cent des avions de combat au Kosovo et seraient enchantés de voir l'Europe accomplir des efforts plus efficaces en son nom propre. Les Américains continuent aussi toutefois de se méfier de tout ce qui pourrait saper l'influence qu'exercent les Etats-Unis, par le biais de l'OTAN, dans les problèmes majeurs de sécurité en Europe. En outre, Washington risque d'être moins heureux lorsque des Européens plus sûrs d'eux prendront des positions opposées sent à celles de Washington. Mais c'est là peut-être ce que Washington devra accepter pour avoir une Europe capable d'intervenir et de contribuer de manière plus efficace à la gestion de ses propres problèmes et de prendre un rôle plus affirmé dans son partenariat avec les Etats-Unis.


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Jack Seymour est associé principal au Conseil américano-britannique d'information en matière de sécurité (BASIC) de Washington. Simon Stanleigh, autre membre du BASIC, l'a aidé à préparer cet article.



Photo de la Tour de l'Hôtel de Bruxelles (Belgique): BZ/AE/Belgium-Belgique/Bosseret.

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