L'agriculture africaine, 'vecteur de croissance'

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L'agriculture africaine, 'vecteur de croissance'

Les petits agriculteurs détiennent la clé du succès, selon le plan du NEPAD
Afrique Renouveau: 
Photo: © PNUD / M.L. Hanley
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Photo: © PNUD / M.L. Hanley

Après des dizaines d'années de stagnation économique et alors que le nombre de sous-alimentés chroniques atteint les 200 millions, les dirigeants africains intensifient leurs efforts pour trouver des "solutions durables" à la famine et la pauvreté, a déclaré le Président du Nigéria, Olusegun Obasanjo. Le cadre principal de ces efforts est, à son avis, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) qui stipule que "l'agriculture sera le vecteur de la croissance en Afrique".

Pour mieux souligner l'importance accordée à cet objectif, les fondateurs du NEPAD ont eu une série d'entretiens avec les ministres africains de l'agriculture et les responsables des groupes économiques régionaux du continent, de la Banque africaine de développement et de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique, ainsi qu'avec des experts de la Banque mondiale et de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). En consultation, ils ont élaboré le Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique, publié en juillet 2003.


Photo: © PNUD / M.L. Hanley


 

D'après le programme, les taux élevés de croissance économique prévus par le NEPAD ne pourront être atteints qu'à condition d'augmenter considérablement la production agricole. Des rendements agricoles plus importants contribueraient à faire reculer la faim et baisser le coût des importations alimentaires. Cela aurait aussi des avantages économiques plus généraux, de la hausse des revenus agricoles à la fourniture de matières premières au secteur industriel du continent. "Investir dans la réduction de la faim est une obligation morale, mais aussi une décision économique judicieuse", précise le Programme intégré.

Compte tenu des innombrables obstacles rencontrés par les agriculteurs africains, les solutions doivent être intégrées, nécessitant une action soutenue dans de nombreux domaines. Avant tout, stipule le programme, il est indispensable que les gouvernements africains et leurs partenaires extérieurs apportent leur soutien aux millions de petits agriculteurs pauvres de l'Afrique.

S'appuyer sur les succès locaux

La localité rurale de Tonka, dans le nord du Mali, offre un exemple des initiatives déjà prises par les villageois africains, malgré des conditions extrêmement défavorables. En creusant de simples canaux d'irrigation à partir d'un fleuve et d'un lac de la région, les quelque 4 500 cultivateurs de Tonka, réunis en coopératives agricoles, ont pu accroître leur production de riz, de millet, de sorgho, de pommes de terre, de manioc, de fèves et d'autres vivres. Les marchés de Tonka attirent désormais des acheteurs des autres régions du Mali, et même de la Mauritanie voisine. Grâce aux revenus supplémentaires tirés de leur production, les habitants de Tonka ont participé, ces quatre dernières années, au financement de la construction de neuf écoles élémentaires, de quatre dispensaires, de plusieurs puits, de deux marchés de bétail, d'un entrepôt et de plusieurs installations d'assainissement.

Là où de telles entreprises sont couronnées de succès, le défi des dirigeants africains est de trouver les moyens de renforcer ces initiatives et de les reproduire dans d'autres villes ou pays, affirme le Programme intégré. Là où ce type d'initiatives est rare, il faut en mener de nouvelles.

Les auteurs du Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique affirment qu'il ne s'agit pas d'un modèle et que ses objectifs doivent être adaptés à chaque pays et région. Le document n'est pas non plus un catalogue de projets. "Le Programme intégré vise essentiellement à sensibiliser les décideurs à la nécessité d'agir dans des domaines bien précis pour remédier rapidement aux difficultés agricoles du continent." C'est pourquoi le document consacre une place importante à trois "piliers" d'une action à court terme, ainsi qu'à un quatrième pilier à long terme. Il s'agit de :

o étendre les zones agricoles soumises aux mesures de gestion durable des terres et aux dispositifs fiables de régularisation des eaux

-- augmenter les réserves alimentaires et réduire la faim

-- améliorer l'infrastructure rurale et les moyens d'accès aux marchés

-- encourager, à long terme, la recherche et la diffusion technologique.

Un continent en crise

L'agriculture africaine est en crise, de l'avis du Programme intégré, et la situation "exige une réaction de crise". Malgré l'urbanisation rapide, les activités liées à l'agriculture constituent encore le moyen de subsistance d'environ 60 % de la population active du continent, représentent 17 % de la totalité du produit intérieur brut et 40 % de ses recettes en devises étrangères.

Pourtant les rendements agricoles stagnent depuis des dizaines d'années. L'accroissement constant de l'ensemble de la production agricole, parfois par la simple culture de terres supplémentaires, compense à peine la croissance démographique de l'Afrique. Le retard de la production alimentaire a entraîné une augmentation du nombre de sous-alimentés chroniques, qui est passé de 173 millions de personnes en 1990-1992 à 200 millions en 1997-1999, selon les dernières statistiques disponibles. Sur ce total, 194 millions de personnes vivent en Afrique subsaharienne. Cette progression de la faim intervient malgré l'importance des importations alimentaires, qui ont coûté 18,7 milliards de dollars en 2000 seulement.

Cette stagnation s'explique, selon le Programme intégré, par de multiples raisons : la dépendance persistante vis-à-vis de précipitations aléatoires, les carences nutritionnelles des sols du continent, la taille réduite et la dispersion géographique des marchés locaux, l'instabilité et le repli des cours mondiaux des exportations agricoles africaines, la superficie modeste de la plupart des exploitations agricoles, le manque d'organisation chronique des cultivateurs, l'absence de routes dans les campagnes, la méconnaissance des besoins particuliers des agricultrices (qui produisent la plupart des vivres du continent) et la propagation du VIH/sida.

En outre, les politiques agricoles des gouvernements africains se sont révélées insuffisantes, n'offrant que de faibles incitations économiques aux producteurs agricoles. Les mesures de privatisation et autres politiques d'ajustement structurel ont amené les Etats à se retirer "trop précipitamment" de la production directe. Faute d'un secteur privé viable, ce désengagement a provoqué une "profonde désorganisation de la production, du commerce des produits agricoles et des services d'appui à l'agriculture".

Le secteur agricole souffre également du manque de capitaux. Nombre de gouvernements consacrent moins de 1 % de leurs budgets à l'agriculture. Non seulement le volume global de l'aide consentie par les donateurs diminue, mais ceux-ci privilégient d'autres secteurs. C'est ainsi qu'à l'échelle mondiale, le montant de l'aide allouée aux activités agricoles est passé de 11 milliards de dollars en 1990 à 7,4 milliards en 1998. La diminution a été particulièrement sensible dans le cas de la Banque mondiale, qui consacrait 39 % de l'ensemble de ses prêts au secteur agricole en 1987, contre 7 % seulement en 2000.

Tout en mettant l'accent sur la nécessité de mieux gérer les ressources financières disponibles, le Programme intégré affirme que seule une augmentation sensible des investissements agricoles permettra à l'Afrique de sortir de la crise agricole actuelle. La réalisation des quatre principaux objectifs du programme exige des investissements de 251 milliards de dollars entre 2002 et 2015 (voir tableau). Bien qu'ambitieuse, cette moyenne annuelle de 17,9 milliards de dollars est inférieure au montant que le continent consacre tous les ans aux importations alimentaires. D'après le plan, l'Afrique sera en mesure de mobiliser la moitié de ce montant à partir de ses propres ressources et sa part augmentera à mesure que ses capacités économiques se renforceront.

 

 Investissements nécessaires dans l'agriculture africaine, 2004-2015

 Activités

 en milliards de dollars US

 Investissements dans la terre et l'eau37 

 Exploitation et entretien

32  Investissements dans l'infrastructure rurale89 

 Exploitation et entretien

37  Capacités commerciales3  Sécurité alimentaire nationale6  Sécurité alimentaire régionale1  Recherche et technologie5  Réserves humanitaires42  Total251 Source : Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique.

 

Augmenter les rendements

L'amélioration de la fertilité des sols et l'utilisation plus judicieuse des ressources en eau constituent des moyens relativement simples d'accroître les rendements agricoles africains. A présent, seuls 12,6 millions d'hectares de terres agricoles bénéficient d'une politique d'aménagement et de maîtrise de l'eau. La plupart des terres agricoles sont soumises aux aléas climatiques -- précipitations insuffisantes ou inondations qui privent les terres de leur couche arable -- ou aux pratiques agricoles précaires qui épuisent progressivement les éléments nutritifs des sols.

On estime à quelque 874 millions d'hectares la superficie des terres cultivables en Afrique, mais 83 % ont d'importantes déficiences, par exemple une faible fertilité ; 16 % des sols du continent sont classés dans la catégorie "peu nutritive", contre 4 % en Asie. L'épuisement des éléments nutritifs des sols provoque des pertes de récoltes annuelles estimées à un à trois milliards de dollars.

Ces éléments nutritifs ne sont pas remplacés. L'apport d'engrais en Afrique subsaharienne n'est que de neuf kilogrammes par hectare, contre 100 kilos en Asie du Sud, 135 kilos en Asie de l'Est et du Sud-Est, 73 kilos en Amérique latine et 206 kilos dans les pays industrialisés. Le Programme propose une approche intégrée associant une plus grande utilisation de substances organiques et d'engrais minéraux, des graines hybrides à rendement plus élevé et des méthodes d'irrigation moins intensives ainsi que d'autres pratiques.

Le Programme note que 7 % seulement des terres arables du continent sont irriguées (40 % de ces terres étant en Afrique du Nord). Comme pour l'utilisation d'engrais, le recours à l'irrigation en Afrique est plus faible qu'ailleurs : 10 % des terres arables sont irriguées en Amérique du Sud, 29 % en Asie de l'Est ou du Sud-Est, et 41 % en Asie du Sud. (Voir graphique)

Tout en soulignant le besoin de moderniser et de rénover les vastes réseaux d'irrigation déjà en service et d'en établir de nouveaux, le Programme intégré estime qu'il est indispensable d'encourager les efforts plus modestes dans ce domaine pour que les culivateurs pauvres y aient accès. Grâce à diverses approches, la superficie des terres arables irriguées pourrait passer de 12,6 millions d'hectares à 20 millions d'ici à 2015.

Si l'amélioration globale de la productivité dans le secteur agricole est indispensable à la diminution de la pauvreté rurale et à la croissance économique, un autre pilier du Programme intégré -- l'augmentation des réserves alimentaires -- est essentiel dans la lutte contre la faim. Ce fléau touche un tiers de la population de l'Afrique subsaharienne. Les rendements céréaliers du continent s'élevaient à 1 230 kilos par hectare en 2001, contre 3 090 kilos en Asie, 3 040 kilos en Amérique latine et 5 470 kilos dans l'Union européenne. Selon le Programme intégré, l'amélioration des rendements de récoltes alimentaires de base doit s'accompagner d'un renforcement des "filets de sécurité" pour protéger les pauvres des conséquences des catastrophes -- sécheresses, inondations et ravages de la guerre.

Routes et marchés

A Sikorola, un village dans l'ouest du Burkina Faso, les sols sont plus fertiles et les précipitations suffisantes. Mais les efforts des agriculteurs pour accroître la production se heurtent à la pénurie d'infrastructures de la région. "On peut produire plus de maïs et de pommes de terres", affirme un membre de la famille Siguizani, "mais il n'y a pas de routes pour acheminer notre production".

Le cas de Sikorola n'est pas unique. Le continent tout entier souffre de la quasi-inexistence de routes asphaltées dans les campagnes. La production agricole est le plus souvent acheminée au marché par charrette ou à vélo sur des routes non-asphaltées ou à pied le long de sentiers débroussaillés. L'Afrique compte la plus faible densité de routes asphaltées du monde : sur 1,8 million de kilomètres de réseaux routiers en Afrique subsaharienne, 16 % seulement sont asphaltés.

De plus, l'état de nombreuses routes asphaltées du continent s'est sensiblement détérioré en raison d'une utilisation excessive et d'un entretien insuffisant. La précarité du réseau routier pousse les camionneurs des villages du Cameroun à réclamer de 1000 à 2000 CFA de plus (soit 1,70 à 3,40 dollars) pour effectuer des parcours de seulement six kilomètres. Des frais de transport plus élevés contraignent les agriculteurs à augmenter les prix de leurs produits, affaiblissant ainsi leur compétitivité sur les marchés locaux et internationaux.

 


Pour inciter les agriculteurs à produire davantage, il faudra prévoir la construction de suffisamment de routes praticables pour acheminer leurs récoltes au marché.

 

Photo: © PNUD / Ruth Massey


 

L'absence de routes, de moyens d'entreposage et d'autres infrastructures dont les agriculteurs ont besoin pour commercialiser leurs récoltes ne les incitera pas à produire davantage, affirme le Programme intégré, qui préconise que plus de la moitié des investissements prévus dans le cadre du plan soit consacrée au financement de l'infrastructure rurale (en dehors des réseaux d'irrigation). Outre les routes et autres infrastructures physiques, les agriculteurs ont besoin, selon le Programme, de réseaux de communication et d'informations sur les cours des produits et les marchés, leur permettant de profiter pleinement de l'évolution des tendances.

Les marchés extérieurs sont essentiels pour de nombreux producteurs africains de coton, de cacao, de café, de thé et d'autres cultures d'exportation. Pourtant les conditions des marchés mondiaux n'ont pas été favorables aux agriculteurs du continent. Outre l'instabilité des cours agricoles mondiaux, les exportations africaines pâtissent d'un accès limité aux marchés du Nord et des subventions importantes versées aux agriculteurs riches des pays industrialisés.

"Il est ironique de constater, peut-on lire dans le plan agricole du NEPAD, que si de nombreux pays africains estiment qu'un secteur agricole dynamique et viable ne peut prospérer à coup de subventions, la vente de leurs produits agricoles pâtit précisément des subventions versées dans les pays développés qui se disent les plus farouches partisans de la libéralisation".

Technologie pour le développement

Pour être couronnés de succès, les efforts de l'Afrique pour accroître sa production agricole devront également s'appuyer sur une plus grande utilisation de la science et de la technologie, qui représentent le quatrième pilier -- à long terme -- du plan d'action. A présent, environ 20 % seulement des terres agricoles d'Afrique sont cultivées avec des espèces céréalières améliorées. De nombreuses variétés de maïs et de riz ont été mises au point en laboratoire, mais devront être mieux adaptées aux conditions environnementales du continent, comme c'est le cas du Nouveau Riz pour l'Afrique (voir article "Un riz 'miracle' africain"). D'après les recherches, l'utilisation d'espèces améliorées de millet, de sorgho et d'autres cultures traditionnelles africaines contribue aussi considérablement à l'amélioration des rendements. En plus des graines, les agriculteurs devront pouvoir disposer de moyens de lutte contre les maladies animales, de pesticides inoffensifs et d'autres intrants, ainsi que d'une formation en sylviculture agricole et dans d'autres domaines.

Les institutions de recherche agricole et les services de vulgarisation de l'Afrique n'ont guère les moyens d'entreprendre de nouvelles recherches scientifiques ou de faire appliquer les technologies existantes. Ce problème peut être en partie surmonté, de l'avis du Programme intégré, par la mise au point de nouvelles méthodes de production et de traitement des connaissances scientifiques. Les agriculteurs devront être plus étroitement associés à la recherche et à la diffusion.

Pedro Sanchez, chef du département d'agriculture tropicale au Earth Institute de l'Université de Columbia, en convient. Les parcelles de recherches entourées de clôtures sont révolues, a-t-il affirmé à Afrique Relance; désormais, les chercheurs devront privilégier "la participation", être à l'écoute des cultivateurs. Les services de vulgarisation agricole devront modifier leur manière d'opérer, estime cet expert de la fertilité des sols, lauréat du Prix mondial 2002 de l'alimentation et co-président du groupe de travail spécial contre la faim du Projet du Millénaire, un groupe consultatif de l'ONU. "Il nous faudra effacer les divisions entre recherche et application", dit-il.

Mais, d'après le Programme intégré, ces changements devront s'accompagner d'un financement plus important de la recherche scientifique. Les dépenses publiques consacrées à la recherche agricole ont rapidement augmenté de 1961 à 1976 pour plafonner à un niveau d'environ 1,2 milliard de dollars par an dans les années 80 et 90. Mais la dépendance financière des instituts de recherche agricole africains vis-à-vis des donateurs n'a fait que croître, passant de 28 % du budget total en 1986 à environ 40 % aujourd'hui.

Pour réduire cette dépendance, il faudrait que les dépenses globales consacrées à la recherche agricole doublent au cours des 10 prochaines années, estiment les experts du NEPAD. Pour ce faire, ils recommandent de diversifier les sources de financement des activités de recherche et de vulgarisation, en recueillant non seulement plus d'argent auprès des autorités nationales et des donateurs extérieurs, mais aussi en mettant à contribution le secteur privé, en proposant des services de consultation payants aux associations de producteurs, en tirant des revenus des brevets et en réclamant l'imposition de taxes sur les ventes de denrées de base.

Avec des ressources suffisantes, conclut le plan du NEPAD, il sera beaucoup plus facile d'établir "un système pluriel et intégré de recherche, de vulgarisation et de formation agricole qui soit responsable et attentif aux besoins des agriculteurs, de l'industrie agro-alimentaire, des consommateurs et de tous les acteurs de ce secteur".