Positions africaines sur le changement climatique

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Positions africaines sur le changement climatique

Militants et présidents appellent à une mobilisation mondiale immediate
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
350.org
Johannesburg, South AfricaGroupes environnementaux et communautaires marchant à Johannesburg, Afrique du Sud, le 12 Décembre, l’une des nombreuses manifestations partout dans le monde exigeant une action plus globale.
Photo: 350.org

Dans toute l’Afrique, des chercheurs, des personnalités, des agriculteurs, des défenseurs de l’environnement et même des présidents demandent avec de plus en plus de véhémence que des mesures soient prises à l’échelle internationale pour lutter contre le changement climatique et aider les pays pauvres à en combattre les répercussions. L’attention s’est dans un premier temps focalisée sur la conférence internationale des Nations Unies sur le changement climatique, organisée à Copenhague du 7 au 19 décembre 2009, qui a abouti à l’adoption d’un accord de portée restreinte visant à combattre le réchauffement planétaire (voir l'article). Mais il reste beaucoup de progrès à faire et nombreux sont les Africains qui estiment que leurs gouvernements doivent s’investir davantage, sur la scène internationale comme sur le plan intérieur.

‘Nous ne sommes pas venus en tant que victimes’

Meles Zenawi Photo: ONU / Joshua Kristal

Discours prononcé au sommet de Copenhague le 16 décembre par Meles Zenawi, Premier Ministre de l’Éthiopie et négociateur en chef de l’Union africaine à Copenhague.

Nous savons tous que l’Afrique n’a pratiquement pas contribué au réchauffement planétaire mais qu’elle est la première à en subir les conséquences les plus lourdes. En raison de la fragilité de notre écosystème, les ravages du changement climatique se sont déjà fait sentir parmi nous, entraînant morts et souffrances dans tout le continent. L’Afrique paie ainsi le prix de la richesse et du bien-être créés dans les pays développés au moyen d’un développement à forte intensité de carbone. Cela est fondamentalement injuste.

Mais nous ne sommes pas venus ici dans le rôle de victimes pansant nos blessures héritées des injustices du passé. L’Afrique est un continent d’avenir, destiné à devenir un pôle de croissance au XXIe siècle. Nous ne sommes donc pas venus ici en qualité de victimes du passé, mais en qualité d’acteurs de l’avenir afin de bâtir ensemble un avenir meilleur pour nous tous.

Non seulement l’Afrique n’a pratiquement pas contribué au niveau actuel d’émissions de carbone, mais il est peu probable, quelle que soit l’évolution de la situation, qu’elle devienne une source importante de pollution à l’avenir. L’Afrique est une terre verte qui peut et souhaite définir un nouveau mode de développement, à faible intensité de carbone…

Nous ne sommes pas ici pour prêcher ni pour nous donner en spectacle. Nous sommes ici pour négocier, pour parvenir à un compromis et à un accord équitable …

En ce qui concerne le financement initial, je propose de :

  • Appuyer la création d’un fonds de financement initial de 10 milliards de dollars par an pour trois ans (2010-2012), qui permette de prendre les mesures les plus urgentes en matière d’adaptation et d’atténuation et de planifier des programmes plus ambitieux à l’avenir…
  • Exiger que 40 % de ces fonds soient réservés à l’Afrique…

En ce qui concerne le financement à long terme, je propose que :

  • Le financement des mesures d’adaptation et d’atténuation commence en 2013 pour atteindre 50 milliards de dollars par an en 2015 et 100 milliards de dollars par an en 2020.
  • Au moins 50 % des fonds soient affectés à l’adaptation des pays et régions pauvres et vulnérables, comme l’Afrique et les petits États insulaires…

Je sais que ces propositions vont décevoir les Africains qui, au nom de la justice, exigent le dédommagement intégral du tort infligé à nos perspectives de développement. Mes propositions révisent considérablement à la baisse le niveau de financement escompté, en échange d’un financement plus fiable et d’une participation à la gestion de ces fonds.

Cela relève à mon avis d’un principe important. L’Afrique a beaucoup plus à perdre que d’autres si l’on ne parvient à aucun accord sur le changement climatique. Ceci, non seulement parce que notre écologie est plus fragile mais aussi parce que nos meilleures années sont devant nous et que le manque d’accord pourrait tuer notre avenir avant même qu’il soit né.

Parce que nous avons plus à perdre que d’autres, nous devons être prêts à faire preuve de souplesse et à redoubler d’efforts pour nous montrer accommodants. C’est exactement ce que mes propositions comptent réaliser.

‘Les dirigeants africains doivent se montrer responsables’

Wangari Maathai Photo: UN / Mark Garten

Intervention de Wangari Maathai, dirigeante du Green Belt Movement du Kenya et lauréate du Prix Nobel de la paix en  2004, à la Banque africaine de développement à Tunis (Tunisie) le 27 octobre.

Les ressources naturelles communes comme les terres, les forêts, les rivières, les marécages, les lacs et la faune et la flore sont essentiels à la survie des communautés mais ne peuvent être protégées qu’à condition qu’un pays bénéficie d’une bonne gouvernance : une gouvernance responsable, transparente et clairvoyante et des dirigeants qui gèrent les ressources naturelles dans l’intérêt de tous…

Dans de nombreux pays, la plus grande menace qui plane sur les ressources naturelles vient des élites au pouvoir, qui se servent de leur pouvoir politique et de leurs privilèges pour s’approprier ces ressources ou les attribuer à leurs amis, à leurs partisans et aux membres de leur tribu. Ces dirigeants facilitent également l’exploitation de ces mêmes ressources par des intervenants extérieurs, si bien que les pays africains riches en ressources naturelles enrichissent des étrangers au lieu de leurs propres citoyens…

Face à la menace du changement climatique, bon nombre des pays développés se serviront de leurs technologies, de leur inventivité et de leurs connaissances pour atténuer les effets du changement climatique. Nombre d’entre eux procèdent déjà à des changements politiques, économiques, sociaux et législatifs dans ce sens.

En Afrique, on nous dit que la région sera touchée de façon disproportionnée car elle produit très peu de gaz à effet de serre et subira un énorme impact négatif… Le changement climatique aura sans aucun doute pour effet d’exacerber la situation, mais nous nous mettons nous-mêmes dans une situation de grande vulnérabilité en continuant à négliger notre environnement…

Quelle que soit l’issue de Copenhague, il est important que nous, les Africains, soyons responsables de notre destin. N’attendons donc pas que d’autres régions viennent nous sauver des effets négatifs du changement climatique.

Nous ne devons pas seulement nous intéresser à l’argent que les pays développés fourniront et aux technologies qu’ils souhaiteront peut-être transférer. Nous risquons de ne pas bénéficier de ces fonds ou de ne pas acheter ces technologies si nous n’y sommes pas prêts…

Il est donc de la plus haute importance que l’Afrique se prépare à mettre en oeuvre les mesures nécessaires. C’est très certainement aux dirigeants africains et à leurs citoyens qu’incombe la responsabilité de sauver l’Afrique pour l’Afrique.

Réduire les émissions sans retarder le développement

Jacob Zuma Photo: UN / Mark Garten

Discours prononcé par Jacob Zuma, Président de l’Afrique du Sud, au sommet de Copenhague le 18 décembre

Le changement climatique est une question concrète pour les pays en développement, notamment l’Afrique. Pour des pays comme l’Afrique du Sud, les phénomènes climatiques ont déjà eu des conséquences dévastatrices pour les habitants des provinces côtières ; ce problème est donc une réalité à laquelle nous faisons déjà face…

Certains faits sont déjà bien connus. Les pays développés sont responsables de 80 % des émissions actuelles dans l’atmosphère. Ce sont les pays en développement qui sont le plus touchés par le changement climatique. À mesure qu’ils poursuivent leur développement, leurs émissions devraient s’accroître.

À long terme, nous avons besoin d’un accord qui établisse les responsabilités communes de tous les pays en matière de réduction d’émissions, sans retarder le développement des pays en développement. Nous estimons que tous les pays développés doivent s’engager à atteindre des objectifs ambitieux et juridiquement contraignants en matière de réduction d’émissions… Les pays en développement devraient s’engager à prendre des mesures d’atténuation adaptées à leur situation afin de produire moins d’émissions.

Les pays en développement sont disposés à assumer leurs responsabilités en vue de réduire les émissions mondiales, mais les pays riches doivent évidemment montrer l’exemple. C’est ainsi qu’avec l’appui financier et technique de pays développés, l’Afrique du Sud sera en mesure de réduire les émissions de 34 % d’ici à 2020 et de 42 % d’ici à 2025.

‘Définir une nouvelle voie vers le développement durable’

John Atta Mills Photo: ONU / Marco Castro

Allocution de John Atta Mills, Président du Ghana, prononcée le 17 décembre au Sommet de Copenhague.

Bien que nos émissions soient actuellement négligeables, le Ghana poursuivra un mode de développement produisant peu de carbone. Ma délégation est venue ici pour partager des idées, échanger des points de vue et relever l’un des plus grands défis politiques de ce siècle et définir une nouvelle voie vers le développement durable…

On a suffisamment dit que le changement climatique risquait de faire retomber de nombreux pays en développement dans le piège de la pauvreté et [d’annuler] les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement. Du fait de la nécessité de s’adapter au changement climatique, le développement sera beaucoup plus coûteux.

Les faibles moyens dont dispose l’Afrique pour s’adapter à ces nouvelles difficultés ne font qu’exacerber sa vulnérabilité. Pour le Ghana, la lutte contre le changement climatique et l’action en faveur du développement  sont donc indissociables…

Pour l’instant, les objectifs annoncés de réduction à moyen terme d’émissions, notamment par les pays développés, ne semblent pas suffisamment ambitieux pour nous aider à atteindre les objectifs à long terme et sauver notre planète.

Le Ghana contribue plus à la réduction qu’à la production des [gaz] à effet de serre car [ses] forêts emmagasinent du carbone. Réduire la dégradation des forêts et les conserver et les gérer de manière durable peut rapidement et considérablement permettre d’atténuer les émissions. Cependant, les pays en développement souhaitent surtout que ces mesures d’atténuation ne les privent pas des fonds dont ils ont tant besoin pour réduire la pauvreté et favoriser la croissance économique.

‘Le changement climatique est une menace pour la dignité humaine’

James Alix Michel Photo: ONU / Joshua Kristal

James Alix Michel, Président des Seychelles, dans un message du 23 septembre.

Pour les petites îles, le changement climatique met en question notre existence même. Il met en question notre droit fondamental à vivre et à travailler sur la terre où nous sommes nés. Nous devons agir maintenant pour faire en sorte que nos îles soient aussi la terre de nos enfants.

Des millions de personnes du monde entier vivent au bord du gouffre. Des études récentes montrent que, avec les taux de réchauffement actuels, le niveau de la mer montera de plus de 1,4 mètre en moins de 100 ans. Les émissions continuent d’augmenter, et le réchauffement de s’accélérer – et si nous ne faisons rien, ces 100 ans se transformeront facilement en 50 ans. Les habitants des îles risquent d’être déplacés de force et de voir leurs économies déjà fragiles détruites.

Le changement climatique constitue une menace pour la notion même de dignité humaine. Pour les petites îles et les pays les moins avancés, Copenhague est une question de survie. …

Je saisis cette occasion pour demander aux pays développés de se servir des technologies avancées dont ils disposent pour montrer l’exemple en matière de réduction d’émissions. La réduction d’émissions aura un coût. Mais veillons à ce que ce coût soit partagé. Si rien n’est fait, ce seront les agriculteurs pauvres d’Afrique et les pêcheurs de nos îles qui assumeront la plus grande partie de ce coût. Il sera nettement moins coûteux de réduire le changement climatique que de continuer sur la voie dans laquelle nous sommes actuellement coincés.

‘Changement climatique : commençons par chez nous‘

Éditorial du 19 octobre de The East African, un hebdomadaire de Nairobi (Kenya), intitulé ‘Changement climatique : commençons par chez nous’.

La multitude de réunions sur le changement climatique … à l’approche du sommet mondial qui aura lieu à Copenhague en décembre montre à quel point le sujet est source de controverses et de divisions. Le principal sujet de discorde est lié au sentiment qu’ont les pays en développement que leurs homologues occidentaux leur font subir, par leur production excessive de gaz à effet de serre, les conséquences dévastatrices du problème.

C’est ce sentiment d’être victime qui conduit ces pays … à exiger que les États les plus riches versent ce qui s’apparenterait à un dédommagement… Si ces revendications sont compréhensibles, il faut par ailleurs, comme l’a signalé le Premier Ministre kényan Raila Odinga, que les pays pauvres adoptent des politiques de plus grande portée qui ne se limitent pas à l’appui ou au dédommagement des donateurs.

Il serait particulièrement prudent d’adopter de telles politiques car rien ne prouve que les pays plus riches, dont beaucoup sont actuellement en phase de récession économique, accepteront de verser des dédommagements…

Les pays pauvres doivent donc s’efforcer parallèlement de mettre en place des programmes conçus sur place pour atténuer les effets du réchauffement planétaire. Ces programmes devraient comprendre des innovations, comme l’échange de crédits carbone dans les secteurs public et privé, ainsi que des investissements dans le domaine de l’énergie renouvelable.

Alors qu’ils se préparent au sommet de Copenhague, les pays pauvres doivent comprendre qu’il est préférable de mettre au point localement des programmes durables d’atténuation du réchauffement planétaire plutôt que de réclamer des dédommagements, qui s’apparentent à attendre Godot.

‘Nous pouvons inverser le cours des choses’

Desmond TutuPhoto: ONU / Jean-Marc Ferré

Desmond Tutu, ancien archevêque de l’église anglicane du Cap (Afrique du Sud) et lauréat en 1984  du Prix Nobel de la paix, dans une tribune libre publiée fin octobre dans de grands journaux du monde entier.

Il y a quelques années encore, la plupart des pays en développement considéraient le changement climatique comme un problème de plus auquel ils pourraient s’adapter, avec suffisamment d’aide. Mais après la fonte spectaculaire des glaces de l’océan arctique pendant l’été 2007, les climatologues ont commencé à réviser leurs prévisions – la terre réagissait plus violemment que prévu même face à de faibles augmentations de température.

Il est apparu clairement que la survie même de nombreux pays était en jeu… La sécheresse actuelle que connaît le Kenya nous donne une idée précise des conséquences que les changements climatiques incontrôlés risquent d’avoir sur le continent africain…

Normalement, les porte-parole de pays comme l’Éthiopie, les Maldives et le Kenya sont relégués à l’arrière-plan lors des réunions internationales. Mais ce sera peut-être différent cette fois car un énorme mouvement né de la société civile et déterminé à faire adopter des objectifs climatiques justes, équitables et scientifiques, prend de l’ampleur dans le monde…

Des individus de quasiment tous les pays de la terre y participent – c’est le même type de coalition qui a contribué à faire connaître le mot «  apartheid » dans le monde entier.

Je demande à tous ceux qui, de par le monde, se soucient de l’Afrique, d’apporter leur appui à l’équité sur le plan climatique… en organisant une action de sensibilisation ou en y participant, là où ils vivent. C’est l’occasion pour nous d’agir en tant que citoyens du monde et non en tant qu’individus isolés. C’est l’occasion pour les dirigeants du monde entier d’écouter les voix de la conscience et non ceux qui ne parlent que des marchés financiers. En Afrique du Sud, nous avons montré qu’il est possible d’inverser le cours des choses ; demain nous aurons la possibilité de commencer à endiguer le changement climatique.