La réinsertion des ex-combattants

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La réinsertion des ex-combattants

Afrique : lorsque la guerre s’achève, les combattants se transforment en bâtisseurs
Afrique Renouveau: 
Freetown and Monrovia
UN / Martine Perret

Haja Sheriff veut être agriculteur. Comme plusieurs centaines d’autres anciens soldats inscrits au centre de formation agricole de Duport Road à la périphérie de Monrovia, capitale du Libéria, elle espère obtenir un lopin de terre où elle pourra cultiver du riz et des légumes et même élever des chèvres, des poules ou des cochons.

Il y a deux ans à peine, Mme Sheriff servait comme volontaire dans une milice pro-gouvernementale pendant la récente guerre civile qui a secoué son pays, a-t-elle confié à Afrique Renouveau. A présent elle apprend un nouveau métier aux côtés d’anciens rebelles qu’elle avait combattus. Ayant pris part à l’opération de désarmement et de démobilisation menées par la Mission de l’ONU au Libéria (MINUL), elle est en train de terminer un stage de réinsertion de huit mois dispensé par une organisation de la société civile locale, the Association for Development Aid.

Mme Sheriff partage ces espoirs avec des centaines de milliers d’autres ex-combattants d’Afrique. Avec la multiplication des accords de paix, un nombre croissant d’anciens soldats et rebelles participent aux programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion, connus généralement sous le nom de “DDR”. Ils ne demandent pas mieux que d’abandonner la violence pour démarrer une vie nouvelle et productive, pour eux-mêmes, leurs familles et leurs communautés.

Pour la plupart, rendre leurs fusils a été un premier pas facile à franchir, de même qu’abandonner leurs factions militaires. En revanche, réussir leur réinsertion dans la vie civile dans des pays qui souffrent encore des conséquences politiques, économiques et sociaux de la guerre n’est pas aussi simple. Les programmes de DDR sur le continent indiquent en effet que la réinsertion constitue un parcours long et tortueux, semé d’embûches, dont l’issue dépend des succès globaux enregistrés en matière de reprise économique et de réconciliation politique.

Disarmament in Burundi: With more peace pacts across Africa, hundreds of thousands of fighters are demobilizing Désarmement au Burundi : La multiplication des accords de paix en Afrique entraîne la démobilisation de centaines de milliers de combattants.
Photo: UN / Martine Perret

Enlisé dans l’incertitude

En Sierra Leone voisine, où une guerre civile d’une dizaine d’années s’est terminée en 2001, des dizaines de milliers d’ex-combattants ont déjà opéré leur passage à la vie civile et travaillent comme charpentiers, cultivateurs de cacao, petits commerçants et électriciens.

Le chômage y reste toutefois très élevé, notamment chez les jeunes. Le système scolaire du pays peine à fonctionner. De ce fait, certains ex-combattants ont du mal à s’en sortir.

  • Momoh Koroma, qui a été enlevé pour servir dans le Front révolutionnaire uni à 16 ans, a reçu deux mois de formation professionnelle comme mécanicien auto suivant sa démobilisation. A présent il “ne fait rien”, selon ses propos.
  • Abdul Kamara – autrefois connu comme “ Jésus noir” pour ses prouesses militaires avec le Conseil révolutionnaire des Forces armées a reçu une formation de trois mois comme électricien et à présent vivote de petits boulots.
  • Mohamed Karim Kanu, enlevé il y a 10 ans par les troupes du Conseil révolutionnaire des Forces armées à 11 ans, souhaite retourner à l’école. Mais il n’a aucune nouvelle de sa famille et l’organisation non gouvernementale qui l’a pris en charge après sa démobilisation n’a pas eu les moyens de l’aider. Du coup, il ne fréquente pas l’école et subsiste “en faisant la manche dans le quartier”.

Ces jeunes gens, comme quatre autres ex-combattants au chômage qui ont parlé avec Afrique Renouveau à Freetown, n’ont absolument pas manifesté l’envie de reprendre les armes. Mais sans moyens d’existence ou liens étroits avec les communautés locales, de nombreux jeunes sierra-léonais comme ceux-ci sont exposés au recrutement par des bandes de délinquants ou des factions armées en formation. “Si cela continue, la Sierra Leone risque un nouvel apocalypse”, prévoit Ibrahim Bangura, chargé de la protection des enfants dans une association de la société civile locale, la Post-Conflict Reintegration Initiative for Development and Empowerment (PRIDE), qui tente d’aider les jeunes.

Nouvelle phase

L’amélioration des programmes de DDR en Afrique a été au cœur des débats des participants à une conférence qui s’est tenue du 21 au 23 juin à Freetown. “Sans un programme global de DDR, il y a peu de chances pour que la situation se stabilise à la longue”, a estimé le Président sierra-léonais Ahmad Tejan Kabbah à l’ouverture d’une conférence sur le désarmement, la démobilisation, la réinsertion et la stabilité en Afrique. “Les programmes post-conflit, qu’ils soient politiques, sociaux ou économiques, reposent sur des programmes de DDR et la manière dont les gens mesurent leur réussite”.

La réunion était organisée par le Gouvernement sierra-léonais et le Bureau du Conseiller spécial de l’ONU pour l’Afrique. La manifestation a rassemblé des experts de DDR et des acteurs intéressés de 15 pays africains, ainsi que des représentants d’institutions de l’ONU, de donateurs et d’autres organismes internationaux. Les participants ont échangé leurs expériences et idées sur la manière d’améliorer la conception et la marche de ces programmes. Ils se sont accordés à affirmer que les efforts de DDR entraient actuellement dans “une nouvelle phase”, où les objectifs devaient être mieux cernés et les opinions des spécialistes et bénéficiaires plus écoutées.

Parmi les nombreuses autres recommandations, les participants ont affirmé le besoin:

  • de prévoir des dispositions concrètes de DDR dans les accords de paix
  • de s’attaquer aux besoins particuliers des ex-combattantes
  • d’établir une meilleure coordination parmi gouvernements et forces de maintien de la paix dans les pays limitrophes pour tenter de résoudre le passage transfrontière de combattants et d’armes
  • d’accorder une attention plus particulière à la collecte d’armes légères après la fin des opérations officielles de désarmement
  • d’intensifier la collaboration entre partenaires internationaux visant à doter les autorités nationales de moyens en matière de DDR et à assurer un financement plus souple et à temps.

Les participants ont par ailleurs estimé que, s’il y avait encore des améliorations à apporter aux processus de désarmement et de démobilisation, c’est l’aspect “réinsertion” qui nécessitait le plus d’attention, d’efforts et de ressources. Le DDR ne doit pas se résumer aux “désarmement et démobilisation”, avec la “réinsertion” ajoutée après coup, mais un processus permanent et intégré, déclare pour sa part Francis Kai-Kai, qui présidait le comité national de DDR en Sierra Leone. “On ne peut accorder toute notre attention aux hommes et aux armes seulement, sans nous préoccuper de leur avenir”, dit-il.

La réinsertion doit retenir une attention particulière, notamment parce que le retour des anciens combattants à la vie civile prend plus de temps que leur désarmement et démobilisation. Ces deux opérations bénéficieront en outre d’un financement rapide provenant du budget de maintien de la paix de l’ONU, par le truchement d’une mission de paix de l’Organisation. Par contre, la réinsertion est normalement financée par les contributions volontaires d’une multitude d’organismes multilatéraux, bilatéraux et nationaux, qui manquent souvent de coordination et mettent du temps à tenir leurs engagements. Du coup, le financement est souvent insuffisant ou tardif entraînant la suspension des cours de formation professionnelle et provoquant le mécontentement croissant des ex-combattants.

Il y a un autre obstacle au financement des opérations de DDR : la réticence de certains organismes de donateurs et d’associations de la société civile à aider quiconque portait un fusil, sous prétexte qu’une telle assistance serait interprétée comme une “récompense” aux responsables de violences. Pourtant, souligne Bengt Ljungren du Programme de l’ONU pour le développement (PNUD) en Sierra Leone, les bailleurs de fonds potentiels doivent comprendre que “la plupart des combattants sont également des victimes, en particulier les jeunes combattants qui ont été “trompés” par les responsables politiques des violences.

Ex-fighters learning garment- making in Liberia: New skills are essential for returning to civilian life Au Libéria, des anciens combattants apprennent à confectionner des vêtements. L’acquisition de nouvelles qualifications est essentielle pour un retour à la vie civile.
Photo: UN Africa Renewal / Ernest Harsch

Variations sur un thème

Les débats de Freetown ont révélé en outre d’importantes différences dans les opérations de DDR sur le continent, dont le déroulement et le succès reposent en définitive sur la nature de l’accord de paix conclu, la”volonté politique” de ses signataires et les moyens engagés le gouvernement respectif, l’ONU et d’autres organisations.

Dans plusieurs pays, surtout là où seules les armées gouvernementales étaient engagées, l’opération de démobilisation a été relativement simple. En Erythrée, par exemple, 100 000 hommes ont été démobilisés à la conclusion de l’accord de paix avec l’Ethiopie voisine en décembre 2000. La réinsertion sociale de ces hommes s’est faite sans difficulté, notamment parce que l’opinion les considérait comme des “héros de la nation”, explique Kaleab Haile, membre de la commission nationale de démobilisation et de réinsertion.

La situation a été différente lorsque des armées ennemies se sont affrontées dans le même pays. Dans ce cas, le défi de la démobilisation a été de dissuader les hommes de se faire la guerre pour les engager dans l’action pacifique. Au Mozambique, souvent cité comme un modèle de réussite de DDR, les autorités et la Résistance nationale du Mozambique rebelle (RENAMO) ont signé un accord de paix en 1992. La RENAMO a démobilisé ses hommes et a par la suite participé aux élections nationales.

En Sierra Leone, les rebelles du RUF ont commencé par refuser de se conformer aux accords de paix qu’ils avaient signés; de ce fait, peu d’entre eux ont participé aux opérations de DDR des années 1990. Mais après plusieurs revers militaires graves, les rebelles ont accepté de désarmer. Une enquête menée en 2004 par des chercheurs américains en coopération avec PRIDE auprès d’un milliers d’ex-combattants n’a trouvé aucun soutien pour la reprise des combats, y compris parmi les anciens combattants du RUF. Bien que mécontents des conditions qui prévalaient en Sierra Leone, la grande majorité d’entre eux a jugé leurs factions “des organisations du passé”.

L’Angola a connu une évolution semblable. Après une quinzaine d’années de guerre civile, un accord de paix y a été conclu en 1991. Mais seul un petit nombre de rebelles de l’UNITA a véritablement démobilisé et les combats ont repris. L’armée angolaise a fini par prendre le dessus sur le terrain et cela a culminé avec la mort du chef de l’UNITA en février 2002. Cette nouvelle donne a facilité la conclusion d’un nouvel accord et, huit mois plus tard, le gros des effectifs de l’UNITA était démobilisé, certains étant incorporés dans l’armée gouvernementale.

Au Libéria, après l’échec de plusieurs accords précédents, la voie vers la paix s’est débloquée lorsque le président Charles Taylor a accepté de quitter le pays en 2003. Un gouvernement de coalition a été établi, comprenant des représentants du parti de M. Taylor et de deux factions rebelles. La Mission de maintien de la paix de l’ONU (MINUSIL) a pour sa part supervisé les opérations de désarmement et de démobilisation qui se sont achevées en décembre 2004.

A la conférence de Freetown, Moses Jarbo, directeur exécutif de la commission nationale de DDR du Libéria, a accusé l’ONU de faire peu de cas du gouvernement de ce pays. Alors que de nombreux participants ont effectivement réaffirmé l’importance d’une “empreinte” plus marquée des autorités du pays sur les opérations de DDR, ils n’en ont pas moins reconnu que la capacité d’agir et la crédibilité du gouvernement étaient des facteurs déterminants.

Selon Charles Achodo, conseiller du PNUD pour les DDR dans les deux pays, “en Sierra Leone on était en présence d’un gouvernement légitime. Cela lui conférait une position très forte, lui permettant de s’asocier aux Nations Unies dans ces opérations”. Au Libéria, par contre, on avait affaire à une entité intérimaire non élue, dans l’attente de l’installation d’un gouvernement élu, en janvier 2006 probablement.Cette entité n’a donc qu’une légitimité limitée. De plus, il s’agit d’un groupe récalcitrant, qui manque de volonté politique pour mener à bien le processus de DDR, dit-il à Afrique Renouveau. C’est pourquoi le Conseil de sécurité de l’ONU, a, “dans sa sagesse”, confié à la MINUSIL le rôle principal dans ce processus.

Le syndrome du “plan B”

Dans certains pays, les accords de paix ne sont ni définitifs ni globaux, certains groupes n’ayant pas renoncé totalement à l’option militaire.

Le général zimbabwéen Sibusiso Moyo, aujourd’hui à la retraite, se souvient que dans l’accord de pays d’il y a 25 ans, les mouvements nationalistes de son pays qui combattaient le régime minoritaire blanc de Rhodésie, avaient accepté de démobiliser et de participer aux élections nationales. Sans pour autant faire confiance à l’issue du scrutin. Ils ont donc gardé des troupes et de l’armement lourd en réserve, une sorte de “un plan B” en cas de reprise du conflit. Les participants à la conférence de Freetown ont reconnu que le syndrome du “Plan B” était toujours répandu en Afrique.


“Tous les programmes post-conflit — qu’ils soient politiques, sociaux ou économiques — reposent sur les opérations de DDR et la manière dont les gens mesurent leur succès”.
— Le Président Ahmad Tejan Kabbah de la Sierra Leone

En Côte d’Ivoire, le gouvernement et les groupes d’insurgés ont conclu un accord de paix en 2003, mais la méfiance réciproque est telle que le processus de DDR n’a même pas démarré.

En République démocratique du Congo (RDC), affirme Daniel Kawata, coordinateur national de la commission de DDR, une dizaine de groupes armés ont signé l’accord de paix de 1999, qui a établi un gouvernement de coalition intérimaire. Plusieurs milices, installées essentiellement dans la région d’Ituri, ont refusé de signer; malgré cela, 14 000 miliciens de la région ont participé au processus de désarmement.

Au Burundi, les efforts de paix ont également été caractérisés par une approche “par étapes”, explique Isaie Nibizi, chef de la commission nationale de démobilisation et de réinsertion. L’accord de paix de 2000 a engagé surtout les partis politiques, alors que la majorité des groupes d’insurgés – mais pas tous - n’ont commencé à signer cet accord que trois ans plus tard. Le processus de DDR a débuté officiellement en décembre 2004, ayant pour objectif la démobilisation de 85 000 combattants avant 2008. En juin 2005, 10 000 hommes environ avaient été démobilisés. Il est à espérer qu’au moins certains des derniers non-signataires acceptent à présent de se démobiliser à la suite de la victoire électorale d’août 2005 du principal ancien groupe rebelle et de la possible accession à la présidence de son chef, Pierre Nkurunziza.

Justice maintenant ou plus tard ?

Dans plusieurs conflits africains, certaines factions ont commis des crimes atroces contre les populations civiles. Au Rwanda, en Sierra Leone et dans d’autres pays, des individus soupçonnés de crimes de guerre ont comparu devant des juridictions locales ou tribunaux internationaux. Mais si les chefs militaires et les simples soldats ont le sentiment de pouvoir être incarcérés à tout instant, ils risquent de vouloir garder leurs armes.

C’est pourquoi les accords de paix prévoient communément des clauses d’amnistie visant à encourager la participation au processus de paix. L’accord de paix de 1992 au Mozambique, par exemple, prévoyait une amnistie générale pour toutes les personnes de tous camps.

Un accord de paix de 1999 en Sierra Leone stipulait également l’amnistie générale, mais, compte tenu de l’ampleur des crimes de guerre commis dans ce pays, l’ONU a annoncé qu’elle ne se conformerait pas à ces dispositions. Par la suite, une Cour spéciale du pays, cautionnée par l’ONU, a été créée; elle juge toutes les personnes qui portent “la plus grande responsabilité” des violations du droit international en matière de droits de l’homme, y compris les chefs des multiples factions armées. La Cour a inculpé l’ancien président Taylor du Libéria, pour son rôle dans le soutien accordé au RUF.

En Ouganda, une commission d’amnistie a étendu l’immunité à tout insurgé qui accepte de se démobiliser et de se réinsérer dans la société. Le Juge Peter Onega, chef de la commission, souligne que la plupart de ces combattants avait été enlevés très jeunes par l’Armée de la résistance du Seigneur (LRA) rebelle. La Cour pénale internationale de La Haye a ouvert une enquête sur les crimes de guerre commis par ce groupe, mais les communautés ougandaises ont dépêché une délégation à La Haye pour plaider qu’une telle enquête risquait d’entraver les efforts de pays actuellement en cours dans ce pays. “Les gens disent : ce n’est pas le moment de parler de justice”, commente le Juge Onega.

Pour M. Kawata de la commission de DDR du Congo, il faudrait séparer les pires délinquants du reste des combattants. “Pendant le processus de désarmement, on n’écarte aucun cas difficile , explique-t-il à Afrique Renouveau. Si ces personnes sont coupables de délits graves, elles sont arrêtées”. Toutes les autres, en revanche, sont démobilisées. Si certains sont des délinquants, “on s’en occupera plus tard”. Si trop de combattants sont arrêtés, dit-il “ils risquent de rejeter la démobilisation”, observe-t-il.

Ce dosage savant de poursuites sélectives et d’immunité pour la plupart a des chances de vaincre la méfiance des ex-combattants. Une enquête menée auprès d’anciens soldats du RUF dans la ville sierra-léonaise de Makeni révèle que la plupart d’entre eux voudraient voir leurs anciens chefs rendre des comptes et la Cour spéciale rendre la justice.

Argent, connaissances, outils

Certains accords de paix prévoient l’incorporation d’anciens opposants dans les armés gouvernementales réorganisées. D’autres ex-combattants rentrent simplement chez eux après avoir remis leurs armes et uniformes, surtout s’ils ont des familles, des terres ou des métiers qui les attendent. C’est le cas d’Antonio Gaspar, démobilisé de l’armée gouvernementale du Mozambique au début des années 1990, qui a fait des études plus poussées et qui n’a eu aucun mal à trouver un poste d’enseignant au Centre d’études stratégiques et diplomatiques du pays.

Mais la plupart de ces camarades, a-t-il admis à Afrique Renouveau, ont eu plus de mal, car leur profil correspondait davantage à celui plus répandu de l’ex-combattant africain démobilisé, peu instruit et sans autre métier que celui des armes. Pour ceux-là, ce qui compte le plus dans le DDR est la perspective d’obtenir une aide concrète pour leur retour à la vie civile : plusieurs mois d’assistance financière, le remboursement des frais scolaires, la possibilité d’apprendre un nouveau métier et de recevoir des outils et du matériel pour travailler la terre ou démarrer une petite entreprise.

Au Libéria, 40% environ des combattants démobilisés ont déclaré vouloir retourner à l’école. Les autres ont choisi la formation professionnelle, le métier de mécanicien étant plébiscité par les hommes et celui de couturière par les femmes.


Pour les ex-combattants qui ont achevé leur scolarisation ou leur formation professionnelle, l’avenir n’est pas forcément garanti. Il y aura-t-il des emplois ou d’autres sources de revenus ?

Environ 300 anciens combattants suivent tous les jours les cours du Opportunity Industrialization Centre (LOIC) de Sinkor, à Monrovia. Lors d’une visite sur place à la fin de juin, il y avait des cours de confection de vêtements, de plomberie et de travail du bois. Des apprentis électriciens passaient des examens. Ce centre offre également des cours de gestion de petites entreprises, tandis que six autres centres LOIC situés dans les zones rurales enseignent l’agriculture à 1 000 autres étudiants.

“Comme certains étudiants ne savent ni lire ni écrire, explique George Kpawulu, directeur national des LOIC, on leur offre des leçons préliminaires de calcul et d’alphabétisation”. De surcroît, dit-il, des conseillers sont présents pour les aider à surmonter les problèmes liés à la guerre.

Solomon King, directeur d’un LOIC, souligne que parmi les étudiants il y a d’anciens membres de toutes les principales factions guerrières, que l’on encourage à oublier les allégeances passées pour travailler en équipe. “Ils s’entendent plutôt bien. Ce sont de jeunes Libériens qui ont foi dans l’avenir”, dit-il.

“Un rythme très rapide”

Ceux inscrits aux cours des LOIC ont de la chance, car à ce jour, il n’y a pas assez de programmes pour satisfaire toutes les demandes.

Selon Nisar Malik de la Division des opérations spéciales de la MINUSIL, cette disparité s’explique par l’ampleur et la rapidité du processus de démobilisation. Au départ, en effet, les projections tablaient sur la démobilisation d’environ 38 000 combattants seulement, et le financement des opérations de réinsertion et de reconstruction a été fixé avec les donateurs sur ces bases. Mais ce chiffre s’est avéré terriblement erroné. “Les chefs des factions, constate M. Malik, n’ont pas soumis des listes réalistes”. Du coup, lorsque le nombre de démobilisables a dépassé les 100 000, il n’y a pas eu suffisamment d’argent sous la main pour financer l’opération. “Ce qui explique que le processus de DD a été très rapide et celui de RR très lent”, dit M. Malik.

Pour sa part, M. Achodo, conseiller du PNUD pour le DDR au Libéria, explique le nombre élevé de démobilisés par le laxisme des conditions d’admissibilité. Ce relâchement des critères a fait suite aux critiques essuyées plus tôt par le programme de DDR en Sierra Leone qui excluait les combattants qui n’avaient pas d’arme à rendre, surtout les femmes. Du coup, le programme de DDR au Libéria a accepté toute personne qui possédait une arme ou des munitions, de même que les combattants femmes et enfants qui n’en avaient pas. Cela a fait rentrer plus de femmes dans le programmes, mais aussi des hommes qui n’étaient pas forcément des combattants mais qui s’étaient procurés des armes ou des munitions. M. Achodo nous montre un rapport indiquant qu’environ 22 000 hommes classés comme “autres” - c’est-à-dire n’appartenant à aucune des principales factions, avaient été admis dans le programme. A son avis, dès les premiers signes de cette tendance, il aurait fallu durcir les critères pour s’occuper surtout des combattants femmes et les enfants. “On n’a pas modifié les conditions d’admissibilité aussi rapidement, reconnaît-il. Comme tout allait très vite, on n’a pas eu le temps de réfléchir”.

En raison de cette participation accrue, quelque 26 000 Libériens démobilisés n’avaient toujours pas reçu en août 2005 la moindre assistance à la réinsertion. Dans un rapport adressé le mois suivant au Conseil de sécurité, le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan a prévenu que le manque de financement des opérations de réinsertion risquait de poser problème, car la situation sécuritaire dans le pays restait “calme, mais fragile . Les ex-combattants constituent un groupe instable”, a-t-il noté.

Quel avenir pour les “diplômés” ?

L’avenir n’est pas forcément garanti pour les ex-combattants qui ont achevé leur scolarité ou leur formation professionnelle. Il y aura-t-il suffisamment d’emplois ou de sources de revenus? La plupart des économies de ces pays demeure extrêmement faibles. Les possibilités d’emplois sont limitées, et rares sont ceux qui peuvent s’offrir les services de charpentiers, de mécaniciens ou de plombiers récemment diplômés. Comme le faisait remarquer un soldat mozambicain, ils étaient “réinsérés dans la pauvreté générale”.

Tensions at a Liberian cantonment site Tensions dans une zone de cantonnement au Libéria: “Les ex-combattants constituent un groupe instable”, affirme le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan.
Photo: UNMIL / Eric Kanalstein

L’expérience en Sierra Leone offre quelques espoir, assortis d’une mise en garde. De nombreux ex-combattants de ce pays ont réussi à s’assurer des moyens de subsistance, même faibles. Cependant, selon certains indices, ceux qui s’étaient tournés vers les activités agricoles ont mieux réussi que les diplômés des programmes de formation professionnelle.

Selon Ibrahim Sarpee, responsable de programmes avec l’organisation non gouvernementale Friends of Africa Relief and Development Agency, son association a participé à l’inscription d’une centaine d’ex-combattants du RUF à Kailahun, sur la frontière orientale de la Sierra Leone. Soixante-treize d’entre eux ont choisi les cultures arbustives, et “ils se débrouillent bien”, selon ses propos. Les autres reçoivent une formation dans la fabrication des savonnettes, la couture et d’autres métiers. “Ils sont désormais qualifiés, mais il n’y a pas de travail”.

Au Libéria, les 500 ex-combattants inscrits au programme de Duport Road et les plus de 1 000 autres des six centres ruraux du LOIC ont exprimé un certain intérêt pour l’agriculture. “Le Libéria est un pays agricole, souligne M. Kpawulu. On a des terres étendues et sous-exploitées. On n’est pas capable de se nourrir nous-mêmes. Il est donc normal d’encourager les jeunes à travailler la terre”.

Au centre de Duport Road les jeunes ex-combattants se sont inquiétés de savoir comment accéder à la propriété terrienne une fois rentrés dans leurs régions d’origine. Les responsables des programmes les ont assurés que les chefs des villages avaient déjà réservé des terres à leur intention.

Mais indépendamment des dispositions prises dans ces cas particuliers, force est de constater que le problème de la terre n’est pas simple, au Libéria comme en Sierra Leone. Dans les deux pays, en effet, les jeunes et les femmes sont souvent ignorés au moment de la distribution des terres communales. Cette impossibilité d’accéder à la propriété a été l’une des raisons initiales qui a poussé de nombreux jeunes à joindre les groupes armés.

Dans les comtés libériens de Nimba et de Lofa, on a déjà signalé de nouvelles tensions à ce sujet entre les membres de groupes ethniques de la région et les Mandigos, considérés comme des “étrangers” et donc n’ayant aucun droit à la terre. Comme de nombreux Mandigos ont été partisans du Mouvement des Libériens unis pour la réconciliation et la démocracy (LURD), le plus puissant ancien groupe rebelle, la persistance d’une telle animosité risque de menacer le processus de paix global.

Dans les communautés

En raison de leurs missions spéciales, la plupart des programmes de DDR accordent plus d’attention aux ex-combattants qu’à leurs communautés d’accueil. Cette priorité a suscité des critiques qui jugent les efforts de réinsertion actuels trop limités et souhaiteraient qu’ils tiennent compte des besoins économiques des communautés d’accueil.

Mme. Béatrice Pouligny, chercheuse principale au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) en France, estime qu’une “approche qui privilégie les incitations ‘individuelles’ risque d’ignorer la dimension ‘collective’ plus ambitieuse”. Selon elle, “il n’est pas possible d’examiner la situation des ex-combattants sans tenir compte de leurs familles et leur milieu social”. Elle recommande un “élargissement du cadre de DDR” pour englober ces facteurs.

Mme. Pouligny comme d’autres soulignent les avantages d’une approche communautaire : moins d’animosité vis-à-vis des soldats démobilisés qui reçoivent des “avantages” refusés aux autres, multiplication de projets conjoints susceptibles de rétablir la confiance et d’assurer un meilleur encadrement social des anciens combattants.

La plupart des experts et des exécutants des programmes de DDR s’accordent à dire que les communautés dévastées par la guerre nécessitent un soutien plus vigoureux, pour leur propre bien et pour une insertion des ex-combattants dans la durée. Comme l’a reconnu à la conférence de Freetown David Munyurangabo de la commission du Rwanda pour le DDR, “les civils devraient en profiter aussi”, opinion partagée par une grande majorité.

Certains programmes de DDR ont incorporé des aspects communautaires. En République centrafricaine, par exemple, le PNUD et la Banque mondiale ont versé 3,3 millions de dollars au financement d’un projet de réinsertion qui comprend la reconstruction d’infrastructures communautaires et la création d’activités génératrices de revenus. Steven Ursino, directeur du PNUD au Libéria, a confié à Afrique Renouveau que la réinsertion des ex-combattants s’effectuait “dans un cadre élargi” qui englobait le retour de milliers de réfugiés et de personnes déplacées et la reconstruction de communautés détruites par 14 ans de guerre. Au centre de réinsertion de Duport Road, quelque 100 agriculteurs locaux ont rejoint les 500 ex-combattants qui s’y trouvaient. Ces derniers n’ont pas reçu les mêmes sommes d’argent, mais ont pu apprendre de nouvelles techniques et méthodes de culture.

D’une certaine manière, les fonds réservés aux ex-combattants profitent en fin de compte aux communautés locales, note M. Achodo. Sur chaque dollar qu’il dépense au Libéria, 30 à 40 centimes passent en “frais de livraison”, qui incluent les rémunérations des instituteurs et des moniteurs de stage professionnel. “Ces frais de livraison sont une forme d’investissement dans l’infrastructure communautaire”, observe-t-il, avant d’ajouter que d’autres investissements se produisent même quand les paiements en espèce sont versés directement aux anciens combattants. “Où voulez-vous qu’ils dépensent leur argent, sinon à l’intérieur de la communauté”? fait-il valoir.

Les programmes de DDR ne peuvent toutefois pas tout faire. Comme le souligne M. Kai-Kai, une Sierra Leone dévastée par la guerre ne comptait pas au départ de communautés où les anciens combattants pouvaient véritablement s’installer. Par ailleurs, de nombreux réfugiés et personnes déplacées rentraient chez eux et toute l’infrastructure de base, depuis les écoles aux cliniques médicales, était à refaire. Faciliter la résurrection de ces communautés était une mission énorme, dont le succès reposait sur les efforts des organisations humanitaires et de secours internationales, du gouvernement et des associations de la société civile. Par ailleurs, la présence persistante de nombreuses armes légères, même après la fin du programme officiel de DDR, a contraint les autorités à mener, en coopération avec la Mission de l’ONU, une campagne de collecte d’armes auprès des communautés qui a permis de rassembler et de détruire des milliers d’autres armes.

Pressé d’en faire plus, “le programme de DDR risque fort se déliter”, observe M. Kai-Kai. C’est pourquoi la conférence de Freetown a recommandé aux programmes de DDR d’axer leurs efforts sur ce qu’ils font le mieux – faciliter le passage des combattants à la vie civile, et ne pas s’encombrer des innombrables tâches de l’après-guerre.

Former combatants learning basic farming skills in Liberia Des anciens combattants apprennent à travailler la terre au Libéria.
Photo: UNMIL / Eric Kanalstein

Par ailleurs, note Namanga Ngongi, ancien représentant spécial de l’ONU en RDC, “la réinsertion ne peut procéder séparément de la reconstruction post-conflit”. Ces deux opérations doivent se dérouler concomitamment, avec le DDR subvenant aux besoins des ex-combattants, et des programmes de secours, de réinstallation et de reconstruction efficaces s’occupant du reste des populations victimes de la guerre. De cette manière, il sera possible d’achever “un équilibre entre l’individu et la communauté”, affirme-t-il.

De l’avis général, le processus de DDR aura atteint son objectif lorsque les “ex-combattants” ne seront plus désignés par cette étiquette. On se référera à eux comme des jeunes gens, des agriculteurs, des ouvriers ou des petits entrepreneurs, tout comme les autres membres de la société.