Echanges commerciaux entre partenaires inégaux

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Echanges commerciaux entre partenaires inégaux

L’Afrique et l’UE recherchent un accord jusque-là hors de portée
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Participants at a ministerial meeting on the margins of the EU-Africa Summit in Brussels.
Photo: Service européen pour l’action extérieure (SEAE)
Des participants à une réunion ministérielle en marge du Sommet UE-Afrique à Bruxelles.  Photo: Service européen pour l’action extérieure (SEAE)
Confrontée aux défis de l’économie mondiale, l’Afrique est contrainte de faire des choix difficiles lors des négociations d’accords commerciaux avec ses principaux partenaires économiques, notamment l’UE et les Etats-Unis. Parallèlement, le commerce intra-africain réclame toujours des solutions.

En mars dernier à Bruxelles, 61 chefs de gouvernement et hauts responsables, africains et européens, se sont réunis. Après deux jours de délibérations, ils ont publié un accord de 63 points énonçant des platitudes telles que « Nous sommes fiers de l’étendue de notre partenariat » ou « Nous sommes convaincus que la croissance sera mutuellement bénéfique. » 

De tous les sujets abordés – les combats en République centrafricaine, la démocratie, l’intégration régionale, l’immigration, l’aide au développement - c’est le fléchissement des relations commerciales entre l’Afrique et l’UE qui était le plus crucial. Le président sud-africain, Jacob Zuma, dont le pays est l’un des partenaires africains les plus importants de l’UE, n’a pas assisté au sommet, par solidarité avec le président zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a refusé de se rendre en Belgique car sa femme n’a pas obtenu de visa. « Il faut cesser de nous considérer comme des sujets et nous dire qui doit ou ne doit pas venir », a-t-il déclaré. Son boycott a été l’un des incidents qui ont émaillé les négociations interminables.

Le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a réitéré que l’UE préférait établir un partenariat avec les pays africains sur un pied d’égalité, mais selon Christoph Hasselbach, rédacteur de la Deutsche Welle, seule l’Afrique du Sud, l’économie la plus sophistiquée du continent, pourrait l’être. 

Les négociations en vue d’un accord commercial ont débuté en 2000, après la signature par l’UE et 79 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) de  l’Accord de Cotonou sur le commerce, l’aide et les relations politiques, qui stipulait que des accords de partenariat économique (APE) devaient être signés au plus tard en 2008. Les APE exigent la réduction des tarifs douaniers sur les importations et les exportations, mais les parties divergent sur les modalités. Néanmoins, 14 pays dont l’île Maurice, Madagascar, les Seychelles et le Zimbabwe, ont accepté des APE intérimaires permettant aux pays d’exporter vers le marché européen en franchise de droits et facilitant les importations de l’UE sur 15 à 25 ans. L’île Maurice a accepté d’ouvrir son marché aux produits européens sur 15 ans. Pour protéger les industries locales, les signataires peuvent exclure des produits comme Madagascar qui a exclu les exportations européennes de viande, de tabac, de sucre et de produits chimiques.

Avec la Convention de Lomé de 1975, l’UE accordait des préférences commerciales « non réciproques » aux pays ACP pour l’exportation de matières premières agricoles et minérales en franchise de droits vers l’UE. Aujourd’hui, elle veut les remplacer par les APE « réciproques », de sorte que les pays ACP puissent ouvrir leurs marchés aux exportations de l’UE. Or l’Afrique n’est pas pressée de libéraliser ses marchés.

La pomme de discorde

« Les pays africains sont dans l’ensemble protectionnistes, donc la libéralisation bénéficierait à l’UE», écrit Paul Collier, directeur du Centre d’étude des économies africaines à l’Université d’Oxford. L’Afrique n’adhère pas aux APE car elle craint que les entreprises européennes l’inondent de produits meilleur marché, provoquant ainsi la destruction des industries locales naissantes. L’abaissement des tarifs douaniers provoquerait la réduction des recettes publiques nécessaires pour investir entre autres dans l’agriculture, la santé
et l’éducation.  

James Asare-Adjei, le président de l’Association des industries du Ghana, affirme que le pays compte sur les recettes douanières pour financer son développement et qu’un APE pourrait faire perdre jusqu’à 300 millions de dollars par an. Aliyu Modibo Umar, un ancien Ministre du commerce nigérian, déclare : « Si 30 années de libre accès au marché de l’UE non réciproque n’ont pas amélioré la situation, comment un accord réciproque pourrait-il mieux faire? » Bingu wa Mutharika, le défunt président du Malawi, a qualifié les APE de « tactique égoïste promue par l’UE visant à diviser pour mieux régner.»

L’UE reconnaît que les APE vont créer plus d’emplois en Europe mais note que l’Afrique a tout à gagner d’une meilleure stabilité économique, des possibilités de formation, du transfert de connaissances, et d’exportations plus importantes. L’UE indique sur son site Internet que « pendant plus de 30 ans, les pays ACP ont bénéficié d’un accès préférentiel au marché européen qui n’a pas réussi à stimuler les économies locales ni la croissance.» 

Mise en œuvre provisoire

L’UE promeut l’accord sur la facilitation des échanges (FE) de l’OMC, conclu l’an dernier à Bali, visant à réduire les coûts d’exploitation en minimisant les procédures nécessaires au transport de biens et de services entre pays. Cet accord émane du cycle de négociations de Doha en 2001 et exhorte les pays à adopter des procédures douanières efficaces. L’Afrique n’est pas convaincue de ses avantages supposés. Les ministres africains du commerce ont convenu d’une mise en œuvre provisoire selon une clause de l’accord de Bali. Mais l’UE est déterminée à engager un bras de fer pour une application intégrale.

Les négociateurs de l’UE qui étaient à Malabo au cours du sommet de juin de l’Union africaine (UA), ont accru la pression sur les dirigeants pour les amener à revoir leur position. Un responsable de l’UA a qualifié cette approche de  « bras de fer sans précédent dans le cadre d’une rencontre des chefs d’État africains. » Irrités par ces pressions, le Nigéria, la plus grande économie d’Afrique, et l’île Maurice, l’une de ses économies les plus dynamiques, ont annoncé qu’ils pourraient revenir sur leur acceptation provisoire.

Mais l’Afrique pourrait ne pas tenir longtemps face aux menaces de l’UE de supprimer l’aide et celles des États-Unis de ne pas renouveler la Loi sur la croissance et les potentialités de l’Afrique (AGOA) qui doit expirer en 2015. Adoptée en 2000, elle stipule que l’Afrique peut exporter certains produits en franchise de droits aux États-Unis. 

Des failles dans la position de l’Afrique

L’OMC milite pour la mise en œuvre totale de l’accord FE. Son Directeur général, Roberto Azevêdo, a averti qu’une mise en œuvre provisoire pourrait se traduire par une diminution de l’aide au développement. « Les décisions prises à Bali seraient compromises.» Angelos Pangratis, l’envoyé de l’UE à l’OMC, affirme que « La crédibilité de la fonction de négociation de cette organisation [OMC] est une fois de plus en cause. »  Mais Nelson Ndirangu, directeur de l’économie et du commerce extérieur au ministère kényan des Affaires étrangères, s’étonne que l’UE s’oppose à la proposition « de mettre en œuvre l’accord de facilitation des échanges sur une base provisoire conformément à la Déclaration de Doha. Il y a deux poids deux mesures. »

À l’issue du sommet de Malabo, des divisions sont apparues. « Nous n’avons jamais dit que nous ne mettrons pas en œuvre l’accord FE, mais nous ne savons pas comment le faire, » affirme M. Ndirangu, renvoyant la balle dans le camp de l’UE. Mais l’Afrique du Sud, l’Ouganda, la Tanzanie et le Zimbabwe ont exhorté l’Afrique à ne mettre l’accord en œuvre qu’une fois que l’UE aura concrètement démontré son engagement à fournir une aide. Or selon l’accord FE, cet engagement n’est pas contraignant. 

L’éveil de l’Asie

La croissance des échanges de l’Afrique avec l’Asie, notamment la Chine, préoccupe l’UE, affirme M. Hasselbach.  La part de l’Afrique dans le commerce mondial a augmenté de façon constante, passant de 277 milliards (2,3 %) en 2001 à environ 1 000  milliards de dollars (4,6 %) en 2011, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement. Alors que l’UE est encore le partenaire commercial le plus important de l’Afrique, le commerce avec l’Asie a augmenté de 22 % durant cette période, contre 15% avec l’UE. En outre, la contribution de l’UE aux importations de produits manufacturés est tombée de 32 % en 2002 à 23 %, tandis que la part de l’Asie a augmenté de 13 % à 22 % en 2011.   

Selon certains experts les craintes liées à l’accord FE peuvent être exagérées. Patrick Kanyimbo et Calvin Manduna, spécialistes du commerce auprès de la Banque africaine de développement, soutiennent qu’un accord FE permettra de réduire la complexité des opérations douanières et viendra compléter « les investissements d’infrastructure sur  le continent, en particulier dans le secteur des transports. » 

Les relations commerciales entre l’UE et l’Afrique connaîtront sans doute de nouveaux aléas avant 2015, date butoir pour la mise en œuvre de l’accord FE. Les grandes économies  comme le Nigéria et l’Afrique du Sud durcissent le ton, mais les autres sont plus réservées. Rashid Pelpuo, le ministre d’Etat ghanéen aux partenariats public-privé, note que les accords commerciaux sont toujours liés à « l’aide, l’assistance technique et politique ... Ne pas signer coûterait trop cher.» Seul le temps dira si, ou quand, l’Afrique acceptera ces accords.  

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