Ressources minières : la fin d’une malédiction?

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Ressources minières : la fin d’une malédiction?

L’Afrique veut transformer son industrie minière
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Photo: Panos/ Sven Torfinn
Mine de cuivre à Kitwe, Zambie.  Photo: Panos/Sven Torfinn

Si l’on en croit le Conseil mondial du diamant, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale sont des terreaux fertiles pour les diamants du sang, popularisés au cinéma par le film Blood Diamond.

Il est courant d’entendre en effet que les ressources minérales sont une malédiction plutôt qu’une bénédiction. Et le conflit en République Centrafricaine semble l’illustrer (voir page 11), tout comme ceux de République démocratique du Congo (RDC), du Darfour ou du Soudan du Sud.

Des pays riches en ressources naturelles comme la RDC, la Zambie, le Mozambique, la Mauritanie ou la Guinée, vivent un paradoxe troublant de pauvreté dans l’abondance. La Guinée est dotée de « certaines des réserves de minéraux les plus convoités de la planète », écrit le Financial Times, dont 40 milliards de tonnes de bauxite, la plus grande réserve du monde, plus de 20 milliards de tonnes de minerai de fer, des diamants, de l’or et des quantités indéterminées d’uranium. Mais 55 % des 11 millions d’habitants de la Guinée vivent avec moins de 1,25 dollar par jour, indique la Banque africaine de développement (BAD), et le pays se classe 178ème sur 187 pays selon l’Indice de développement humain 2013 du PNUD qui mesure le niveau de vie des pays.

Une vision de l’exploitation minière

Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), le continent abrite 54 % des réserves mondiales de platine, 78 % de diamants, 40 % de chrome et 28 % de manganèse. « Dix-neuf des 46 pays d’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux et 13 pays explorent actuellement de nouvelles réserves », relève le PNUD. Pourtant, la Banque mondiale estime que l’Afrique est le continent le plus pauvre du monde.

Carlos Lopes, le Secrétaire exécutif de la CEA, estime que « les ressources naturelles de l’Afrique sont une bénédiction et non une malédiction ». Les ressources naturelles devraient être une bénédiction, estime aussi la BAD.

En 2009, l’Union africaine (UA) a adopté le projet Afrique Extraction minière (AMV), un cadre pour la mise en valeur des ressources minérales. L’AMV recommande de mieux négocier les contrats miniers, de prêter plus d’attention à l’environnement, de veiller à la valorisation des ressources naturelles et au développement des compétences des Africains. Son objectif est d’aider le continent a tirer davantage profit de leurs ressources pour stimuler la croissance. Les revenus de l’exploitation minière devraient être investis dans les routes, les chemins de fer, les ports, l’énergie, l’eau et les télécommunications et il devrait y avoir davantage d’industries locales de transformation, une économie du savoir et un secteur des services dynamique. L’AMV prévoit des institutions fortes pour endiguer les flux financiers illicites.

Renégociation

En 2011, les dirigeants africains ont approuvé le plan d’action de l’AMV. En décembre dernier, les ministres des ressources naturelles, la société civile et d’autres experts du continent ont lancé à Maputo, au Mozambique, le Centre africain pour le développement des ressources minérales (AMDC) pour mettre en œuvre les projets de l’AMV.

À Maputo la franchise était de rigueur. Antonio Pedro, Directeur du bureau de la CEA pour l’Afrique de l’Est, a sermonné les ministres : « Le continent est impatient, les attentes sont grandes et les retombées ne sont pas réparties de manière équitable. » Le mot d’ordre était « réforme ». Fatima Denton, de la Division des initiatives spéciales de la CEA, a souligné que les négociations contractuelles devaient « refléter la véritable valeur de nos ressources », insinuant que tel n’est pas encore le cas. Un comité d’experts qui a par exemple analysé 61 transactions minières en RDC en 2009. Il a relevé qu’elles étaient toutes douteuses et recommandé l’annulation de 22 de ces transactions et la renégociation de 39.

La renégociation peut s’avérer difficile, car les entreprises veulent s’assurer un généreux retour sur investissements. M. Lopes estime que les « bénéfices nets moyens des 40 plus grandes sociétés minières [dans le monde] ont augmenté de 156 % en 2010 tandis que les revenus des États ont augmenté de 60 %. L’Australie et le Canada étant pour l’essentiel à l’origine de cette progression. »

La Zambie en exemple

La Zambie, septième producteur mondial de cuivre, s’efforçait sans réelle conviction depuis des années de modifier ses contrats miniers. Face à la menace de poursuites judiciaires qu’engageraient des investisseurs étrangers en cas de violation des accords, l’ancien président, Rupiah Banda, s’est prononcé contre une révision des contrats existants, à la grande déception des Zambiens. Puis, en 2009, il a supprimé un impôt de 25 % sur les bénéfices exceptionnels instauré en 2008.

Michael Sata, l’’actuel président, a adopter une démarche différente. Depuis 2011, son gouvernement applique un impôt de 30 % sur les sociétés minières. Ce qui a doublé les recettes minières du pays entre 2010 et 2011, les portant à 1,36 milliard de dollars. La forte demande de cuivre de la Chine et une légère hausse des prix ont également été responsables de la hausse des recettes.

Au Mali, les réformes ont été lentes. Le gouvernement a introduit un code minier en 2012 portant principalement sur les questions environnementales. En Guinée, le code minier de 2011 est plus robuste que celui du Mali et oblige les sociétés minières à signer un code de conduite contre les pratiques de corruption et à assurer la formation des employés locaux. Il établit un seuil de participation du gouvernement de 35 % du capital des projets miniers. « Le code comporte des modifications par rapport à l’ancien en faveur de la Guinée », déclare le ministre des Mines de Guinée, Lamine Fofana.

Certains experts déconseillent de modifier les accords existants. La Chambre nationale des mines du Ghana exerce une forte pression sur le gouvernement pour qu’il renonce à son projet d’augmentation de l’impôt sur les sociétés pour le faire passer de 25 % à 35 % ainsi qu’à l’impôt de 10 % sur les bénéfices exceptionnels. Cependant, la chambre est à couteaux tirés avec la National Coalition on Mining, un groupe de la société civile qui soutient les hausses d’impôt. L’African Agenda, une publication ghanéenne, écrit : « Les sociétés minières [au Ghana] sont désormais les seules parties prenantes... qui militent pour le maintien du statu quo afin de continuer à récolter des bénéfices supérieurs à la normale. » Cette publication a exhorté le Président, John Mahama, à se positionner contre la baisse des impôts. « Soyez ferme... nous serons à vos côtés sur toute la ligne », a recommandé un éditorial.

Tout comme en Zambie, les recettes minières ont fortement augmenté au Ghana, passant de 210 millions de dollars en 2010 à 500 millions en 2011, selon l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), une coalition de gouvernements et de groupes de la société civile qui s’efforce d’améliorer la transparence dans la gestion des ressources naturelles.

Une main secourable

Mais les exemples du Ghana et de la Zambie ne sont pas forcément simples à copier pour d’autres pays. Néanmoins, le continent reçoit de l’aide du Canada, de l’Australie et du Chili, des pays qui ont réussi à bien gérer leurs ressources minérales. Le Canada a récemment créé l’Institut canadien international pour les industries extractives et le développement à l’Université de la Colombie-Britannique afin d’aider les pays en développement. Il prévoit d’offrir des bourses d’étude et de perfectionnement aux employés du gouvernement, aux universitaires et aux étudiants des cycles supérieurs.
Le gouvernement australien soutient également les entreprises présentes en Afrique. La Chine apporte son concours à la construction de chemins de fer, d’hôpitaux, de routes et de ports dans les pays riches en minéraux tels que l’Angola, la Zambie, la Sierra Leone et le Mali.

L’AMV exige la « transparence dans la collecte et l’utilisation des recettes minières. » « Bien que les prix des produits de base aient chuté récemment suite à un ralentissement de l’économie chinoise, selon le Financial Times cette baisse pourrait être compensée par la demande soutenue de l’Inde et du Brésil. En outre, l’Union européenne est prête à développer ce qu’elle appelle « une diplomatie des matières premières » afin de garantir les approvisionnements futurs par le biais d’un accord avec l’UA. L’US National Research Council, un centre de réflexion, a recommandé au gouvernement des Etats-Unis de « bien connaître les minéraux non combustibles qui sont importants pour l’économie et les fonctions de la nation. »

L’an dernier, la Norvège a versé 4,9 millions de dollars à la BAD pour aider la Facilité de soutien juridique de la banque à négocier de meilleurs contrats pétroliers, gaziers et miniers au nom des gouvernements africains. Heikki Eidsvoll, le ministre norvégien du Développement international déclare que son pays veut « contribuer à transformer la malédiction que constituent les ressources de l’Afrique en une bénédiction ». La Banque mondiale, le FMI, l’ITIE et la société civile africaine suivent la même tendance que l’AMV.

Vingt-deux pays d’Afrique (sur 32 dans le monde) ont adopté les normes ITIE, qui exigent que toutes les informations relatives à l’exploitation minière soient mises à la disposition du public. Les analystes estiment qu’il y a désormais plus de transparence dans le secteur. Au Gabon, les organisations de la société civile, dotées des informations nécessaires, débattent à présent avec force de la gestion des recettes, ce qui n’était pas le cas avant. Au Nigéria, on note une amélioration de la « capacité de surveillance et de gestion des organismes étatiques compétents », selon une déclaration de l’ITIE, qui ajoute que les autorités camerounaises et les ONG comprennent désormais la fiscalité, la comptabilité et l’audit.

Nkosazana Dlamini-Zuma, Présidente de la Commission de l’UA, a déclaré que l’avenir de l’Afrique « dépendra de la façon dont nous utiliserons nos ressources naturelles. » « Ce message devrait inciter les dirigeants africains et les sociétés minières à transformer les ressources minérales de l’Afrique en une bénédiction.  

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