Centrafrique: le défi de la stabilisation

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Centrafrique: le défi de la stabilisation

Peacekeepers patrol the Muslim enclave in the capital city of Bangui in the Central African Republic (CAR).
Photo credit: UN
Peacekeepers serving the UN Multidimensional Integrated Stabilization Mission in the Central African Republic (MINUSCA) patrol the Muslim enclave in the capital city of Bangui in the Central African Republic (CAR). Photo credit: UN

Le jour était à peine levé, le 7 octobre 2017, quand blindés et hélicoptères de la Mission des Nations Unies en Centrafrique sont entrés dans la ville de Bocaranga afin de la libérer des mains de ‘Retour, Réclamation et Réhabilitation (3R), un des nombreux groupes armés centrafricains opérant en République centrafricaine.  Bocaranga, située au Nord-ouest de la République centrafricaine et centre important de transhumance, avait été envahie une quinzaine de jours plus tôt par les 3R.

Quelques jours plus tard, Kembé puis Pombolo, deux villes du Sud-est, ont été, l’une après l’autre, le théâtre de graves violences, dont les victimes, majoritairement de confession musulmane, se comptent par dizaines. Les Casques bleus y seront dépêchés pour des missions de reconnaissance. Des délégations du gouvernement et de la MINUSCA, la Mission des Nations Unies en Centrafrique s’y rendront aussi pour evaluer la situation ». 

Ces nouveaux foyers de tension rappellent l’épisode sanglant de Bangassou, en juillet 2017, puis  de Zemio, où des groupes armés semblent désormais régner  après le vide laissé par le retrait des troupes américaines et ougandaises. La Centrafrique est un pays de 622,984 km²dont une grande partie du territoire est occupé par une quinzaine de groupes armés, notamment les ex-Séléka et anti-Balaka, principales factions qui se sont opposées lors de la dernière grande crise qui a  abouti au départ de Jean François Bozizé en 2013. Mais il y a aussi des Peuls, une ethnie semi-nomade et pastorale, et d'autres groupes d'autodéfense.

Tous prétendent défendre des intérêts légitimes, à l'instar de la coalition Mouvement patriotique centrafricain (MPC)/Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), dont la zone de contrôle se situe dans le Nord. L'Unité pour la paix en Centrafrique (UPC), quant à elle, opérait à Bambari, à près de 400 km à l’est de Bangui, la capitale, avant d'en être délogée au sud de cette ville en février dernier par une opération de désarmement des Casques bleus.

Un conflit lourd de conséquences

Quelles que soient leurs revendications, ces groupes armées, opèrent pratiquement de la même manière : « attaques contre des civils, tueries ciblées, blessures, viols et enlèvements », révèle le dernier rapport de la MINUSCA sur les abus et violations des droits de l’homme et les violations des lois humanitaires internationales. Le rapport s’est particulièrement intéressé aux activités de la coalition FPRC et UPC dans les préfectures de la Haute-Kotto et la Ouaka, situées au Sud-est et au Nord-ouest du pays, entre novembre 2016 et février 2017 où des maisons ont été incendiées et des ponts et routes saccagés.

Les groupes armés occupent aussi des écoles et autres édifices publics, et pillent les vivres des habitants, les cargaisons humanitaires et des convois commerciaux. Mais leur activité prédominante demeure l'exploitation illicite des ressources naturelles dont regorge le pays. Certains proposent des services de sécurité aux compagnies étrangères d'exploitation de minerais, tandis que d'autres s'adonnent au commerce du café...

Les Casques bleus, en collaboration, avec les forces de sécurités centrafricaines, font tout pour mettre fin aux violences et protéger les populations civiles. Mais l'état déplorable des routes -seuls les axes Beloko-Bangui, principale voie d'approvisionnement du pays, et Bangui-Sibut sont bitumés- rend quasiment impossible toute mobilité terrestre surtout en saison pluvieuse, ce malgré les travaux de réhabilitation que mènent continuellement les entreprises de génie.

Alors, pour protéger les civils et les institutions, les Casques bleus doivent souvent faire appel à des moyens aériens, dont une dizaine d’hélicoptères.

L’acheminement de l'aide humanitaire aux populations est aussi freiné, et celles-ci sont souvent contraintes de fuir  dans la brousse ou dans des villes avoisinantes, si ce n'est dans des églises ou des  mosquées ou encore à proximité des bases de la MINUSCA.

On recense aujourd'hui quelque 600.250 déplacés internes dont le quotidien est souvent synonyme de précarité dans un pays où l'autorité de l'Etat est toujours embryonnaire dans l'arrière-pays.

L'activité économique n'est pas épargnée. Là aussi, des attaques répétées sur les convois de marchandises ont gravement affecté les importations. Aujourd'hui, cette activité vitale de l'économie n'est possible que grâce à l'accompagnement sécurisé des convois commerciaux que les Casques bleus assurent sur les principaux axes et autres voies secondaires afin de desservir tout le pays.

Mettre un terme à la souffrance des populations

À l’initiative du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, la MINUSCA, le Gouvernement et la société civile se sont rendus dans plusieurs villes du Sud-est pour « exprimer leur  solidarité envers les populations et faire entendre raison à leurs bourreaux  ». C’était en juillet de cette année, dans le cadre dune Caravane de la paix.  Pour la délégation, il s’agissait aussi de voir comment « établir des couloirs humanitaires pour venir en aide aux populations sinistrées, notamment après le retrait temporaire des humanitaires, mais aussi créer les conditions d'un déploiement conjoint avec des forces de sécurité intérieure et de défense pour une meilleure sécurisation.»

Lors de ses nombreuses visites de terrain, y compris avec le chef de l’État centrafricain, le leadership de la MINUSCA ne cesse de plaider en faveur du dialogue, de la paix et de la cohésion sociale, tant il est vrai  qu’ « il  ne saurait y avoir de solution violente à la crise centrafricaine » ; même si la Mission, qui dispose de  plus de 12.300  Casques bleus, n’hésite pas à mobiliser toutes ses capacités et à faire usage de la force nécessaire pour réduire l’impact nuisible des groupes armés et ainsi assurer la protection des populations civiles… hélas, souvent, au péril de ses soldats. 

Autant d'éléments qui justifient à suffisance l'ajout d'effectifs pour la Force; l’objectif étant de gagner en efficacité sur le terrain, aux côtés des forces de défense et de sécurité centrafricaines, dont le renforcement de capacités est en cours avec le concours de partenaires comme  l'Union européenne.

Des priorités gouvernementales

Depuis le retour à l’ordre constitutionnel et la mise en place des institutions républicaines, à la faveur d’élections générales, la stratégie du Gouvernement pour restaurer l’autorité de l’État semble avoir permis des progrès dans bien des domaines.  Devant les partenaires réunis en septembre 2017, en marge de la 72e Assemblée générale de l’ONU à New York, le Président Faustin Archange Touadera a fait valoir entre autres avancées « le dialogue avec les groupes armés, le lancement du projet pilote de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement (DDRR). Des projets pilotes ont été mis en œuvre à Bambari et Bangui, Bouar, Paoua et Kaga Bandoro.  Mais il faut aussi citer l’adoption de la stratégie nationale de restauration de l’autorité de l’État ; de la Politique nationale de sécurité et de la stratégie nationale de la réforme du secteur de la sécurité ».

Il convient aussi de mentionner que tous les groupes armés conviés au dialogue par le Chef de l’État, par l’intermédiaire du Comité consultatif de suivi sur le DDR, y sont représentés.  N’empêche, la réalité sur le terrain est bien différente. Ce qui justifie des initiatives telle  l' Entente de Sant ‘Egidio  connue aussi sous l'appellation Accord politique pour la paix en RCA (juin 2017), lequel soulignait qu’ il est vital que le cessez-le-feu sur lequel les parties se sont accordées entre en vigueur immédiatement pour libérer les populations et les nombreuses régions du pays qui souffrent encore de la violence armée». Plus de quatre mois après, les groupes semblent toujours aussi sourds aux multiples appels du gouvernement, des chefs religieux, des organisations sous régionales et internationales. Ils continuent de défier la justice et multiplient les atrocités contre leurs propres concitoyens, faisant craindre un embrasement général du conflit.

Mme Uwolowulakana Ikavi-Gbetanou est la Cheffe de l'Unite Publications et Multimédia au Bureau de la Communication stratégique et de l'Information publique de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine

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