Sous l’effet du changement climatique

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Sous l’effet du changement climatique

Les pays touchés doivent financer des économies résilientes
Dan Shepard
Afrique Renouveau: 
The Sahel has been battered by drought due to climate change.
Photo: Panos/JB Russell
Le Sahel a été frappé par la sècheresse en raison du changement climatique. Photo: Panos/JB Russell

Si les chercheurs n’arrivent pas encore à expliquer la chute précipitée - de 90% selon certaines estimations - du nombre de pingouins en Afrique sur les 15 dernières années, la plupart s’accordent à dire que le changement climatique a joué un rôle majeur dans le déclin de cette espèce emblématique. 

D’autres facteurs, tels que la pollution, la surpêche, les prédateurs et les maladies, ont sans doute encore aggravé le phénomène, mais les courants chauds qui circulent des deux côtés du continent ont forcé les grands bancs de sardines et d’anchois dont se nourrissent les pingouins à migrer vers le sud, où les eaux sont plus froides. 

Le réchauffement des eaux se répercute également sur les populations des littoraux pour qui les océans représentent une source primaire de ravitaillement.

Au niveau mondial, la température moyenne des océans augmentera de plus de 2°C d’ici la fin du 21ème siècle, et devrait augmenter de 3°C d’ici à 2050 et de 6°C d’ici à 2100. L’impact d’un tel réchauffement est déjà perceptible sur le continent africain.         

La pêche et le tourisme représentent des piliers de l’économie pour les habitants qui vivent le long des 30 500 kilomètres des côtes africaines. Les communautés pâtissent des effets du changement climatique, avec notamment la montée du niveau des eaux, leur réchauffement et leur acidification, qui accroissent l’érosion costale et détériorent les infrastructures en Afrique de l’Ouest. Le réchauffement de l’Océan indien a ainsi détruit les coraux, essentiels au tourisme, à la pêche et à la protection du littoral. 

« Le changement climatique est l’une des plus grandes menaces », explique Yuvan A. Beejadhur, expert en économie océanique auprès de la Banque mondiale. « Ses effets sont déjà perceptibles dans de nombreuses zones d’Afrique ».

Selon M. Beejadhur, les températures de l’eau pourraient continuer d’augmenter au cours des décennies à venir. Si la tendance actuelle se confirme, la température de l’eau augmentera de 0.62°C à 0.85°C  au cours des prochaines années et de 2.44°C à 3.32°C sur le long terme. 

« L’Afrique aura alors besoin d’argent. Il faudra débloquer, catalyser et faire fructifier des fonds et des investissements afin de bâtir des économies maritimes résilientes, capables de s’adapter intelligemment au changement climatique.»

Jacqueline Alder, responsable des Partenariats mondiaux pour une pêche responsable auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), note également l’effet néfaste de l’érosion sur les infrastructures côtières. Des sites de livraison dédié à la pêche sont par exemple contraints de se déplacer, ce qui accroît les coûts de production.  Dans certains cas, un poisson de moins bonne qualité aura pu être livré. 

Les inondations sont plus fréquentes. Suite aux orages, les eaux se déversent dans les océans et font baisser le niveau de salinité, éloignant les poissons des côtes. Les pêcheurs doivent alors aller encore plus loin ou « ne rien pêcher du tout », indique Mme Adler.  

Au Mozambique, l’érosion côtière a énormément modifié le paysage côtier, souligne Eugénio João Muiange, directeur de l’Institut national de la mer et des frontières. « Quand nous regardons de vieilles cartes et les comparons avec celles d’aujourd’hui, nous constatons que les petites îles et les bancs de sable ont disparu ». 

« L’érosion a mangé 2 à 3 kilomètres de terres », ajoute-t-il. “Quand nous en cherchons la cause, nous ne parvenons qu’à une conclusion : la montée du niveau de la mer.» D’après la Banque mondiale en 2016, l’érosion côtière a provoqué un déplacement contraint des populations en Afrique de l’Ouest et a causé, au Togo, des pertes économiques d’environ 2,3% du PIB.

Ronald Jumeau, représentant permanent des Seychelles à l’ONU, souligne que ces évolutions, bien que connues, ont été totalement sous-estimées. En Afrique de l’Ouest, l’érosion côtière a été “énorme », dit-il, et de nombreuses personnes ont été forcées d’abandonner leur lieu de vie en quête de nouvelles opportunités à l’intérieur des terres. « Brutalement, cela est devenu un problème politique », déclare-t-il, insistant sur le bouleversement démographique en cours. 

Les pays africains n’ont souvent pas les données, les capacités informatiques ou les aptitudes analytiques pour réagir.   

L’acidification de l’océan est une autre conséquence du changement climatique. Lorsque l’océan absorbe du dioxyde de carbone en plus grande quantité, il devient plus acide et cette modification chimique menace les coraux et la biodiversité. Environ 30% du dioxyde de carbone que produit l’activité humaine se dissout dans les océans et les organismes ayant besoin de carbonate de calcium pour fabriquer leur coquille et leur squelette ne peuvent le faire.    

Dans l’ouest de l’Océan indien – au large de la côte Est du continent -, la pêche dépend principalement des récifs de corail, souligne M. Jumeau. Le blanchissement et la destruction des coraux (causés par le réchauffement de l’eau) auront des effets négatifs sur la pêche, l’emploi et l’alimentation. 

Dans cette zone, la quantité de coraux a été réduite en moyenne de plus de 35%, lors des périodes de blanchissement en 1998, 2010 et 2016. Ces phénomènes ont un coût économique : en 1998, le tourisme de la plongée a perdu 2,2 millions de dollars à Zanzibar et 15,09 millions à Mombasa au Kenya.        

L’acidification de l’océan

Les récifs de corail aux Seychelles ont également été touchés par le blanchissement de 1998 suite à l’ouragan El Niño. Mais le pays a aussi connu d’autres périodes de blanchissement, rappelle M. Jumeau. Certains récifs ont pu depuis lors être sauvés ; d’autres non. Les récifs de corail attirent les touristes et protègent les hôtels de l’érosion côtière. 

Près de 2,5 millions de touristes se rendent sur les côtes égyptiennes chaque année : près d’un quart vient spécialement pour plonger tandis qu’un tiers participe à des activités de plongée.

Conscients des effets destructeurs du changement climatique sur les océans, les pays africains concernés se sont réunis lors de la Conférence interministérielle africaine sur les économies bleues et le changement climatique qui s’est tenue à l’Ile Maurice en septembre 2016, afin d’évaluer les risques pour les écosystèmes côtiers et marins et discuter de la mise en place d’économies adaptées. 

En novembre dernier, lors de la Conférence sur le climat de Marrakech, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et la FAO ont annoncé un “Plan africain pour des économies maritimes résilientes au climat”, un ambitieux dispositif d’aide technique et financière destiné à accroître la résilience, à réduire la vulnérabilité, à développer des systèmes d’alerte précoce et à optimiser le stockage du carbone.  

Entre 2017 et 2020, le dispositif utilisera entre 500 et 900 millions de dollars, pour mettre en oeuvre des programmes d’adaptation au changement climatique et à la réduction de ses effets.     
iiiiiLes experts de la Banque mondiale attirent l’attention sur le fait que si aucune mesure n’est prise, le changement climatique provoquera une chute des rendements de la pêche– possiblement de moitié en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Libéria, au Nigéria, en Sierra Leone et au Togo, selon la FAO.  

« Ces programmes ambitieux qui ont pour but de renforcer la résilience des populations côtières en Afrique sont indispensables pour relever les défis et saisir les opportunités du changement climatique, en particulier pour les petits États insulaire qui sont plus vulnérables,» note Maria Helena Semedo, directrice générale adjointe pour les ressources naturelles à la FAO. 

« Les communautés vivant sur le littoral africain sont parmi les plus touchées », ajoute-t-elle. “La FAO est pleinement engagée et souhaite travailler en collaboration avec les intéressés afin de réduire leur vulnérabilité, accroître leur résilience et maximiser les opportunités liées au changement climatique.»      

Le Plan africain pour des économies maritimes résilientes se compose de cinq programmes phares, portant chacun sur une région. Les connaissances de chacun et les meilleures pratiques seront partagées.  

En Afrique du Nord, l’accent sera mis sur la pêche, l’aquaculture et les systèmes d’observation océanique. En Afrique de l’Ouest, sur la pêche, la lutte contre l’érosion côtière et le développement du tourisme ; en Afrique centrale, du Cameroun à l’Angola, la sécurité en mer sera l’une des priorités. Le programme en Afrique de l’Est s’intéressera à l’aquaculture et au tourisme. Pour les petits États insulaires, qui dépendent encore davantage des océans et sont particulièrement touchés par l’érosion et les catastrophes naturelles, le programme sera centré sur l’instauration d’une économie compatible avec le développement durable, appelée “économie bleue”. 

Les pays africains participeront à la Conférence sur l’océan qui se tiendra cette année à New-York du 5 au 9 juin, pour promouvoir la mise en oeuvre de l’Objectif de développement durable numéro 14 consacré à l’écosystème sous-marin. Il s’agira notamment d’examiner la protection de la biodiversité, la réduction de la surpêche, l’acidification de l’océan et la pollution marine.   

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