Il amène de l’eau à son village

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Il amène de l’eau à son village

Salva Dut, ancien réfugié, a aidé à forer 300 puits dans son pays
Zipporah Musau
Afrique Renouveau: 
Salva Dut (left) pumps water from one of the boreholes he has helped drill in South Sudan. Photo: Water for South Sudan
Photo: Water for South Sudan
Salva Dut (à gauche) pompe l’eau de l’un des puits qu’il a aidé à forer au Soudan du Sud. Photo: Water for South Sudan

Salva Dut, 11 ans, assiste à la dernière classe de la journée, impatient de retrouver ses camarades pour effectuer le chemin de retour à la maison. L’enfer se déchaîne soudainement. Une guerre civile infernale a éclaté dans son Soudan du Sud natal. Nous sommes en 1985.

Un coup de feu retentit, le professeur jette un œil à l’extérieur. C’est alors que d’autres coups de feu déchirent l’air. « Au sol, couchez-vous au sol », crie l’enseignant aux élèves effrayés. 

Les rebelles du sud du Soudan ont pris les armes contre le gouvernement dans le nord pour obtenir l’indépendance. Brusquement,   les élèves ne sont plus en sécurité à l’école et les enseignants leur ordonnent de courir se cacher dans la brousse . Ils savent en effet que le village des enfants sera bientôt attaqué.

C’est alors le début d’une longue odyssée pour Salva et les autres garçons du village de Loun-Ariik fuyant la guerre. Il s’échappe avant de voir ses parents ni même savoir s’ils sont vivants. 

Salva rejoint un groupe de villageois de son ethnie Dinka, pour un voyage à pied de deux mois, durant lequel bon nombre succomberont à la faim, à la déshydratation ou sous les griffes d’animaux sauvages affamés. Une fois en Éthiopie voisine, ils sont envoyés au camp de réfugiés d’Itang à l’ouest du pays. Salva fait partie des quelque 20 000 enfants, principalement des garçons de 7 à 17 ans, selon l’UNICEF, séparés de leur famille pendant la guerre après s’être enfuis dans la brousse, plus tard surnommés les « garçons perdus du Soudan ».

Après six ans passés au camp de réfugiés éthiopien, il est temps de repartir. Salva conduit  un groupe de 1 500 « garçons perdus » qui en  18 mois parcourent à pied des centaines de kilomètres à travers le désert et trois pays pour atteindre le camp de réfugiés de Kakuma au nord du Kenya. Seulement 1 200 garçons réussiront à rejoindre le Kenya. Une fois là-bas, Salva a la chance d’obtenir un parrainage pour se rendre aux États-Unis en 1996.  

Aux États-Unis, il est recueilli par une famille américaine et une église de Rochester (État de New York), qui le scolarisent. Pendant tout ce temps, il ne cesse de se demander ce qu’il est advenu de sa famille au pays. Puisque personne ne semble le savoir, ils doivent être morts pendant la guerre, pense-t-il.

Un jour, Salva reçoit un message de son cousin, lui disant que son père est très malade. Il est hospitalisé dans un centre de santé pris en charge par l’ONU. 

« C’était la première fois depuis des années que j’avais des nouvelles d’un membre de ma famille », se remémore Salva. « J’étais heureux. Même si mon père était très malade, au moins il était en vie. » Il rentre alors au pays où il retrouve finalement sa famille. 

On lui apprendra que son père est tombé malade en buvant de l’eau non potable. C’est à ce moment que Salva se résout à aider son village à se procurer  de l’eau potable. De retour aux États-Unis en 2003, il fonde Water for South Sudan (WSS), une organisation à but non lucratif, avec son partenaire de l’ethnie Nuer, adversaire de l’ethnie Dinka à laquelle appartient  Salva. Par l’intermédiaire de l’ONG, Salva collecte des fonds et fore le premier puits de son village en 2005. 

« Le changement a été immédiat. Les femmes et les filles ne marchaient plus pendant des heures en terrain dangereux en quête d’eau », a confié Salva à Afrique Renouveau.

Après avoir vu comment le projet avait transformé la vie des gens de son village, Salva estime qu’il faut en faire plus. Forer un puits au Soudan du Sud coûte entre 8 000 et 15 000 dollars, en plus de devoir importer tout le matériel.

Aux États-Unis, Salva partage son histoire avec des amis, des membres de l’église de Rochester et d’autres personnes qui contribueront à sa cause. Il reçoit de petites subventions de diverses organisations confessionnelles, de Rotary International et provenant de la vente d’un roman basé sur son parcours — A Long Walk to Water, un best-seller du New York Times écrit par Linda Sue Park, un livre aujourd’hui étudié par les élèves de septième année dans les écoles américaines. Beaucoup d’étudiants ont contribué au projet. 

« Grâce au livre, nous comptons des soutiens dans les 50 États américains et dans 33 pays, notamment l’Australie, le Canada, la République tchèque, l’Italie, le Japon, la Malaisie, le Mexique, Singapour, les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni. De nombreuses écoles internationales du monde entier l’étudient », indique Salva.

En mars 2017, l’organisation de Salva avait foré 300 puits au Soudan du Sud. Des experts se sont investis dans le projet pour s’assurer que les puits sont suffisamment éloignés les uns des autres pour préserver les aquifères, généralement pas moins de 160 km. L’eau des puits est ensuite traitée et utilisée pour boire, pour accomplir les tâches domestiques et pour abreuver le bétail, mais pas pour l’irrigation ou autre utilisation à grande échelle.

Pour que le projet soit accepté par les populations, Water for South Sudan implique les communautés locales dès la phase de planification. Pour éviter les conflits, les désaccords et les malentendus, l’organisation invite également les dirigeants locaux et les notables  à décider de l’emplacement des futurs forages. 

« Nous formons aussi les villageois à l’utilisation des puits ; ils font partie du comité chargé de superviser l’entretien et les réparations du matériel », dit-il. 

Cette année, l’équipe de Salva prévoit de forer jusqu’à 40 nouveaux puits dans le comté de Waubaai (État de Wau) et le comté de Kuac North (État de Gogrial). Ils se concentreront davantage sur les écoles et le nouveau siège du comté à Payam. 

Salva indique que partout où des puits sont forés, des écoles et des marchés surgissent, transformant la région et changeant les moyens de subsistance. C’est ce type de transformation qui maintient la motivation de Salva et la solidité du projet WSS. Un conseil de 14 dirigeants aux États-Unis, tous bénévoles, aide à la planification stratégique. L’organisation a trois employés à temps plein et un à temps partiel. Salva vit au Soudan
du Sud. 

Lynn Malooly, directrice exécutive de WSS ces sept dernières années, déclare : « Nous sommes fiers de pouvoir aider Salva et de faire partie de ce projet ». 

Pour l’équipe, cependant, le parcours n’a pas été facile. Le transport du matériel de forage d’une partie du pays à l’autre est souvent entravé par les conflits qui sont fréquents au Soudan du Sud, ainsi que par l’insuffisance des infrastructures. 

« Souvent, il n’y a ni routes ni stations d’essence où nous pouvons ravitailler les camions transportant les machines », explique Salva.

Les conditions climatiques extrêmes, avec des températures épuisantes allant jusqu’à 38 °C, ainsi que l’épidémie de paludisme pendant la saison des pluies, influent aussi sur le rythme de travail, mais ne le paralysent pas.

Salva compte chercher d’autres partenariats pour aider beaucoup plus de Sud-Soudanais à accéder à l’eau potable. Il espère que son projet aidera à promouvoir la paix et rassembler les groupes ethniques des Nuer et des Dinka, en conflit, pour développer le pays. 

« Peu importe la situation, nous ne sommes qu’un seul et même peuple. Nous devons travailler ensemble. Lorsque je retourne au pays et que je vois tous ces changements positifs, je me sens bien. Nous plantons simplement  une graine et on ne sait jamais ce que cette graine pourra  produire dans le futur », dit-il.

Finalement, le « garçon perdu » du Soudan du Sud est rentré à la maison les bras chargés  de cadeaux, et les siens en sont heureux.    

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