« En 10 ans d’existence, le NEPAD a réussi beaucoup de choses »

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« En 10 ans d’existence, le NEPAD a réussi beaucoup de choses »

Ibrahim Mayaki, Secrétaire exécutif de l'Agence du NEPAD
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
Africa Renewal / John Gillespie
Ibrahim Assane Mayaki, CEO of the NEPAD Planning and Coordinating AgencyIbrahim Assane Mayaki, Secrétaire exécutif de l’Agence du NEPAD lors de la semaine d’activités organisées à New York pour marquer les 10 ans du plan.
Photo : Afrique Renouveau / John Gillespie

En juillet 2001, les dirigeants africains adoptent la feuille de route pour le développement du continent, plus connue sous son appellation officielle : le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). En septembre 2002, une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies en fait le canal principal du soutien de l'ONU à l'Afrique. Dix ans après son adoption, alors que le NEPAD fait désormais partie des structures de l'UA avec la création au sein de l'Union Africaine en janvier 2010 de l'Agence du NEPAD, quel est le chemin parcouru dans sa mise en œuvre ? Dans cet entretien franc et direct, Ibrahim Assane Mayaki, le Secrétaire exécutif de l'Agence du NEPAD, répond sans détour à André-Michel Essoungou d’Afrique Renouveau.

Dix ans après l’adoption du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), quel bilan en faites-vous ?

Le bilan du NEPAD peut s’illustrer en trois points majeurs : en premier lieu, le NEPAD constitue la seule initiative continentale de développement. Elle existe et dure depuis 10 ans, avec des résultants probants dans des domaines comme la science et la technologie, l’agriculture et les infrastructures. De plus, au terme de ces dix ans, elle vient d’être renouvelée en tant qu’initiative par son intégration au sein des structures de l’Union Africaine (UA), comme agence de développement. Je ne connais pas beaucoup d’initiatives africaines qui non seulement durent depuis dix ans, mais en plus qui existent désormais dans un cadre formel, institutionnalisé avec un mandat qui porte sur les questions de mise en œuvre.

Le deuxième point c’est que le NEPAD est directement à l’origine des stratégies de développement les plus importantes dans des secteurs prioritaires comme l’agriculture (avec le CAADAP) ou les infrastructures (avec le PIDA). Le fait que l’ensemble des pays africains s’efforce d’appliquer les normes et les règles de ces deux stratégies continentales est un succès considérable.

Le troisième point, moins connu et pourtant fait des envieux en Europe et dans d’autres régions du monde, c’est le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs. C’est une approche originale qui vise à faire le bilan de la gouvernance (économique, politique…) dans des pays qui se portent volontaires. Lors de ce processus, un groupe indépendant d’experts effectue un diagnostic franc et objectif du pays et ses conclusions sont partagées avec les pairs du président dont le pays a été examiné. C’est une expérience unique au monde. A ce jour, 23 pays se sont portés volontaires. Donc le NEPAD, sur ces trois points notamment, a eu une mise en œuvre visible.

Et pourtant nombreux sont ceux qui, en Afrique notamment, se demandent ce que fait le NEPAD et à quoi il sert ?

Bien souvent, le problème c’est que de nombreux Africains passent leur temps à répéter ce que véhiculent les médias occidentaux sur le continent et sur nous. Il leur faudra du temps pour se déconnecter de cette mentalité de type colonial. Il est évident que lorsque vous observez la couverture de l’Afrique par une chaine importante comme CNN, ce qu’on en retient c’est que l’Afrique est un continent de misère, gouverné par des gens incompétents, extrêmement corrompus et qui n’ont absolument aucune idée de l’intérêt général. Et beaucoup parmi nous Africains, répétons ce que disent CNN et d’autres, sans le recul et l’analyse nécessaires. Nous donnons l’impression de nous complaire dans une sorte d’auto-dénigrement. Nulle part, sur aucun autre continent, une telle attitude n’est aussi courante. Ailleurs dans le monde, en Amérique latine, en Europe ou en Asie, les gens font la part des choses. Ils ne se dénigrent pas de manière systématique. De sorte qu’il est étonnamment rare d’entendre l’élite africaine et les Africains en général tenir un propos positif sur l’Afrique. Nous ne dirons pas l’intégration africaine avance grâce notamment aux efforts de l’Union Africaine, nous dirons plus souvent que cette organisation continentale ne sert à rien parce qu’elle n’a pas pu réaliser telle ou telle chose.

Malheureusement, cet auto-dénigrement est négatif. Nous ne pouvons pas nous permettre de transmettre une image perpétuellement négative de l’Afrique à nos enfants. Il faut relativiser. Un pays comme le Rwanda a fait des progrès considérables et il a réduit sa dépendance à l’aide extérieure. Le Cap-Vert est devenu un pays à revenu intermédiaire en mobilisant ses propres ressources. Le Kenya fait des progrès considérable sur le plan de la gouvernance ; si l’on en juge notamment par le processus d'adoption de leur nouvelle Constitution. Le Botswana refuse l’aide étrangère. Et beaucoup d’autres suivent la même voie…

Il reste que, pour revenir au NEPAD, ce plan reste de l’avis de nombreux Africains, une abstraction. Pourquoi ?

Le NEPAD reste une abstraction parce que les gens ne savent pas ce qu’il a réalisé, puisque ce qui a été fait n’a pas été communiqué. Ce qui renvoie au problème plus général de l’information sur l’Afrique. Quel que soient les efforts consentis pour réaliser des choses positives, la masse de l'information négative produite par les médias occidentaux rend difficile le passage d’idées positives. C’est bien là, la question de fond…

Si vous consultez une de nos récentes publications, consacrées justement aux réalisations du NEPAD depuis dix ans, vous remarquerez que nous avons réussi de nombreuses choses dans les domaines que j’évoquais tout à l’heure par exemple et bien d’autres. (Voir page 16). Tout ceci est peu connu tant à cause de cette vague d’informations négative dont le NEPAD et d’autres acteurs africains sont victimes, qu’à cause du penchant à l’auto-dénigrement chez beaucoup d’entre nous.

Dans un tel contexte, il nous faut déployer les stratégies les plus adaptées pour mieux faire connaitre ce que nous faisons. C’est notre défi à nous.

Concrètement, prenons deux enjeux de l’heure : la famine dans la Corne de l’Afrique et les alternances politiques bloquées qui parfois mènent aux révolutions comme en Afrique du Nord. Face à ces deux défis, quelles sont les solutions du NEPAD ?

Sur la question des alternances et de la démocratisation, une précision s’impose pour commencer : le nombre de pays africains qui organisent des élections démocratiques a augmenté de manière considérable au cours des 15 dernières années. Seuls sept pays connaissent de très sérieux problèmes en matière de gouvernance, sur un total de 54 pays. Malheureusement, il est plus souvent question des sept moutons noirs que des 40 relatives réussites.

À propos de la famine qui menace dans la Corne de l’Afrique et plus généralement sur la question de l’insécurité alimentaire sur le continent, il convient de rappeler que la plupart de nos pays ont vu leur population multipliée par cinq au cours des 50 dernières années. Et la plupart de nos pays ont réussi à atteindre des niveaux de production agricole supérieurs à ce qu’ils étaient il y a vingt ans. Certes il y a des problèmes de famines. Mais une fois encore, si vous prenez les 54 pays du continent, moins d’une dizaine sont touchés.

Plus important encore, depuis six ans, les investissements dans le secteur agricole augmentent. Il y a beaucoup de chemin à faire, tant sur le plan des politiques, des ressources allouées, de la participation des producteurs… Mais nous sommes sur la bonne voie.

NEPAD's Richard MkandawireChemin de fer en Angola. Le NEPAD encourage la construction de meilleures infrastructures de transport notamment en vue de faciliter le commerce et une plus grande intégration des économies africaines.
Photo : Alamy Images / Zute Lightfoot

Beaucoup, en vous écoutant, seraient tentés de dire que vous êtres trop optimiste. Que répondez-vous ?

Je suis réaliste. Je n’essaie pas de forcer le trait. Je constate simplement que cette vision réaliste des questions africaines ne passe pas. On essaie de nous imposer une autre vision. Tout se passe comme si on essaie de maintenir les Africains dans une mentalité de marginalisation.

L’Afrique a deux avantages considérables : d’abord la plus forte intensité de ressources naturelles dans le monde et la population la plus jeune du monde. Donc, c’est manifestement le continent du futur. Et si on ne veut pas que ce continent joue son rôle, il faut inculquer à ses élites qu’elles sont incompétentes, corrompues et qu’elles sèment la misère. Ce qui n’est évidemment pas le cas.

Une dernière question, sur les orientations idéologiques du NEPAD. Plusieurs analystes notent qu’il est davantage d’inspiration capitaliste libérale et même néolibérale. Or, le capitalisme a été un formidable outil de production de la richesse, mais il est aussi générateur de grandes inégalités. Richesse et pauvreté, est-ce le chemin sur lequel le NEPAD mène le continent ?

Cette question, cette affirmation je l’entends souvent, mais elle n’est pas du tout justifiée, mais alors absolument pas justifiée. Tout part de ce que, lorsque la minorité active de dirigeants dont je parlais tout à l’heure a poussé à la création du NEPAD, elle a voulu que le programme soit reconnu par les pays les plus industrialisés du monde (réunis au sein du G7, puis du G8). Ce qui a entraîné un brouillage sur le plan de la communication. Beaucoup ont estimé que parce que le NEPAD était accepté par le G8, il était d’inspiration néolibérale. Depuis lors, cette accusation, lui colle à la peau pour ainsi dire.

Mais je le dis tout net : le NEPAD n’est pas un projet néolibéral. Ce programme soutient par exemple que pour développer l’agriculture africaine, il faut mettre en place des marchés régionaux et qu’il faut que ces marchés soient protégés. Nous revendiquons donc des dimensions économiques comme le protectionnisme. En outre, le NEPAD dit encore qu’en vue de son développement, l’Afrique doit réintroduire la notion de planification. Ce qui n’est pas très néolibéral. Ajoutons à cela que le NEPAD estime que le libre marché a fait la preuve de ses limites et qu’il faut réinventer, en Afrique, un État de dévelopement. Ce qui, convenons-en, n’a rien à voir avec le néolibéralisme.

Le NEPAD commémore ses 10 ans à New York

Outre divers projets et programmes mis en oeuvre sur le continent, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) vise également à renouveler la capacité de « réflexion stratégique » des pays africains. Cette capacité a été gravement affaiblie par de longues années de déclin économique et d’austérité, a déclaré le Secrétaire exécutif du NEPAD, Ibrahim Mayaki, lors d’un débat de haut-niveau organisé à New York le 7 octobre dernier. Parmi les autres intervenants de cet échange consacré à l’examen du chemin parcouru par le NEPAD depuis son adoption, on comptait le Secrétaire général adjoint et Conseiller spécial de l’ONU pour l'Afrique, Cheick Sidi Diarra ; la Vice-Secrétaire générale de l’ONU, Asha Rose Migiro ; Amos Sawyer, membre du Groupe de personnalités éminentes du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs et Amos Namanga Ngongi, Président de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique.

Cette table ronde s’inscrivait dans le cadre d’une série d’activités et de rencontres organisées à l’occasion des dix ans du NEPAD. Des réunions d’information spéciales ont également eu lieu à l’intention des ambassadeurs africains et des organismes des Nations Unies. Dans le même intervalle, l’Assemblée générale des Nations Unies a examiné deux rapports du Secrétaire général sur le NEPAD et les causes de conflit. Enfin, M. Mayaki a participé à une conférence commémorative à l’Université Columbia, sur le thème des changements survenus en Afrique au cours de la décennie écoulée.