D’où vient l’échec ? Les leçons de la crise alimentaire au Malawi

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D’où vient l’échec ? Les leçons de la crise alimentaire au Malawi

L'autocratie et la dépendance vis-à-vis de l'aide ont eu raison de la réussite agricole
Masimba Tafirenyika
Afrique Renouveau: 
Africa Media Online / South Photos / Graeme Williams
Malawi has gone from bountiful maize crops to renewed uncertaintyAu Malawi, des récoltes de maïs abondantes ont laissé place à l’incertitude. Il faut, pour parvenir à la sécurité alimentaire, une direction démocratique et stable et de judicieuses politiques.
Photo: Africa Media Online/South Photos/Graeme Williams

Une fois de plus, le Malawi se trouve en difficulté. Une crise alimentaire causée par des précipitations irrégulières, la hausse du prix des denrées alimentaires et des difficultés économiques, s'installe durablement. Pour la première fois depuis plusieurs années, le pays risque de ne pas pouvoir subvenir aux besoins alimentaires de sa population. Le Malawi n’est malheureusement plus l’exemple de réussite agricole qu’il était devenu au prix de nombreux sacrifices. Par le passé, sa production de maïs lui permettait de nourrir ses habitants et d'exporter ses excédents vers les pays voisins. À présent, beaucoup se demandent quelles sont les causes de cet échec et si les autres pays africains pourraient en tirer des leçons. 

Selon le Programme alimentaire mondial, organisme d’aide alimentaire des Nations Unies, plus de 1,63 million de personnes, soit 11 % de la population, sont confrontées à de graves pénuries alimentaires. Il faut au Malawi 30 millions de dollars avant la fin de l'année 2012 pour pallier l'insuffisance. L'agriculture constitue la base de son économie : les revenus de quatre personnes sur cinq en dépendent. La plupart des agriculteurs cultivent à la main de petites parcelles peu irriguées et sont donc vulnérables aux sécheresses à répétition, observe l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le Malawi abrite le troisième plus grand lac d’eau douce en Afrique, le lac Malawi, et pourtant, moins de 3 % des terres sont irriguées. 

Les problèmes actuels du Malawi peuvent paraître surprenants. Toutefois, pour ceux qui suivent l’évolution de ce minuscule pays pauvre d’Afrique australe, enclavé et densément peuplé, il s'agit davantage d'autosabotage progressif que d'un soudain revers de fortune. 

Hausse des subventions agricoles

En 2004, le Président Bingu wa Mutharika, mort en fonction début 2012, accède au pouvoir en promettant de revoir à la hausse les subventions agricoles dans le cadre de son Programme de subventions aux intrants agricoles. Selon ce plan, le Gouvernement a offert des subventions sous forme de bons « aux petits exploitants pour l'achat d'une petite quantité d'engrais et de semences afin qu'ils puissent reconstituer les éléments nutritifs du sol, bénéficier de variétés de semences améliorées et vivre de leurs petites récoltes », explique Africa Confidential, un bulletin d’information du Royaume-Uni. Ces bons étaient échangeables contre des semences et de l'engrais à environ un tiers du prix d'achat normal. 

Les résultats ont été immédiats. En 2005, un an après l'augmentation des subventions, le Malawi a récolté un excédent de céréales d'un demi-million de tonnes. Les années suivantes, le pays a exporté des céréales à destination du Lesotho et du Swaziland, ainsi que 400 000 tonnes de maïs vers le Zimbabwe. Des experts en alimentation et associations ont à tour de rôle fait l’apologie du Malawi lors de forums internationaux, en le présentant comme un exemple de la « révolution verte » en Afrique. Fort de son succès récent, le Président Mutharika a appelé les autres dirigeants africains à adopter sa politique. Mais aujourd’hui, la situation a changé et le Malawi se heurte à de graves pénuries alimentaires.

Paradoxalement, même pendant les années d'abondance, le Malawi a continué d’importer de grandes quantités de blé, maïs et autres céréales, mais des poches de malnutrition isolées subsistaient, révèle la FAO. En continuant d’attribuer des subventions, M. Mutharika a bravé les critiques des bailleurs de fonds qui affirmaient que le programme était gangrené par la corruption, qu’il allait à l’encontre des principes du libre marché et qu’il n’était pas viable. En effet, en 2009, 16 % du budget du Gouvernement étaient consacrés aux subventions. 

Au fil du temps, le Président Mutharika est devenu un leader autocratique, accusé de corruption et de népotisme. En 2009, il a dépensé plus de 20 millions de dollars pour l’achat d’un avion présidentiel long-courrier. Pire encore, il a commencé à présenter son frère Peter, alors Ministre des affaires étrangères, comme son successeur. Cette décision a eu pour effet d'éloigner encore un peu plus les bailleurs de fonds dont le Malawi dépend. Lorsque ces derniers l'ont abandonné, l'économie a sombré et les manifestants sont descendus dans la rue. L’instabilité politique a débuté.

Le rôle des dirigeants 

Maintenant que l'expérience d'une « révolution verte africaine », autrefois couronnée de succès, a échoué, quelles leçons peuvent en tirer les autres pays ? L'Afrique sera-t-elle un jour capable de produire assez d’aliments pour nourrir une population grandissante qui compte aujourd'hui plus d'un milliard de personnes ? La réponse à cette question est positive, mais avec des réserves. Pour y parvenir, certaines conditions doivent être réunies. 

Pour commencer, une forte volonté politique au plus haut niveau est un élément essentiel à la réussite agricole. Dans son livre intitulé The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa, Calestous Juma, professeur kényan de l’université Harvard, estime que les dirigeants africains doivent faire de l’agriculture un élément central de toutes les décisions économiques majeures. 

Rhoda Tumusiime, Commissaire de l’Union africaine pour l'économie rurale et l'agriculture, partage cette opinion. Elle note que les principaux moteurs de la réussite agricole étant peu nombreux, le rôle des dirigeants est crucial. « Il doit y avoir parmi les chefs d’État un défenseur politique de premier plan qui dirige et défende une vision d’ensemble de la révolution agricole », a-t-elle déclaré à la Commission économique pour l’Afrique.

Non seulement M. Mutharika était doté d’une volonté politique, il s'efforçait aussi de donner l'exemple. Sa politique anti-pauvreté a ainsi plu à de nombreux militants. Jeffrey Sachs, le directeur de Earth Institute de l’université Columbia à New York, qui a collaboré étroitement avec les autorités malawiennes pour combattre la pauvreté, en fait partie. 

« Nous devons… nous remémorer l’héritage positif du défunt Président Mutharika, car cet héritage peut aider l'Afrique à se développer et à échapper à la pauvreté », a écrit M. Sachs dans une tribune libre du New York Times

« Jusqu’aux deux dernières années de sa vie, Mutharika avait en fait conçu un modèle de développement généré par l'agriculture, montrant ainsi à l'Afrique la voie à suivre pour venir à bout de la faim chronique, de l'insécurité alimentaire et des périodes de grande famine », a déclaré M. Sachs. Il a reconnu au Gouvernement aujourd’hui disparu le mérite de s'être élevé « courageusement en 2005 contre l'arrogance d'une communauté humanitaire internationale mal informée ».

Sécurité alimentaire : sécurité nationale

Ensuite, bien que l’aide internationale soit indispensable pour nourrir les affamés et relancer l'agriculture en Afrique, la sécurité alimentaire est trop importante pour dépendre de la générosité des partenaires extérieurs. La sécurité alimentaire requiert autant d'attention et de ressources que la sécurité nationale, si ce n'est plus. 

Et enfin, l’Afrique a besoin d'une politique alimentaire solide soutenue par des res-
sources provenant des membres de l'Union africaine, qui seront investies dans des institutions de promotion de l'agriculture. L’UA a pris une initiative concrète dans ce sens en créant le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Les pays signataires doivent consacrer au moins 10 % de leur budget national à l’agriculture (voir L'Afrique a besoin de fortifier sa politique alimentaire
). Le PDDAA en soi ne dispose que d’un budget minime, mais il utilise le peu dont il bénéficie pour renforcer les institutions agricoles et créer des équipes de personnes qualifiées qui parcourent le continent en partageant les pratiques optimales avec les autorités nationales. 

« L’agriculture africaine a indubitablement besoin de solides institutions locales pour éviter le type de bulle observée au Malawi, qui a été largement générée par l'énergie extérieure », explique à Afrique Renouveau Martin Bwalya, le Gouvernement du PDDAA, en rappelant ainsi que le succès éphémère du Malawi dépendait des bailleurs de fonds. Le PDDAA, dirigé par le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), l’organisme de développement de l’UA, reconnaît que l’Afrique a besoin d’institutions dont l’efficacité et la durée de vie ne dépendent pas de la survie des individus. 

M. Mutharika a essayé de recourir aux subventions et a en grande partie réussi. Les pays qui ont suivi l’exemple du Malawi ont « obtenu, pour la première fois dans leur histoire moderne, des résultats spectaculaires en matière de rendement agricole et de production de denrées alimentaires », a déclaré le Professeur Sachs. Le successeur de M. Mutharika, Joyce Banda, la troisième femme présidente en Afrique, doit désormais formuler une nouvelle politique alimentaire, reconquérir les bailleurs de fonds, stabiliser l’économie et, une fois de plus, remettre l’agriculture sur la bonne voie.