Les femmes, la paix et la sécurité

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Les femmes, la paix et la sécurité

15 ans d’application en Afrique de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies
Zipporah Musau
Afrique Renouveau: 
A rally in Lagos, Nigeria to mark 500 days of the abduction of Chibok girls. Photo: AMO/Ademola Akinlabi
Photo: AMO/Ademola Akinlabi
Une manifestation marquant les 500 jours de captivité des filles de Chibok. Photo: AMO/Ademola Akinlabi

Alors que les conflits et les crises en Afrique gagnaient en complexité  ces dernières années, on a pu observer une recrudescence des violences faites aux femmes et aux filles. L’enlèvement, par des militants de Boko Haram, de 200 lycéennes à Chibok dans le nord du Nigéria en avril 2014 reste un tragique cas d’école du traitement réservé aux femmes sur le continent, tout comme le sont les exemples de violence sexuelle utilisée comme arme de guerre notamment au Cameroun, au Tchad, en République démocratique du Congo (RDC), au  Soudan du Sud et au Soudan.

Les femmes et les filles sont particulièrement ciblées par les terroristes et les groupes extrémistes, qui procèdent à des enlèvements et les utilisent comme kamikazes ou esclaves sexuelles. Les femmes en général détestent la guerre, mais leur corps est devenu un nouveau champ de bataille. Pire encore, ainsi que le rappelle Mme Zainab Hawa Bangura, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies chargée de la question des violences sexuelles commises en période de  conflit, on ne les consulte pas sur les questions de paix ou de construction de la nation. 

En Afrique, les femmes jouent un rôle important de gardiennes de la culture ou  d’éducatrices auprès de leurs familles. Mais en période de conflit, elles ne sont pas représentées à la table des négociations ni dans les efforts de reconstruction de la société. Selon ONU-Femmes, l’entité des Nations Unies qui favorise l’autonomisation de la femme et l’égalité des sexes, moins de 10%  des négociateurs de paix dans  le monde et  3% à peine des signataires d’ accords de paix sont des femmes.

De nombreux experts estiment que le fait pour les communautés de ne pas associer  les femmes aux  initiatives de paix et de sécurité les empêche souvent d’établir une paix durable. Il est fréquent en période de conflit que les vulnérabilités ou les besoins particuliers des femmes  soient passés sous silence lors des négociations, ce qui a pour effet de limiter l’efficacité des accords de paix et de sécurité ou de l’action  humanitaire. 

Il y a quinze ans, la communauté internationale a reconnu qu’il importait que les femmes participent à la création de conditions favorables à une paix durable. Le 31 octobre 2000, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité – un texte historique qui reconnaît le rôle décisif des femmes dans la prévention et le règlement des conflits, les négociations de paix, la participation aux opérations de maintien de la paix, à l’action  humanitaire et aux efforts de consolidation de la paix après les conflits.

La résolution plaide entre autres pour une pleine participation des femmes à tous les efforts  visant à maintenir la  paix et la sécurité. Elle demande à l’ONU de solliciter les points de vue sur la question de l’équité entre les sexes et d’en tenir compte, de façon à accroître le rôle des femmes dans toutes les activités de maintien de la paix et de la sécurité. Elle demande aussi aux parties aux conflits armés de prendre des mesures particulières pour protéger les femmes et les jeunes filles contre les actes de violence sexiste, en particulier le viol et les autres formes de sévices sexuels. 

Malgré ces exigences, ONU-Femmes estime que le pourcentage de femmes qui participent aux pourparlers de paix a stagné et n’a même jamais atteint 10% depuis l’adoption de la résolution. L’impact de cette situation sur la vie des femmes a été dévastateur : plus de la moitié des décès maternels se produisent dans les zones de conflits ou dans les pays les plus fragiles près de la moitié des enfants d’âge primaire non scolarisés  vivent dans des zones de conflits enfin, le taux d’inscription net des filles à l’école primaire est inférieur de 17 points au taux mondial. Dans ces zones de conflits, les risques de violence sexuelle, de mariage d’enfants et d’infection au VIH a augmenté depuis 2000.

ONU-Femmes demande une action d’urgence pour améliorer la participation des femmes aux questions de paix et de sécurité. « Cet anniversaire doit être l’occasion de faire en sorte que les paroles se traduisent en actes », explique Phumzile Mlambo-Ngcuka, la Directrice exécutive d’ONU-Femmes.

La résolution a été adoptée à la veille de la Journée internationale de la femme en 2000, à l’issue d’un débat émaillé de
« nombreuses tentatives d’obstruction » par certains membres du Conseil de sécurité, se souvient Anwarul Chowdhury,  ancien Représentant permanent du Bangladesh auprès des Nations Unies, qui était alors président du Conseil de sécurité .

Alors que l’on fêtait le quinzième anniversaire de la résolution en octobre dernier, le Secrétaire général des Nations Unies,  Ban Ki-moon, a lancé une étude mondiale sur la résolution 1325, pour déterminer les effets de cette dernière depuis son adoption. Selon cette étude intitulée  « Preventing Conflict, Transforming Justice, Securing the Peace, »

 la résolution a eu un impact considérable sur la participation des femmes dans tous les domaines liés à la paix et la sécurité. « J’ai souligné, à titre prioritaire, le rôle de premier plan que les  femmes doivent jouer dans la consolidation de la paix et j’ai demandé que 15%  des fonds destinés  à la consolidation de la paix soient consacrés à la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes, a déclaré le Secrétaire général lors du lancement du rapport. Nous avons fait des progrès mais il faut faire beaucoup plus, plus rapidement. »

Des réussites en Afrique

Plusieurs pays africains ont adopté la résolution 1325 et 16 États ont mis en place des plans d’action  nationaux. L’Union africaine (UA) a, elle aussi, fait des efforts notables pour intégrer des engagements relatifs aux femmes, à la paix et à la sécurité dans ses propres mesures de sécurité et de protection des droits de l’homme, et dans ses stratégies de réponse aux crises et de consolidation de la paix. L’UA forme les femmes à des postes comme ceux de médiateur de paix, d’observateur électoral ou de conseiller pour  l’égalité des sexes.

En janvier 2014, l’UA a pour la première fois nommé une Envoyée spéciale pour les femmes, la paix et la sécurité, Bineta Diop, qui a coordonné les efforts de mise en œuvre de la résolution 1325 sur le continent. Depuis sa nomination, Mme Diop a travaillé en étroite collaboration avec les Nations Unies et s’est rendue dans plusieurs zones de conflit en Afrique. En République centrafricaine, il existe d’ores et déjà un plan visant à allouer des fonds afin de soutenir la participation des femmes aux futures élections, à la réforme de l’état de droit et aux mécanismes de justice transitionnelle.

Dans le même temps, l’UA et les Nations Unies ont augmenté le nombre de soldats et agents de police féminins dans les opérations de maintien de la paix. Cette mesure a permis entre autres d’améliorer la déclaration à la police des agressions sexuelles. Les deux organisations ont aussi mis en place des unités de protection des civils victimes d’exactions. Des unités du même type, dont le but est d’aider les victimes de violences sexistes, existent aussi en Somalie et dans la région du Darfour au Soudan. Au Rwanda, au Libéria et en RDC, l’ONU offre aussi un soutien aux victimes de violences sexistes.  

Défis à relever

Malgré les remarquables efforts déployés sur le  terrain, les défis à relever en ce qui concerne les femmes, la paix et la sécurité restent nombreux pour le continent. Dix ans après l’adoption de la résolution 1325, la RDC a connu un conflit particulièrement brutal au cours duquel des centaines de femmes ont été violées. Horrifiée par l’ampleur du phénomène, Margot Wallström, qui était alors la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit  a qualifié  le pays de «  capitale mondiale du viol ». 

En outre, l’absence d’objectifs spécifiques assortis de délais clairs pour atteindre les buts fixés par la résolution a sans doute encore ralenti leur mise en œuvre, les pays n’étant pas tenus de rendre des comptes avant une date précise. Il n’a pas non plus été défini comment les pays assureraient le suivi et évalueraient les femmes et les initiatives de paix et de sécurité pour démontrer la réalité des progrès accomplis. « Les mécanismes de suivi par le Conseil de sécurité, ou par le biais d’une liste de pays qui n’auraient pas atteint les objectifs fixés par la résolution n’ont pas été mis en place », a ainsi expliqué en octobre dernier le vice-Premier ministre namibien Netumbo Nandi-Ndaitwah, pendant la Semaine de l’Afrique.

Où est l’argent ?

Malgré certains progrès, des lacunes restent à combler dans la mise en œuvre de la résolution 1325 en Afrique, en partie pour des questions d’argent. « Nous avons fait des progrès mais il faut faire beaucoup plus, plus rapidement », a indiqué Ban Ki-moon aux journalistes lors du lancement de l’étude mondiale réclamée par le Conseil de sécurité.

L’étude a relevé que l’insuffisance et l’imprévisibilité des financements, le manque de données objectives sur les questions d’égalité des sexes, mais aussi l’absence d’expertise technique sur ces questions, ou encore les obstacles liés aux attitudes de chacun et les insuffisances dans le recensement des besoins budgétaires et de planification, ont affecté sur le long terme l’efficacité des interventions pour la paix et la sécurité, tout comme celle des causes humanitaires et du développement. 

« La solution la plus immédiate est de partager plus équitablement les financements existants », explique Geraldine Fraser-Moleketi, l’Envoyée spéciale pour l’égalité des sexes de la Banque africaine de développement (BAD). Il est essentiel d’étendre le financement destiné aux femmes, à la paix et à la sécurité, pour que l’égalité des sexes ne soit pas vue comme un jeu à somme nulle. »  

La BAD a mis en place un fonds – le nouvel Instrument mondial d’accélération de l’action en faveur des femmes, de la paix et de la sécurité Global Acceleration Instrument for Women, Peace and Security (GAI-WPS) – qui offre un soutien rapide et flexible aux gouvernements et organisations qui répondent à des situations d’urgence. « Le GAI-WPS ambitionne de récolter 100 millions de dollars des Etats-Unis entre 2015 et 2020 » indique Geraldine Fraser. 

La voie à suivre 

De son côté, Bineta Diop encourage les pays concernés à mettre en place un plan d’action pour mettre en œuvre la résolution 1325. « Jusqu’à présent, seuls 16 pays ont adopté des plans d’action. Que font les autres ? » demande-t-elle, en ajoutant que le suivi et le contrôle de la mise en œuvre de la résolution n’est pas systématique, et en insistant sur la nécessité de rappeler régulièrement aux pays leurs engagements et de les responsabiliser.