Pension et assurance, principaux moteurs de l’intégration régionale

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Pension et assurance, principaux moteurs de l’intégration régionale

La base des investisseurs institutionnels régionaux s’élargit
Afrique Renouveau: 
A retired couple go through their financial files. Photo: AMO/George Philipas
Photo: AMO/George Philipas
Un couple de retraités examine ses finances. Photo: AMO/George Philipas

Les marchés de capitaux, où l’argent des épargnants est placé dans des investissements à long terme, peuvent contribuer de manière significative au développement socioéconomique s’ils investissent dans des projets et entreprises productifs. Mais la modestie de la taille  et le manque de liquidités sur le  marché peuvent aussi nuire au processus.

La Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) a donné la priorité à l’intégration régionale des marchés financiers en créant des liens entre les marchés de la région car la combinaison de l’épargne locale, des fonds de pension, des compagnies d’assurances et autres investisseurs institutionnels au niveau local seront les principaux moteurs du développement du marché des capitaux et de l’intégration des marchés dans la CAE.

Si les investisseurs institutionnels de la région pratiquent déjà la répartition d’actifs au niveau intra régional, il existe un fort potentiel de développement selon l’Institut Milken, un groupe de réflexion économique basé aux États-Unis qui a réalisé en début d’année une enquête sur plus de 40 investisseurs institutionnels kényans, rwandais, tanzaniens et ougandais. Avec cette étude, l’institut cherche à mieux comprendre les investissements intra régionaux actuels et le rôle qu’ils pourraient avoir à l’avenir.

La base régionale des investisseurs institutionnels s’est récemment élargie grâce à  des facteurs démographiques favorables et une croissance économique  qui stimulent le développement des secteurs locaux des pensions et de l’assurance. Selon les statistiques nationales, les fonds de pension et compagnies d’assurance de la CAE géraient en 2015  pour 19,1 milliards de dollars d’actifs, contre 10,7 milliards  en 2010.

S’agissant de l’investissement à l’étranger, environ 50% des entreprises interrogées allouent  au moins une partie de leur portefeuille à des actifs situés au-delà de leurs  marchés nationaux. Toutefois, l’essentiel de leurs investissements à l’étranger restent dans le bloc régional.

 Les investisseurs institutionnels ougandais étaient ainsi les plus susceptibles de détenir des actifs étrangers : 70% des fonds ougandais étudiés  déploient des capitaux à l’étranger, leur principal objectif étant d’accéder aux marchés plus développés des titres au Kenya.

« Les actifs extérieurs au pays sont au Kenya, plus précisément dans le marché des actions. L’économie kényane est beaucoup plus active et possède un marché boursier plus liquide et en expansion, auquel nous voulons participer », explique un gestionnaire de fonds à l’Institut Milken.

De leur côté, les investisseurs institutionnels kényans qui ont réalisé des investissements étrangers l’ont essentiellement fait pour diversifier leurs portefeuilles du fait de préoccupations locales, s’agissant notamment des dysfonctionnements politiques, des déficits budgétaires ou encore de la dépréciation du shilling kényan. Ainsi que l’explique un participant à l’enquête, son fonds « se diversifie afin de  se prémunir des risques spécifiques au Kenya ».

Si certaines entreprises kényanes ont investi environ 5% de leur portefeuille dans des titres extérieurs à la CAE, la plupart des investissements transfrontaliers du Kenya se concentrent sur la région. Étant donné que les entreprises kényanes gèrent plus de la moitié des actifs régionaux, il s’agit là d’une information importante pour les voisins du Kenya et pour tout investissement à long terme dans les infrastructures régionales, comme les projets visant à rejoindre le Corridor nord de la CAE.

L’enquête a également révélé qu’environ un tiers des fonds de pension et compagnies d’assurance rwandais investissaient à l’étranger, les marchés kényans étant leur principale destination.

En Tanzanie, aucune entreprise participante ne détenait d’actifs étrangers, principalement en raison de restrictions réglementaires bien établies sur les investissements à l’étranger. Certaines de ces restrictions viennent tout juste d’être  levées.

En vertu du Protocole de marché commun de la CAE de 2010, les États membres sont tenus d’éliminer toutes les restrictions aux mouvements intra régionaux de biens, de main-d’œuvre et de capital. Dans l’ensemble, la CAE a considérablement progressé dans le sens de  cet objectif même si certaines restrictions subsistent, à l’instar des règles qui empêchent les compagnies d’assurance tanzaniennes et ougandaises d’investir dans d’autres pays de la CAE.

Les barrières réglementaires ne constituent  cependant pas le seul obstacle à une meilleure intégration du marché. Les directives d’investissement fixées par les conseils d’administration imposent souvent aux gestionnaires de fonds des mesures plus strictes que les règles en vigueur. Dans le même temps, les investisseurs ne savent pas toujours où ils sont autorisés à investir. L’enquête a montré que ce manque de connaissance était un problème particulièrement sérieux pour les fonds de pension ougandais.

Même lorsque les entreprises veulent investir chez leurs voisins régionaux, elles peuvent être mal préparées face aux risques de change : près d’un tiers des sondés jugent  leurs capacités de déceler  le risque de change  « médiocres  » ou « très médiocres  ». Environ 73% des entreprises ont déclaré ne pas avoir les outils nécessaires pour se prémunir contre des effets de change négatifs.

Les résultats de l’enquête soulignent que les investisseurs institutionnels sont prêts à accroître leurs investissements intra régionaux : près de la moitié des entreprises se disent prêtes à augmenter leurs investissements au Rwanda à condition d’avoir accès à de meilleures solutions en matière de couverture du risque de change, afin d’atténuer l’impact des fluctuations des taux de change sur les investissements internationaux.

Les nouveaux cadres imposés aux instruments dérivés au Kenya et en Ouganda peuvent offrir aux entreprises les instruments de couverture de risque de change dont ils ont besoin, même si ces instruments ne sont pas la panacée.

Une autre solution serait de ne pas exiger de produits de couverture. Et si, par exemple, le gouvernement rwandais émettait des obligations libellées en shillings kényans plutôt qu’en francs
rwandais ? Environ 75% des investisseurs institutionnels de la CAE disent qu’ils seraient intéressés d’investir si une telle émission d’obligations devait avoir lieu. Pour les investisseurs kényans, ce produit permettrait une diversification transfrontalière sans risque de change. Pour les Rwandais, ce type de sécurité faciliterait sans doute les investissements des entreprises kényanes, qui sont loin devant pour ce qui est de  la gestion des grands fonds communs de capitaux de la région.

Les investisseurs institutionnels d’Afrique de l’Est ont également clairement indiqué l’intérêt  qu’ils portaient à  deux autres nouveaux produits susceptibles d’encourager l’intégration régionale. Près des trois quarts des entreprises interrogées souhaiteraient  investir dans un fonds régional axé sur l’infrastructure, et 64% d’entre elles chercheraient à investir dans un fonds régional de fonds privés et capitaux à risque.

S’ils étaient mis en place, ces fonds pourraient être investis dans de multiples projets ou entreprises, regroupant ainsi les risques entre différents investisseurs. Ces fonds seraient en outre gérés par des spécialistes, ce qui  permettrait à certains investisseurs institutionnels d’accéder à l’expertise qui autrement pourrait leur faire défaut. Les donateurs pourraient faciliter la création de ces fonds avec des capitaux de premier risque, par lesquels ils acceptent de supporter les premières pertes d’un investissement pour encourager la participation de co-investisseurs qui autrement n’auraient pas réalisé  l’opération, ou avec d’autres formes de soutien au crédit. 

Selon le récent indicateur de performance du marché commun de la CAE, la région est déjà l’une des plus intégrées d’Afrique, même si plusieurs défis demeurent.

Développer des produits qui répondent aux besoins des investisseurs institutionnels qui cherchent à se diversifier au-delà de leurs marchés nationaux serait un pas décisif vers la mise en place de nouveaux marchés de capitaux régionaux intégrés. Une telle approche nécessitera un engagement constant auprès des entreprises pour comprendre comment et pourquoi elles décident l’allocation de leurs actifs. Il faudra également une meilleure prise de conscience des gestionnaires de fonds et des conseils d’investissement pour qu’ils profitent des nouveautés du secteur à mesure que celles-ci apparaissent.

La mise en commun du capital institutionnel régional des investisseurs pour financer des infrastructures transfrontalières ou investir dans les petites et moyennes entreprises qui contribuent à la croissance de la région sera bien sûr bénéfique sur de nombreux plans, bien au-delà du développement du secteur financier. Bien gérés, ces investissements pourraient renforcer la convergence des économies des pays membres de la CAE développer  le commerce et dynamiser la croissance économique.   


John Schellhase est consultant au Milken Institute Center for Financial Markets, où il étudie l’ancrage et le renforcement des marchés de capitaux dans les pays en développement.

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