Améliorer la santé maternelle en Afrique

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Améliorer la santé maternelle en Afrique

Des progrès, mais beaucoup de femmes et de bébés meurent encore lors de l’accouchement
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Trainee midwives demonstrating the childbirth process using a birth simulator in Kampala, Uganda.  Photo: UNFPA/Evelyn Kiapi
Photo: FNUAP/Evelyn Kiapi
Des sages-femmes en formation essaient le simulateur d’accouchement à Kampala, Ouganda. Photo: FNUAP/Evelyn Kiapi

Le 27 février 2013, Charlotte Mmowa, une fillette de quatre ans,  intente une action en justice contre les autorités sanitaires de la province sud-africaine de Limpopo, leur réclamant 1,1 million de rands (environ 100 000 dollars) en réparation du préjudice subi à sa naissance du fait du décès de sa mère. Après des mois de procédure, le tribunal finira par reconnaitre la négligence des infirmières et les médecins qui s’étaient occupés de l’accouchement et a accordé 547 000 rands (50 000 dollars) de réparation à Charlotte. 

En 2009, Matlou Mmowa, alors âgée de 24 ans, avait accouché de Charlotte sans délivrance du placenta – ce qui est anormal. Le placenta relie le fœtus et la paroi utérine et permet au bébé de se nourrir in utero. Matlou Mmowa avait saigné abondamment tandis que les médecins essayaient en vain de décoller manuellement le placenta. Selon les déclarations faites devant le tribunal de Limpopo, le personnel de santé avait demandé une transfusion sanguine dès 16 heures. À la mort de la patiente à 21 heures, les poches de sang n’étaient toujours pas arrivées et selon le gardien légal de l’enfant, cette défaillance prouve que Matlou Mmowa n’a pas reçu les soins appropriés à l’hôpital.

La négligence dont a fait preuve le personnel médical lors de la naissance de Charlotte et le caractère inédit de cette affaire ont suscité l’attention et l’indignation d’une grande partie de la population sud-africaine. Le personnel de l’hôpital de Limpopo a prétendu avoir fait tout son possible au regard des moyens disponibles, indiquant qu’il aurait peut-être sauvé la vie de la mère s’il n’avait pas à chercher le sang aussi loin.

Pauvreté et mortalité maternelle 

Une grande partie des décès maternels dans le monde surviennent en Afrique. En 2013, environ 289 000 femmes sont décédées pendant leur grossesse ou au cours de l’accouchement et 62 % de ces décès se sont produits en Afrique subsaharienne. C’est ce qui ressort du rapport conjoint de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), de la Banque mondiale et de la Division de la population de l’Organisation des Nations Unies sur les « Tendances de la mortalité maternelle sur la période 1990-2013 ». Le rapport ajoute qu’en 2013, le ratio de mortalité maternelle dans les pays en développement était de 230 femmes pour 100 000 naissances, contre 16 femmes pour 100 000 naissances dans les pays développés. Chaque année,  trois millions de nouveau-nés meurent  dans le monde, et 2,6 millions d’enfants sont mort-nés; plus de la moitié de ces chiffres concerne les enfants africains.  

Pour les experts, la pauvreté est un facteur important de mortalité maternelle, ce qui explique les taux de mortalité plus élevés dans les pays pauvres que dans les pays riches. « Pour les mères comme pour leurs enfants, le risque de mourir pendant ou peu après l’accouchement  est de 20 % à 50 % plus élevé pour le quintile le plus pauvre (…) que pour le quintile le plus riche », souligne un rapport de l’UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, au Tchad 1% seulement des femmes enceintes les plus pauvres reçoivent des soins prénatals, contre 48 % des femmes aisées. 

Selon l’OMS, les risques de complications pendant l’accouchement ou la grossesse sont très élevés pour les adolescentes de 15 à 19 ans. « La probabilité pour une fille de 15 ans de mourir à un moment ou à un autre de  causes  liées à la maternité est de 1  sur 3 700 dans les pays développés contre 1 sur 160 dans les pays en développement ». Dans de nombreux pays, les femmes sont nombreuses à devoir accoucher sans l’aide d’une infirmière ou d’un médecin.  

Les larmes d’une femme

A 17 ans, la libérienne Ellen David n’avait pas de quoi payer les frais d’un accouchement hospitalier à Monrovia. En octobre dernier, tard dans la nuit, ses contractions ont commencé. Mais les cliniques ne sont pas ouvertes la nuit et du fait du couvre-feu imposé à cause de l’épidémie d’Ebola, elle n’aurait de toute façon pas pu aller à l’hôpital, même si elle en avait eu les moyens. Tôt le matin, des voisines sans expérience l’ont donc aidée à accoucher à domicile. Sa joie d’avoir donné la vie a toutefois été de courte durée : l’enfant est mort quelques heures après sa naissance. À midi, entourée des membres de sa famille qui priaient en silence, Ellen David sanglotait devant la tombe de son enfant. 

« C’était une expérience extrêmement pénible », raconte Deddeh Howard, l’une des voisines d’Ellen David. « J’ose à peine imaginer le nombre d’enfants et de mères qui décèdent de cette façon ». En 2011, Deddeh Howard avait elle-même perdu un enfant juste après sa naissance. « C’est une douleur immense. C’est votre enfant, il vient de naître et vous voulez le serrer contre vous, mais il est déjà mort et vous ne voulez plus qu’une chose :  que la terre vous engloutisse. » Deddeh Howard est chargé de la responsabilité sociale d’entreprise chez Chevron au Libéria. L’entreprise aide Hope for Women – une organisation non gouvernementale locale œuvrant dans le domaine de la santé – à offrir des soins prénatals aux adolescentes libériennes. 

Mais pour le docteur Wilhelmina Jallah, directrice médicale de Hope for Women, les efforts déployés par Chevron, bien qu’importants, ne suffisent pas. « Beaucoup de jeunes filles essaient d’accoucher chez elles, mais si elles ont besoin de césariennes, comme c’est parfois le cas, les complications sont réelles », explique-t-elle à Afrique Renouveau.

« Des enfants qui donnent naissance à des enfants »

Avec 225 adolescentes pour 1 000 cas de grossesses, la République démocratique du Congo a le taux le plus élevé au monde pour ce type de grossesses, devant le Libéria (221) et le Niger (204). De fait, 75 % des filles au Niger se marient avant l’âge de 18 ans, le pourcentage le plus élevé au monde. Pour le docteur Geeta Rao Gupta, directrice générale adjointe de l’UNICEF, « en Afrique subsaharienne une jeune fille de 15 ans court un risque de 1/40 de décéder  pendant la  grossesse ou l’accouchement » alors que ce pourcentage est  de 1/ 3 300 en Europe. Deddeh Howard décrit ainsi le phénomène des grossesses adolescentes au Libéria : « On a là des enfants qui donnent naissance à des enfants. »  

Ces jeunes filles courent aussi un risque élevé de contracter la fistule obstétricale, un trouble médical grave qui a pour conséquence la formation d’une fissure entre le vagin et le rectum ou la vessie. Des dizaines de jeunes femmes sont hospitalisées au Libéria à cause de cette fistule. 

Selon l’OMS, les principales causes de décès maternels sont les hémorragies ou les infections après l’accouchement, l’hypertension pendant la grossesse, les avortements non médicalisés et les maladies associées, comme le paludisme et le VIH/sida. « Dans mon pays, un grand nombre d’hôpitaux ne disposent même pas de couveuses pour les bébés prématurés, ni  d’ocytocine pour arrêter  les hémorragies », affirme Deddeh Howard. En 2013, sur les 7 500 morts maternelles liées au sida dans le monde, 6 800 (91 %) se sont produites en Afrique subsaharienne. L’Afrique du Sud comptait à elle seule 41,4 % du total des morts maternelles dues au VIH, selon l’OMS.

La situation se complique quand les femmes ne peuvent prendre elles-mêmes les décisions qui s’imposent concernant leur santé. Au Mali, au Burkina Faso et au Nigéria, 70 % des femmes interrogées par l’UNICEF affirment n’avoir aucun moyen d’influer sur de telles décisions. En général, précise un rapport du FNUAP, 95 % des filles mariées de moins de 19 ans en Afrique subsaharienne « n’ont pas leur mot à dire en ce qui concerne l’accès aux contraceptifs et leur utilisation ». 

Des progrès en cours

Les experts s’accordent pour dire qu’il est relativement simple de prévenir les décès  maternels. « Toutes les femmes doivent pouvoir accéder aux soins prénatals pendant la grossesse, à des soins de qualité pendant l’accouchement, et à une prise en charge et un appui après la naissance », affirme l’UNICEF. Cela peut paraître simple mais ce n’est pas le cas. Ainsi, l’éloignement, la pauvreté et le manque d’information rendent l’accès aux soins impossible pour les femmes des régions
reculées d’Afrique. 

Il est vrai que la santé maternelle est une priorité des dirigeants africains. Ceux-ci se sont engagés à réaliser  l’Objectif 5 du Millénaire pour le développement, qui consiste à réduire de 75 % la mortalité maternelle d’ici à 2015. Un récent rapport du FNUAP fait état des progrès réalisés pour certains pays, tout en rappelant que d’autres sont encore loin du compte. 

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