Il y a une dynamique énergétique en Afrique

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Il y a une dynamique énergétique en Afrique

— Kandeh Yumkella
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Photo: UN Photo/Maria Elisa Franco
Photo: Photo ONU /Maria Elisa Franco
Kandeh Yumkella est le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour l’initiative « Énergie durable pour tous ». Son rôle est de promouvoir une économie propre créatrice d’emploi. Dans cet entretien avec Kingsley Ighobor, il évoque les défis énergétiques du continent.
Pourquoi l’Afrique doit-elle se préoccuper des questions énergétiques ?
 
C’est le continent le moins bien doté en énergie. La capacité énergétique combinée de 40 pays d’Afrique sub-saharienne est inférieur à celle de 20 millions de New Yorkais. Des pays comme le Mali ou le Burkina Faso paient beaucoup plus pour un kilowatt heure d’énergie que le reste du monde, à cause de leur enclavement. En Afrique, le kilowatt heure coûte de 40 à 50 cents, contre 4 à 17 ailleurs. Sans énergie, notre industrialisation est en péril. Partout en Afrique, usines et restaurants disposent de groupes électrogènes, ce qui rajoute 20 % à 30 % aux frais d’exploitation.
 
Comment l’Afrique fait-elle face aux défis énergétiques ?
 
Il faut concevoir l’énergie comme une contribution majeure au développement. Il faut en tenir compte quand nous planifions, surtout lorsque nous planifions sur 20 ou 30 ans. Enfin, il faut mobiliser les ressources pour investir dans ce secteur.
 
Dans quels domaines les choses ont-elles changé ?
 
Je suis heureux d’entendre les dirigeants africains dire désormais les bonnes choses en matière énergétique. Partout le message est le même. L’Afrique de l’ouest, découvre le pétrole et le gaz. Ces pays doivent éviter de brûler le gaz en torchère comme le Nigeria l’a fait pendant 50 ans. L’une de nos initiatives est la promotion du zéro torchage. Il faut aussi utiliser ce gaz pour produire de l’énergie pour les populations. Le Ghana est électrifiée à 72 %, pourtant 80 % de la population continue d’utiliser le charbon de bois et le bois de chauffage pour cuisiner.
 
Les gouvernements africains sont-ils réceptifs à vos idées ?
 
Oui. La Tanzanie et le Mozambique possèdent autant de gaz que le Koweit. Le Président Kikwete compte utiliser une partie de ce gaz pour produire de l’énergie. Il en vendra aussi, tout en s’assurant d’une transformation en aval pour la production d’engrais et de gaz naturel liquéfié (GNL). Il compte investir dans le solaire et l’éolien. Le Kenya veut investir massivement dans la géothermie – c’est-à-dire la chaleur générée par le sous-sol. Tous les pays d’Afrique de l’est sont assis sur des ressources géothermiques, les mêmes qui ont transformé l’Islande.
 
Mais quelles sont les mesures concrètes ?
 
Mon travail est de mobiliser ces dirigeants et les aider à mettre en place un marché intégré de l’énergie. Pour obtenir les investissements dont nous avons besoin, les gouvernements ne doivent pas s’engager sur du ponctuel mais sur des projets énergétiques sur au moins 20 ans. Dans les autres pays, on planifie les besoins énergétiques sur 20 ou 30 ans, pas en Afrique. Il faut un plan et une politique énergétiques dans lesquels les investisseurs peuvent croire, assez pour dire : « Je vais emprunter et je vais investir, les lois ne changeront pas dans les cinq prochaines années. » La bonne nouvelle, c’est qu’un certain nombre de banques commencent à prendre au sérieux le secteur de l’énergie. Avec d’autres, Aliko Dangote [un homme d’affaire nigérian] a réuni 3 milliards de dollars pour une raffinerie au Nigeria.
 
L’Éthiopie collabore avec des donateurs pour construire une vaste infrastructure énergétique. Est-ce un exemple à suivre ?
 
Absolument. Le président Zenawi, aujourd’hui décédé, a pris la décision de construire le barrage Renaissance. Je vais vous dire ce que j’ai aimé dans l’approche éthiopienne de ce barrage. Ils lèvent des fonds grâce à des taxes intérieures. Ils envisagent des partenariats avec la Chine et d’autres et disent : « Nous allons vendre la moitié de cette énergie au Kenya et à d’autres de nos voisins comme le Soudan. » Quand il s’agit de projets aussi importants, la taille des marchés doit augmenter et des lignes de transport d’énergie doivent exister entre les pays concernés.
 
L’initiative énergétique du Président Obama sera mise en œuvre avec l’appui du fonds pour l’énergie durable de la BAD, qui est aujourd’hui un fonds multi-donateurs. Cet exemple peut-il être suivi et peut-on aller plus loin ?
 
On peut aller très loin. C’est un projet de 16 milliards de dollars qui m’intéresse au plus haut point car mon initiative s’inspire du même modèle, avec l’objectif de mobiliser les capitaux privés grâce à l’argent public. Dans la formule du Président Obama, 7 milliards de dollars sont investis par le gouvernement et 9 milliards par le secteur privé. Le point positif, c’est que des acteurs africains se disent prêts à jouer le jeu. L’Union européenne a aussi contribué, à hauteur de 400 millions de dollars.
 
En Afrique, ce sont 300 milliards de dollars qu’il faut consacrer au secteur énergétique...
 
Ce dont nous avons besoin est énorme, oui.
 
Ce qui signifie que les chiffres dont nous parlons ici sont en comparaison bien faibles...
 
Ces gros investissements ne relèvent pas du secteur caritatif. C’est là que les gouvernements interviennent pour stabiliser ces marchés – qui sont des marchés plus importants en termes d’économie d’échelle, où les investisseurs peuvent dire : « J’emprunte un milliard pour 2 000 mégawatts et c’est là que j’interviens, dans la construction de ce barrage. Les lignes de transport d’énergie existent, avec une politique énergétique et un contrat d’achat d’énergie. Je connais les prix et je sais que dans 20 ans, je pourrai récupérer mon argent et rembourser les banques. » L’aide contribue au secteur de l’énergie à hauteur de 9 milliards de dollars. Mais pour permettre l’accès universel à l’énergie pour 1,4 milliard de personnes qui pour l’instant n’en bénéficient pas, il faut 50 milliards de dollars annuels. Passer de 9 milliards à 50 milliards par an, c’est un travail colossal.
 
Les défis sont donc énormes...
 
Le Secrétaire général [Ban Ki-moon] a déclaré que l’énergie était une question centrale pour tout processus de développement. Entre 60 % et 70 % des gaz à effet de serre viennent de la production et de l’utilisation de l’énergie. Si vous ne vous attaquez pas à la question de l’énergie, vous ne tenez pas compte du changement climatique et vous ne pouvez pas résoudre la question du développement durable.
 
L’Afrique, manifestement, pourrait devenir leader sur ce terrain.
 
Parfaitement. Nous avons un avantage comparatif, qui est de pouvoir passer d’un bond d’une étape à l’autre. Prenez l’exemple que je donne souvent, celui des téléphones portables. J’étais au Nigeria quand le secteur de la téléphonie mobile a été privatisé. Avant, il y avait tout au plus 400 000 connexions téléphoniques. En un ou deux ans, la population s’est dotée de millions de téléphones portables. L’un de nos slogans, c’est de dire que nous pouvons faire pour le secteur énergétique ce que nous avons réussi pour les téléphones portables. Et comment avons-nous fait ? Nous avons mis en place des politiques claires sur 20 ou 30 ans, des politiques de protection de l’investissement connues de tous les investisseurs ; suite à quoi, le secteur a été dégroupé, privatisé. Nous pouvons désormais nous déployer dans le solaire, l’éolien, les énergies renouvelables, l’hydro-énergie et la biomasse.
 
Faut-il se concentrer sur les énergies vertes renouvelables ?
 
Notre but, ce sont les sources d’énergies faibles en carbone. Mais actuellement, toutes les sources d’énergie comptent. Pourquoi brûler du gaz quand nous pouvons l’utiliser pour produire de l’énergie ? Le gaz est moitié moins polluant que le charbon. Il n’y a aucune raison pour que le Nigeria ne devienne pas une puissance gazière. La Norvège, deuxième fournisseur de gaz en Europe et sixième producteur de pétrole au monde, s’est fixé pour objectif une production d’électricité 100 % renouvelable dans quelques années et le pays en est déjà à 80 %. Le Brésil est sur le point d’atteindre l’indépendance énergétique. Le pays utilise les technologies à l’éthanol et vient de découvrir d’immenses gisements de pétrole au large de leurs côtes. Cela ne l’empêche pas de continuer à pousser en faveur des énergies renouvelables.
 
Sous quels délais pensez-vous que l’Afrique puisse atteindre son rêve d’indépendance énergétique ?
 
Rien n’est impossible. Selon moi, il est possible d’y parvenir en deux décennies. Tout d’un coup, la croissance en Afrique est plus forte qu’elle ne l’a jamais été et nous sommes nombreux à découvrir qu’il y a encore plus de minerai sur le continent que nous l’avions cru. C’est aussi une question de bonne gouvernance, de vision et de bonne gestion. Je suis optimiste. Une dynamique se dessine et ce que je vois, ce sont des entreprises et des banques africaines qui mobilisent leurs propres ressources pour y participer. Nous n’avons plus vu ça depuis 20 ans et c’est un signe positif.