Le "mécanisme d'évaluation intra-africaine" est là

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Le "mécanisme d'évaluation intra-africaine" est là

Désormais, les donateurs n'octroieront leur aide qu'aux pays y participant
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 

L'un des éléments les plus attendus -- et les plus controversés -- du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) est un mécanisme "d'évaluation intra-africaine" visant à améliorer les pratiques dans le domaine des droits de l'homme, de la gestion économique, du règlement des conflits et de l'exercice du pouvoir démocratique sur le continent. Alors que les dirigeants africains débattent de la structure et du pouvoir d'action de ce mécanisme d'évaluation, certains pays donateurs continuent à faire pression en vue d'influencer la forme qui lui sera donnée.

Le projet de mise en place d'un mécanisme d'évaluation a d'abord été proposé en 2001, alors que la création du NEPAD en était à ses débuts. Mais ce n'est qu'en juin 2002 que le mécanisme a été défini dans ses grandes lignes, avant d'être approuvé le mois suivant lors du lancement de l'Union africaine (UA). Début novembre, douze premiers pays africains s'étaient engagés à y participer. Le Comité de mise en oeuvre du NEPAD, constitué de 20 chefs d'Etat africains, espère avoir achevé à la fin du mois de février 2003 ses travaux sur le mécanisme d'évaluation.

L'objectif du mécanisme est de faire en sorte que les dirigeants africains soumettent l'action de leur gouvernement à l'examen constant d'autres Africains, dans des domaines aussi prioritaires que la paix et la sécurité, la démocratie et la gouvernance politique et la gestion de l'économie et des entreprises. C'est à la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (CEA) qu'incombe en premier lieu la responsabilité de définir des indicateurs qui puissent servir à évaluer le respect de telles normes par les gouvernements.

Innovation et incertitude

Comme les partisans du NEPAD l'ont fait valoir, le mécanisme constitue une innovation. Ni l'Union européenne ni l'Organisation de coopération et de développement économiques n'ont essayé de mettre en place un procédé d'évaluation politique mutuelle.

En Afrique, de nombreuses incertitudes subsistent, parmi les défenseurs des droits de l'homme qui estiment que le processus est trop restreint et parmi les dirigeants qui préféreraient éviter de faire l'objet d'un examen trop approfondi. Beaucoup redoutent également que les pays donateurs ne fassent de la participation -- ou de la non participation -- à ce mécanisme un critère d'octroi de l'aide.

Le Ministre canadien du commerce, Pierre Pettigrew, a exacerbé ces inquiétudes en déclarant le 19 novembre, lors d'une visite à Johannesburg, que les pays qui ne s'associeraient pas au mécanisme d'évaluation risquaient de recevoir moins d'aide de la part du Groupe des huit (G-8) pays industrialisés. D'après M. Pettigrew, les 6 milliards de dollars supplémentaires d'aide annuelle que les dirigeants des pays du G-8 se sont engagés à verser aux pays africains dans les années à venir "sont subordonnés à tous les éléments du NEPAD, parmi lesquels figurent la bonne gouvernance et l'évaluation intra-africaine".

Autosurveillance volontaire

Comme l'a décidé le Comité de mise en oeuvre du NEPAD, le mécanisme d'évaluation sera un mécanisme "d'autosurveillance" non obligatoire, ouvert à tous les Etats membres de l'UA. L'objectif est de promouvoir l'adoption de politiques, de normes et de pratiques propices à la stabilité politique, à la croissance économique, au développement durable et à l'intégration régionale. Un comité d'éminents Africains "d'une haute stature morale et ayant prouvé leur dévouement aux idéaux du panafricanisme" sera nominé par les pays participants et nommé par les chefs d'Etat respectifs. Ce comité bénéficiera du soutien administratif d'un secrétariat qui pourra faire appel aux services d'institutions et d'experts africains.

Lorsqu'un pays demandera à participer au mécanisme d'évaluation, le secrétariat préparera une première analyse documentaire et enverra dans le pays en question une équipe qui rencontrera des membres du gouvernement, des partis politiques, des parlementaires et des représentants des médias et de la société civile. Le gouvernement aura la possibilité de donner suite au rapport de l'équipe, qui sera ensuite présenté aux chefs d'Etat africains et aux principales institutions régionales, comme les organes politiques de l'UA et de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. D'autres études seront menées périodiquement, dans un intervalle de deux à quatre ans, ou plus tôt s'il y a lieu de redouter une crise politique ou économique imminente.

D'après la description du mécanisme d'évaluation, si un gouvernement fait preuve "d'une volonté manifeste" de remédier aux lacunes recensées, d'autres gouvernements africains seront priés de l'aider à y parvenir, et des appels seront lancés aux donateurs en vue d'obtenir une assistance spécifique. Mais en l'absence de toute volonté, les gouvernements africains participant au mécanisme devront "ouvrir un dialogue constructif". Si le dialogue n'aboutit pas, d'autres chefs d'Etat pourront "prévenir le gouvernement en question de leur intention collective de prendre les mesures qui s'imposent".

Empressement des uns, prudence des autres

Le Ghana et l'Ouganda ont été les premiers pays à demander à participer au mécanisme d'évaluation lors de la réunion des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique organisée par la CEA à Johannesburg les 19 et 20 octobre derniers. Quelques semaines plus tard, au cours d'une réunion du Comité de mise en oeuvre du NEPAD tenue à Abuja (Nigéria), 10 autres pays, dont le Nigéria et l'Afrique du Sud, ont officiellement demandé à se joindre au mécanisme. Des représentants de plusieurs autres pays se sont déclarés intéressés, tout en indiquant que leur gouvernement n'avait pas encore pris de décision officielle à ce sujet.

Lors de la réunion ministérielle de Johannesburg, le Ministre sud-africain des finances Trevor Manuel a salué les premiers pays qui s'étaient portés volontaires. Il a également constaté à cette occasion que d'autres pays africains "étaient sceptiques quant à ce mécanisme d'évaluation".

Mme Ellen Johnson Sirleaf, ancienne Directrice du Bureau régional pour l'Afrique du Programme des Nations Unies pour le développement et candidate aux élections présidentielles de 1998 au Libéria, a rappelé que certains pays craignaient que le mécanisme d'évaluation ne porte atteinte à la souveraineté nationale en permettant à des étrangers de juger les prérogatives d'un pays. "Je ne vois pas ce qui pourrait justifier cette inquiétude, a-t-elle dit, car nous ne faisons que passer en revue les progrès réalisés et les résultats des principes que nous nous sommes au préalable engagés à respecter."

D'autres, a-t-elle expliqué, "redoutent que ce mécanisme serve aux partenaires [de développement non africains] à punir ceux qui n'y participent pas, en leur retirant toute assistance. A mon avis, en réalité, ils peuvent déjà le faire sous de nombreux autres prétextes". Parallèlement au mécanisme d'évaluation, a-t-elle ajouté, la CEA devrait aussi définir des indicateurs permettant d'analyser les pratiques des donateurs "afin d'évaluer les performances de nos partenaires du NEPAD, et plus précisément le niveau et les délais de l'aide octroyée".

Certains militants africains des droits de l'homme ont également critiqué le mécanisme d'évaluation pour d'autres raisons. L'un de ses points faibles, estime M. Peter Takirambudde, directeur général de la Division africaine de Human Rights Watch, tient au fait qu'il n'est pas obligatoire d'y participer et que, dans le cas des pays qui n'y participent pas, les conséquences sur le plan politique ne sont pas clairement définies. M. Takirambudde s'inquiète également des "différents degrés de développement" qui, d'après la description du mécanisme, seront pris en compte lors des évaluations. Ce mécanisme ne "devrait en aucun cas accepter différents niveaux de bonne gouvernance, de respect des droits de l'homme et de démocratie". Mais, si ce mécanisme est mis en oeuvre comme il se doit, conclut M. Takirambudde, ce sera "un progrès sans précédent en matière d'intégration africaine, de démocratie et de droits de l'homme".

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