Une réforme de la sécurité pour les femmes

Get monthly
e-newsletter

Une réforme de la sécurité pour les femmes

Formation, recrutement et poursuites judiciaires peuvent réduire la violence
Afrique Renouveau: 
Reuters / Alissa Everett
A female soldier in the government army in the Democratic Republic of the Congo Une femme-soldat des Forces armées de la République démocratique du Congo : une nouvelle politique de recrutement, une meilleure formation et d’autres réformes sont nécessaires pour que les forces de sécurité africaines offrent une meilleure protection aux femmes.
Photo: Reuters / Alissa Everett

Le massacre fin septembre 2009 de près de 200 manifestants de l’opposition à Conakry (Guinée) a choqué l’Afrique et le reste du monde. Plus que la brutalité même de la répression, une chose a particulièrement frappé d’horreur de nombreux survivants et observateurs – le viol systématique de dizaines de femmes.

“Nous ne savions pas que les soldats allaient nous brutaliser,” a déclaré une femme blessée à un journaliste étranger. Une enseignante de 35 ans a raconté aux enquêteurs de l’ONG new-yorkaise Human Rights Watch que des membres de l’unité d’élite de la Garde présidentielle s’étaient saisis d’elle ; “deux d’entre eux m’ont immobilisée pendant que l’autre me violait… Puis le deuxième m’a violée, puis le troisième.”

Malheureusement, ce qu’ont vécu ces Guinéennes ne constitue pas des incidents isolés. La violence contre les femmes, sexuelle ou autre, a caractérisé les conflits qui ont déchiré l’Afrique, de la Sierra Leone au Libéria, du Burundi à la République démocratique du Congo (RDC). Même dans les pays qui ne sont pas en guerre, il est courant que les femmes soient violées, battues et victimes d’autres formes de violence. Il est rare que la police et la justice prennent ces crimes au sérieux ; pire encore, les policiers et les soldats – qui ont théoriquement pour mission de protéger la population – figurent très fréquemment parmi les auteurs de ces violences.

Cependant, des mesures éparses sont prises pour réformer les organes de sécurité africains afin d’améliorer leur capacité – et leur volonté – de protéger les femmes.

Certains pays commencent à recruter un plus grand nombre de femmes dans leurs forces de police, et à un moindre degré, dans leurs forces armées, ce qui contribue à changer le caractère exclusivement masculin de ces institutions et les pousse à prendre plus au sérieux la violence à l’égard des femmes. En République démocratique du Congo, où les viols ont été exceptionnellement fréquents dans les provinces de l’Est du pays déchirées par la guerre, des dizaines de soldats gouvernementaux, qui bénéficiaient autrefois d’une quasi-immunité, sont finalement jugés par des tribunaux militaires et certains ont été condamnés à de longues peines de prison.

‘Une double approche’

Mais ces progrès restent limités, note Ecoma Alaga, une spécialiste des questions d’égalité des sexes et de la réforme du secteur de la sécurité de l’ONG Women Peace and Security Network–Africa (WIPSEN–Africa), d’Accra (Ghana). La violence contre les femmes ne cesse d’augmenter, a-t-elle expliqué dans une communication présentée à un séminaire organisé en septembre à New York par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU.

Spectacle de théâtre au Congo qui illustre la violence dont sont victimes les femmes afin de mieux instruire le peuple sur ce fléau social.
Photo: ONU / Marie Frechon

En Afrique, fait remarquer Mme Alaga, le secteur de la sécurité “se trouve souvent incapable d’assumer ses responsabilités” en matière de protection des femmes et “constitue souvent lui-même une menace directe à la sécurité de ces dernières.” Il est évidemment impératif d’opérer une réforme générale du secteur de la sécurité en Afrique afin de le rendre plus efficace et mieux à même de répondre aux préoccupations de la population, mais il est particulièrement important de faire en sorte que cette réforme insiste davantage sur la nécessité de combattre la discrimination fondée sur le sexe et de protéger les femmes, explique-t-elle.

Pour cela, selon Mme Alaga, une “double approche” est nécessaire. D’une part, ceux qui conçoivent et mettent en œuvre les réformes des organes de sécurité doivent mieux tenir compte des sexospécificités et impliquer activement les femmes dans toutes les phases des programmes de réforme ; de l’autre, les organisations de femmes doivent elles–mêmes cesser de considérer la sécurité comme “une affaire d’hommes” et insister pour que leur voix soit mieux prise en compte.

Cela ne sera pas facile, explique Adedeji Ebo qui préside l’Équipe spéciale interinstitutions pour la réforme du secteur de la sécurité de l’ONU. Les armées et les polices africaines ont été créées alors que la plus grande partie du continent était sous domination coloniale, a-t-il rappelé au cours du séminaire organisé par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique. Elles n’ont donc au départ “jamais été organisées pour protéger les Africains,” mais conçues par les autorités coloniales comme des instruments permettant d’assurer la rentrée des impôts et de “contenir les indigènes.” Même après l’indépendance, de nombreux gouvernements africains ont perpétué ou recréé des structures similaires.

Mais alors que nombre de pays africains s’efforcent de se reconstruire après des guerres destructrices ou de démocratiser des systèmes politiques répressifs, ils cherchent également à professionnaliser leur armée, leur police, leurs services de renseignement et leurs tribunaux - le but commun de ces réformes étant de mettre tous les organes du secteur de la sécurité sous le contrôle de dirigeants civils élus et de les rendre plus sensibles aux aspirations de la population (voir Afrique Renouveau d’avril 2009).

Mais jusqu’ici, soutient Mme Alaga, ces efforts de réforme ont été imposés d’en haut et d’une manière “élitiste.” Ils n’ont également concerné que des institutions spécifiques au lieu de traiter globalement le secteur de la sécurité et ont essentiellement porté sur des problèmes techniques et logistiques plutôt que sur la question fondamentale de la manière dont l’armée, la police et les tribunaux sont administrés.

“Il faut, pour assurer la protection des femmes, adopter une approche exhaustive et systémique,” insiste Mme Alaga. Pour que la violence recule, un minimum de sécurité publique doit être assuré par les organes qui en sont chargés ; la police doit exercer ses pouvoirs d’investigation et d’arrestation à l’encontre des personnes suspectées de crimes et les tribunaux juger et condamner celles qui sont reconnues coupables.

L’approche “au coup par coup” qui domine actuellement la réforme du secteur de la sécurité a permis des progrès partiels, reconnaît Mme Alaga, mais ces efforts montrent bien que l’adoption de mesures plus systématiques permettrait d’améliorer considérablement la situation des femmes.

Purger les organes de sécurité

Dans les pays où l’armée s’est fait particulièrement remarquer par sa brutalité envers les civils, une des mesures les plus évidentes qu’impose la réforme est de se débarrasser des responsables de violences graves.

Après plus d’une décennie de guerre civile, le Libéria a commencé en 2006 à reconstruire ses forces armées. Bien que les membres des anciennes forces armées gouvernementales et ceux des groupes rebelles démobilisés aient été autorisés à présenter une demande d’engagement, les critères de sélection ont été très rigoureux ; des commissions spéciales ont soigneusement examiné les qualifications de chaque candidat et éliminé tous ceux connus pour avoir commis des violences. Les noms et les photos des candidats ont été publiés et communiqués à la population locale et le public invité à présenter toute information susceptible de disqualifier l’un d’entre eux.  Ce processus a abouti à l’élimination des trois quarts des aspirants.

En RDC, les accords de paix de 2002 prévoyaient également la création de nouvelles forces armées, mais le filtrage opéré dans les rangs des nouvelles recrues a été beaucoup plus limité, des unités entières des anciennes factions ont souvent été incorporées dans les nouvelles Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ; seuls quelques-uns des officiers les plus notoirement responsables de violences ont été exclus ou inculpés pour les crimes dont ils étaient accusés.

Graduates of the police academy in Liberia Policières nouvellement promues de l’école de police du Libéria : sous la présidence d’Ellen Johnson- Sirleaf, le pays a fixé des quotas pour le recrutement de femmes dans la police et dans l’armée.
Photo: ONU / Christopher Herwig

Malgré les accords de paix, les combats ont continué dans les provinces de l’Est du pays entre les FARDC et une multitude de factions dissidentes, de milices locales et de combattants étrangers (venus principalement du Rwanda et de l’Ouganda voisins). De nombreux villageois congolais ont été tués et des centaines de milliers déplacés par les combats, les femmes étant fréquemment victimes de brutalités et de viols.

Les observateurs de l’ONU et des organisations de défense des droits de l’homme tiennent les groupes anti-gouvernementaux pour responsables d’une grande partie des violences perpétrées, mais citent aussi fréquemment des cas de viols, de pillages et de meurtres commis par des soldats indisciplinés des FARDC qui ne craignent guère d’être punis pour leurs exactions.

Le Président Joseph Kabila a annoncé en juin 2009 aux FARDC une politique de “tolérance zéro” ; désormais, a-t-il promis, tout soldat, “quel que soit son grade”, impliqué dans une affaire de vol, de viol, de violation des droits de l’homme ou qui faillirait à sa mission de protection des populations serait arrêté et traduit devant un tribunal militaire. Des dizaines de soldats du rang des FARDC ont ainsi été jugés et fin juillet, 10 officiers ont été condamnés pour viols et autres crimes de guerre.

 Mais l’armée congolaise a encore un long chemin à parcourir pour se transformer en une force respectueuse des droits des femmes et des autres citoyens du pays. En novembre, des enquêteurs de l’ONU ont confirmé que pendant leur offensive contre les rebelles rwandais du début 2009, des troupes des FARDC avaient tué au cours d’un seul incident plus de 60 civils. Le même mois, les casques bleus de la mission de l’ONU en RDC (MONUC) ont suspendu tout soutien aux unités de l’armée impliquées dans ces meurtres. Un rapport rédigé fin novembre par un groupe d’experts de l’ONU cite d’autres preuves d’assassinats, de viols et d’exploitation minière illégale par des officiers et des troupes des FARDC.

Le Secrétaire général de l’ONU, M. Ban Ki-moon, citant dans un rapport de décembre 2009 un “manque de progrès dans le domaine de la réforme du secteur de la sécurité”, a demandé aux autorités congolaises de procéder à une purge de fond au sein des FARDC et de traduire en justice les responsables d’actes de violence graves.

Le général Monzili Zabili, un commandant chevronné de l’armée congolaise, estime qu’il faudra au moins trois ans de formation intensive et de restructuration pour créer une véritable “armée républicaine.” L’armée actuelle constitue selon lui un “regroupement de milices privées” opéré après les accords de paix et qui n’ont pas encore été complètement intégrées pour former une armée homogène et disciplinée.

Formation et recrutement

Comme le souligne le général Monzili, il est essentiel de former les membres des forces armées et de la police pour changer leurs perceptions et leur comportement. Des projets de lois actuellement examinés par le parlement congolais proposent une série de réformes des FARDC et de la police nationale dont une restructuration, une modification des méthodes de commandement et une formation portant aussi bien sur des sujets techniques que des sujets ayant trait à la “morale”. Des instructeurs de la MONUC et de l’Union européenne œuvrant avec des unités de l’armée et de la police congolaises donnent ainsi déjà des cours sur les droits de l’homme et les problèmes liés au sexisme.

De la même manière rapporte Mme Alaga, au Burundi, au Libéria, en Sierra Leone et en Afrique du Sud les questions concernant les droits de la femme et la violence sexiste ont été intégrées dans les programmes de formation de la police et de l’armée.

Bien qu’elle soit essentielle, la formation ne peut par elle-même avoir que des effets limités sur l’attitude de forces de sécurité majoritairement masculines. 

Le Libéria — qui a donné à l’Afrique sa première présidente démocratiquement élue, Ellen Johnson-Sirleaf, a fait des efforts particulièrement prononcés pour modifier la composition de ses forces de sécurité ; quand le recrutement de la nouvelle armée nationale a commencé, la Présidente a annoncé qu’un de ses buts devait être d’obtenir une armée composée à 20 % de femmes. Mais il a été difficile de trouver assez de femmes prêtes à s’engager et possédant la qualification minimale d’une éducation secondaire – ainsi, la proportion actuelle de recrues féminines est en fait d’environ 5 %.

Des progrès plus importants ont été réalisés dans le cas de la police nationale libérienne pour laquelle le même objectif de 20 % avait été fixé. Avec l’aide de près de 60 instructrices de la mission de paix de l’ONU, la première promotion entièrement féminine d’élèves policiers a complété sa formation en 2009, portant la proportion de femmes dans la police à 12 %. La Présidente avait un peu plus tôt nommé une femme, Beatrice Munah Sieh, au poste d’inspecteur général de la police.

L’Afrique du Sud, qui recrute des femmes dans l’armée et la police depuis qu’elle a commencé à restructurer ses forces de sécurité au milieu des années 1990, a récemment porté le quota de femmes pour ces deux institutions à 40 % afin d’accélérer ce processus. À la suite d’un rapport sur “l’intégration des femmes” qui avait mis en lumière des carences au niveau du commandement dans la Force de défense nationale sud-africaine, huit femmes ont été promues général de brigade en 2007.

Réforme juridique

Les conflits que connaît l’Afrique sont porteurs de dangers particulièrement graves pour les femmes,  qui sont toutefois communément victimes de violences également dans les pays “en paix.” Même en RDC, on estime que seulement 3 % de tous les viols et autres violences sexuelles sont commis par des membres de groupes armés.

Mais partout en Afrique, les femmes n’ont toujours qu’un accès limité à la protection de la justice. En effet, les tribunaux n’ont que peu de pouvoir (et sont à peine présents en dehors des grandes villes), les frais de justice sont élevés, la corruption est fréquente et parties civiles, avocats et même juges n’ont souvent qu’une connaissance approximative de la loi.

Mais des progrès sont en cours. Dans plusieurs pays dont le Rwanda, les lois sanctionnant le viol et la violence sexuelle ont été renforcées au cours des dernières années. Le Libéria, la Sierra Leone et l’Afrique du Sud ont mis sur pied des unités spéciales au sein de la police pour enquêter sur ces crimes ; le Libéria a organisé un tribunal spécial pour juger les affaires de violence sexuelle et la Guinée-Bissau a introduit des programmes de formation antisexiste à l’intention des magistrats.

Depuis 2007, des services d’aide juridique ont été mis en place dans la province du Nord-Kivu pour aider les femmes et leurs familles à obtenir justice. “Chaque mois nous enregistrons une trentaine de cas de viols,” rapporte Eugène Buzake, un avocat de l’ONG Synergie pour l’assistance juridique (SAJ), “et nous orientons les victimes vers la justice.” Le groupe offre des conseils juridiques gratuits, organise la protection des témoins et facilite leur déplacement vers le tribunal.

Engagement social

Comme le montre ce dernier exemple, une plus grande implication des organisations de la société civile, des associations de femmes et des autres acteurs sociaux peut être cruciale pour combattre la violence contre les femmes. Les organisations de la société civile peuvent faire pression sur les forces de sécurité pour qu’elles corrigent leurs carences et agissent de manière plus énergique dans ce domaine. À la fin des années 1990 en Afrique du Sud, les associations de femmes ont été invitées à participer à un examen public de l’organisation et de la politique de défense du pays ; ceci leur a permis de mettre en lumière des problèmes allant de l’impact environnemental des activités militaires au harcèlement sexuel des femmes par des membres des forces armées.

D’une façon plus générale, la violence contre les femmes est un problème de société qui ne peut pas être combattu par les seuls organes de sécurité, note Anne-Marie Goetz, une conseillère pour les questions de gouvernance et de sécurité au Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM). Une grande partie de cette violence a lieu au sein de la famille ou d’autres “espaces privés,” a-t-elle expliqué au cours du séminaire organisé par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique ; elle est par conséquent difficile à réprimer. De plus, a-t-elle ajouté, la “large tolérance des violences” qui prévaut dans de nombreuses sociétés rend plus difficile la transformation des organes de sécurité.

La position de subordination que les femmes occupent généralement dans la société présente un autre obstacle. En Sierra Leone, selon une étude de WIPSEN–Africa, certaines femmes qui désiraient s’engager dans l’armée ou la police et qui possédaient les qualifications nécessaires ont fini par se heurter à la volonté de leurs maris qui leur ont “ordonné” de renoncer à accepter les postes qui leur étaient offerts.

En Afrique, la réforme des organes de sécurité pour qu’ils offrent une meilleure protection aux femmes et l’amélioration globale de la position sociale et politique de celles-ci procèdent donc de démarches parallèles, a déclaré à ce séminaire Kristin Valasek du Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées; il faut dans les deux cas que les femmes soient intégrées au plus haut niveau dans les instances de décision nationales, et que les associations de femmes et les organisations de la société civile se mobilisent au niveau local.

L’action à la base est particulièrement importante, explique Joséphine Pumbulu, responsable des questions de droits de la femme et de l’enfant pour l’Association africaine de défense des droits de l’homme en RDC. Son organisation défend les droits de la femme dans les écoles, les églises, sur les marchés et dans tous les lieux publics du pays ; elle demande également au gouvernement, à l’armée et à la police de protéger les femmes de la violence. Joséphine Pumbulu encourage les Congolaises à “dénoncer les violeurs” avec plus de vigueur et promet que tant que les droits de la femme ne sont pas respectés, “nous ne resterons pas les bras croisés.”