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Projet LINK


Par Lawrence R. Klein


"La dette extérieure" par Francesco Guadagnuolo.
Comme le suggère l'Ambassadeur Fonseca dans l'article qui précède, la vérité empirique peut être un moyen d'acquérir la force nécessaire au changement. L'année 1999 marque le trentième anniversaire du Projet LINK, un programme de coopération qui rassemble une cinquantaine de spécialistes de la macro-économie, dont un grand nombre travaille dans des gouvernements, des organismes de recherche et universitaires et des organisations régionales. Chacun d'entre eux dirige des modèles économétriques nationaux ou régionaux que le projet LINK unit pour permettre des prévisions économiques à court terme généralement consistantes. Les Nations Unies participent au Projet depuis le milieu des années 90.

La Chronique a le privilège de présenter une description du projet faite par M. Lawrence R. Klein, Prix Nobel d'économie. C'est sous sa direction que le centre d'informatisation et de construction du système d'information LINK a été mis sur pied à l'Université de Pennsylvanie, où il est Professeur émérite.



Il n'était pas surprenant, juste après la seconde guerre mondiale, que les Etats-Unis fussent le principal pays à prendre la tête de la relance de l'économie mondiale. Certes ils avaient subi de lourdes pertes humaines mais les dégâts matériels y étaient peu importants. Dans ces circonstances le dollar des Etats-Unis devint la devise préférée et le concept de "pénurie de dollars" a joué un rôle important dans la pensée économique internationale. Vingt ou vingt-cinq ans plus tard toutefois, la pénurie de dollars s'était transformée en une surabondance de dollars et la structure institutionnelle qui avait donné naissance au Fonds monétaire international à Bretton Woods (New Hampshire) devait être modifiée : on passait de parités de devises fixes mais modifiables à des taux flottants qui fluctuèrent beaucoup et de manières que les participants à la conférence de Bretton Woods n'avaient pas prévues.

Les économistes s'intéressèrent alors à l'analyse du mécanisme de transmission par le biais duquel ces modifications de la valeur des devises et d'autres perturbations économiques se traduisaient par des effets économiques plus vastes provoqués par les Etats-Unis et d'autres économies relativement fortes sur des économies relativement plus faibles.

Au cours de la fin des années 60, des progrès importants ont été accomplis dans la mise au point de modèles macroéconométriques, à commencer par les modèles d'économies industrielles avancées jusqu'à quelques économies en développement. Les banques de données et les installations d'ordinateurs électroniques se développaient rapidement, ce qui permit d'accomplir des progrès dans les détails et les précisions que l'on put incorporer dans la modélisation statistique.

Le Comité de la stabilité et de la croissance économiques du Conseil de recherches des sciences sociales avait déjà soutenu les efforts collectifs de modélisation aux Etats-Unis et il fut décidé lors d'une réunion du Comité en 1968 d'envisager d'élargir cet effort de coopération à la sphère internationale.

Au début, on se concentra surtout sur la modélisation du mécanisme international de transmission. Cela signifiait l'étude des interactions au sein des principaux pays de l'Organisation de la coopération et du développement économiques (OCDE). Une petite réunion fut donc convoquée en ce sens en juillet 1968 a Stanford University (Californie) pour que les principaux constructeurs de modèles débattent de la question. Les participants venaient du Royaume-Uni, du Canada, des Pays-Bas, de la Belgique, du Japon, de l'Allemagne (par correspondance) et du FMI.

Au départ, ce furent le Département des recherches du Fonds monétaire international (FMI), la Fondation Ford et la Fondation nationale des sciences qui fournirent l'appui financier nécessaire. Il fut décidé de poursuivre le projet sous la direction de MM. Bert Hickman, de l'Université de Stanford, R.A. Gordon, de l'Université de Californie, Lawrence Klein, de l'Université de Pennsylvanie et Rudolph Rhomberg du Fonds monétaire international (FMI), avec le concours des autres personnalités qui avaient participé à la réunion exploratoire de Stanford. La première réunion internationale au cours de laquelle il y eut une interaction commune de tous les participants eut lieu à Hakone (Japon) en août 1969. A ce moment-là, plusieurs économétriciens, en plus de ceux qui avaient assisté à la réunion de planification d'origine, participaient complètement à la conférence. On énonça en particulier des principes directeurs sur la façon de traiter avec les pays en développement et d'autres membres de l'OCDE. Des économistes des Nations Unies participèrent immédiatement aux travaux. Ils provenaient en particulier de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, une instance où l'on avait tenté à plusieurs reprises, avec plusieurs membres du groupe d'origine, de se servir des méthodes de modélisation économétrique pour les prévisions de croissance à moyen terme des pays en développement.

Dans le contexte de l'économie internationale de la fin des années 60, les interactions entre pays étaient surtout étudiées par le biais des flux commerciaux. Les premières tentatives de modélisation du mécanisme international de transmission consistèrent à diviser les flux commerciaux bilatéraux entre pays sur la base des produits primaires - alimentation et boissons, matériaux industriels, combustibles minéraux et articles manufacturés. Au centre de cette description des interactions économiques entre pays se trouvaient des matrices du commerce international carrées. Dans chacun des quatre groupes de produits primaires, de manière complètement équilibrée, c'est à dire pour chaque groupe, nous avons imposé l'équilibre comptable en vertu duquel les exportations mondiales doivent être égales aux importations mondiales. Nous avons également imposé la condition que les prix d'importation de chaque pays étaient la moyenne pondérée des prix d'exportation des pays partenaires. Ces deux conditions furent formulées de façon à ce que les exportations mondiales égalent les importations, qu'elles soient mesurées en prix courants et constants à la fois.

Nous avons reconnu que notre système devait couvrir toute l'économie mondiale. Il fallait donc inclure les économies socialistes planifiées avec les économies de l'OCDE et celles du monde en développement. Le système finit par comprendre 79 économies, la plupart membres d'une des trois catégories, mais également certains groupements résiduels, de très petits pays en développement, et un dernier système appelé le reste du monde (RoW). Maintenant, il y a de nouveaux pays qui participent séparément au Projet alors qu'auparavant ils faisaient partie d'une union.

Dès le départ il nous fallut choisir pour parvenir aux consistances mondiales que nous imposions. C'est à dire que nous pouvions soit bâtir nos propres banques de données, pays par pays et en utilisant des systèmes d'équation statistique similaire pour chaque pays, ou pour chaque pays regroupé dans une vaste catégorie, soit permettre à chaque représentant de pays de modéliser sa propre économie comme il le souhaitait et parvenir ensuite aux buts de consistance grâce à l'uniformité des modèles d'exportation, d'importation et de cours commerciaux par le biais des matrices commerciales mondiales. Nous avons choisi cette dernière manière d'opérer en nous disant que "c'était les constructeurs de modèle qui connaissaient le mieux leur propre économie". Nous nous sommes également heurtés à de formidables problèmes de banques de données, de modélisation statistique (économétrique) et de présentation. Au fil des années - cela fait 31 ans que nous avons organisé la réunion de fondation - nous avons grandement bénéficié des progrès techniques en informatique, tant sur le plan du matériel que des logiciels, en télécommunication pour la transmission internationale des données et en comptabilité macroéconomique. Année après année, nous avons organisé des conférences semi-annuelles sur les prévisions économiques mondiales, les politiques économiques mondiales et les nouvelles techniques de modélisation internationale. Le système LINK a été assorti de modèles sur l'énergie, sur les matières premières et autres systèmes spécialisés, en fonction des besoins. Par ailleurs, le système LINK a permis la simulation de nombreux scénarii plausibles concernant l'économie mondiale.

Lorsque j'ai cessé d'enseigner à l'Université de Pennsylvanie en 1971, le centre universitaire de LINK a été déplacé à l'Université de Toronto, sous la direction de Peter Pauly. Une grande partie de l'opération du système a été transférée aux Nations Unies à New York. Ces économétriciens, "ceux qui connaissaient le mieux la performance économique de leur propre pays", se réunissent tous les printemps aux Nations Unies, essentiellement pour débattre des perspectives de l'économie mondiale. Plus de cent personnes participent à ces réunions, dont de nombreux experts et les principaux auteurs des modèles. A l'automne, une organisation qui participe à l'une des économies du monde accueille une réunion similaire pour réévaluer la perspective et contribuer à l'amélioration du système LINK. Le système s'est amélioré sur le plan technique grâce à une meilleure gestion des données et l'informatisation des conclusions et ses priorités ont beaucoup évolué. L'économie mondiale continue d'avoir des problèmes dans le domaine du commerce mais également dans le domaine des flux de capitaux, des taux de change variables et de l'interprétation des perturbations économiques internationales importantes. Des conférences audiovisuelles intercontinentales ont été mises sur pied, de même que des équipements informatiques en ligne, pour analyser des politiques économiques différentes. Depuis plusieurs années, les conclusions de LINK, à la fois pour les projections et pour les scénarii alternatifs, ont été utilisées pour apporter des informations générales pour l'édition annuelle de l'Etude sur l'économie mondiale des Nations Unies.


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Le Projet LINK a survécu aux événements suivants : l'effondrement des parités des taux de change de Bretton Woods et la montée des taux flottants; la modification des termes de l'échange pour le pétrole, autres produits liés à l'énergie et denrées alimentaires au cours des années 70; les réformes économiques en Chine; la crise de la dette extérieure des années 80; la fin de la guerre froide et l'apparition d'économies de transition (du plan au marché), ainsi que de "nouveaux" pays; et les crises financières en Amérique latine, en Asie de l'Est et dans les économies de transition. Aucun de ces événements ne fut prévu mais une fois qu'ils survinrent, on se servit du système LINK pour analyser leurs répercussions internationales.

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