Zimbabwe : transformations technologiques dans l’agriculture

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Zimbabwe : transformations technologiques dans l’agriculture

Les nouvelles technologies ont trouvé un nouveau terrain d’application
Afrique Renouveau: 
Photo: Panos/Piers Benatar
Une agricultrice s’informe des dernières tendances avant de décider s’il est temps de passer au récoltes. Photo: Panos/Piers Benatar

Charles Dhewa a toujours aimé écrire sur l’agriculture. En 2000, il devient éleveur et horticulteur au Zimbabwe. Il s’achète une exploitation à Marondera, petite ville située à environ une heure de la capitale Harare. Son expérience d’agriculteur lui permet d’en parler suffisamment bien pour être lu par d’autres agriculteurs.et il devient rapidement expert en communication auprès du Syndicat des agriculteurs du Zimbabwe.

Puis Charles Dhewa est engagé comme consultant pour le Crop Post Harvest Programme, une organisation financée par des Britanniques et pour le Fonds international de développement agricole, une agence de soutien aux petits agriculteurs. Pendant dix ans, il est aux premières loges des changements initiés par la téléphonie mobile. Il est un témoin privilégié de sa contribution à la communication dans le secteur agricole ainsi qu’au développement rural. C’est alors qu’il se demande pourquoi ne pas instituer une plateforme pour mettre en relation les agriculteurs, négociants, institutions financières, fournisseurs d’intrants et décideurs politiques du Zimbabwe ?

En 2012, eMkambo est lancé.  Il s’agit d’un service intégralement destiné à l’agriculture grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC). C’est une première au Zimbabwe. Ce service, dont le nom signifie « marché » en langue Ndebele, est une plateforme interactive de partage des connaissances agricoles.   

Auparavant, le développement technologique au Zimbabwe a été contrecarré par des considérations économiques et politiques. Mais grâce à une subvention de 140 000 dollars décernée en 2012 par Hivos, un donateur néerlandais, Charles Dhewa a pu disposer de capitaux pour créer une base de données contenant des numéros de téléphones portables d’agriculteurs, des surfaces cultivées et des matières premières qui y étaient produites. « Les agriculteurs avaient des téléphones portables, mais ne savaient où trouver l’information » explique-t-il. 

Ensuite il a fallu convaincre les trois opérateurs zimbabwéens de réseaux mobiles d’offrir des contenus sur l’agriculture. Selon Charles Dhewa  « les agriculteurs et les négociants zimbabwéens manquaient d’information et de connexion rapide avec d’autres acteurs de l’industrie ». Initialement méfiants, les opérateurs de réseaux mobiles ont finalement été convaincus par cette approche. Charles Dhewa était aussi déterminé à briser le mythe selon lequel faire des affaires dans l’agriculture était impossible. Son slogan est rapidement devenu « L’agriculture
paie . 

Le succès d’eMkambo ne s’est pas fait attendre. Près de 50 % de la masse territoriale du Zimbabwe consiste en zones d’exploitations agricoles communautaires, où réside 70 % de la population. Et selon les chiffres du Réseau régional intégré d’information, un service d’information humanitaire des Nations Unies, les petits agriculteurs travaillent sur des surfaces arables de deux hectares en moyenne.

Centre d’appel 

La plateforme eMkambo intègre les marchés physiques, les téléphones portables et les espaces virtuels du web au sein d’un même réseau de communication. La plateforme s’appuie sur les grands marchés agricoles informels des banlieues comme Mbare à Harare, Emalaleni à Bulwayao ou encore Sakubva à Mutare.  Illustration : Barbara Dongo, cultivatrice dans la Honde Valley, dans la province orientale du Manicaland, veut récolter ses tomates et les vendre à Mbare Musika, le plus grand marché informel d’Harare, à 300 km du lieu de production. Elle appelle eMkambo (environ 10 centimes de dollars la minute), pour connaître le prix d’un cageot de tomates et le nombre de négociants présents à Mbare Musika. 

Un employé d’eMkambo vérifie les prix et l’évolution du volume et lui donne rapidement la réponse : « Il y a surplus de tomates à Mbare, ce qui entraîne une chute des prix. » Barbara réalise que la chute des prix risque de se poursuivre et qu’il est fort probable qu’invendues, ses tomates pourrissent, ce qui entrainerait des pertes importantes en plus des coûts liés aux transports. Grâce à eMkambo, elle est vite informée d’une pénurie de tomates à Masvingo, une ville qui se trouve à 275 km de Hondo Valley. Elle est mise en relation avec un négociant du marché de Tafara à Masvingo qui propose de venir chercher ses tomates sur place. Tous deux fixent un prix et l’accord est conclu.

Dans un scénario de ce type, un agent d’eMkambo dans la Honde Valley se déplace jusqu’aux champs de Barbara Dongo superviser les opérations de récolte et d’emballage pendant que le négociant de Masvingo se présente et charge les produits. Pendant la transaction, Barbara Dongo et l’agent d’eMkambo continuent à communiquer par le biais de leurs téléphones portables.

Dans cet exemple, Barbara Dongo, le négociant et l’agent d’information utilisent des lignes téléphoniques enregistrées auprès d’eMkambo et des opérateurs de réseaux mobiles. Le revenu généré par le temps d’appel est partagé entre eMkambo et l’opérateur, en conformité avec l’accord passé entre les deux parties. « Cette transaction n’aurait pas été aussi aisée sans l’intermédiaire d’eMkambo, puisque le négociant de Masvingo et Mme Dongo ne se connaissaient pas », explique Charles Dhewa. 

De plus, eMkambo a développé un centre d’appel pour l’agriculture en réseau qui met en relation par téléphones portables au moins vingt marchés dans tout le Zimbabwe. Selon Charles Dhewa, le service est utilisé par quelques 100 000 partenaires. 

Réservoir d’informations

Le prochain projet de Charles Dhewa est de regrouper en un seul point d’accès toutes les informations aujourd’hui dispersées entre divers acteurs et institutions. Ce réservoir d’informations contiendra des données aussi différentes que le prix et le type de cultures, leur origine, ou encore les dates de péremption des matières premières périssables. « Réunir toutes ces informations en une seule et même source est une valeur ajoutée non négligeable qui permettra, pour ses différents utilisateurs, de faire preuve de créativité dans l’analyse de l’information et d’éliminer le gaspillage dans la commercialisation agricole. Cela devrait aussi permettre d’améliorer les revenus des petits agriculteurs et de certains autres acteurs de la filière », explique-t-il. 

La plateforme eMkambo démontre que les agriculteurs ont les moyens d’accéder aux nouvelles technologies, et qu’ils n’ont pas de difficulté à les comprendre. « Quand le besoin existe, les agriculteurs adoptent aisément les nouvelles technologies, poursuit Charles Dhewa. Quelle que soit l’opinion qu’on se fait d’eux, ce sont des entrepreneurs avant tout. »

Au départ certains agriculteurs ont hésité à adopter eMkambo. Les opérateurs de téléphonie mobile ont été lents à comprendre le service et les efforts techniques qu’il exigeait. Pour Charles Dhewa cependant, « notre force réside essentiellement dans le contenu… Beaucoup de contenus en Afrique doit encore trouver leur support numérique. »

Opportunités de développement

Pour Rangarirai Mberi du groupe de télécommunications Econet Wireless, son entreprise était prête a travailler  avec tous les développeurs d’innovations susceptibles d’aider le pays. Selon lui, il existe un immense potentiel pour les TIC dans l’agriculture. Econet Wireless totalise 5,6 millions d’abonnés qui représentent plus de 70 % du marché de la téléphonie mobile dans le pays. L’entreprise a enregistré des succès avec le système EcoCash qui permet, à l’instar du M-Pesa kényan, de transférer de l’argent via les portables. Rangarirai Mberi est convaincu que son entreprise peut s’imposer dans le secteur agricole 

Selon l’Autorité de régulation des Télécommunications et de la Poste du Zimbabwe, qui accorde les licences dans le secteur, le nombre d’abonnés au réseau mobile atteint 7,8 millions de personnes. Ce chiffre représente un potentiel d’expansion pour eMkambo. Pour Limbikani Makani, rédacteur-en-chef au magazine en ligne Technology Zimbabwe, eMkambo devrait attirer un grand nombre d’agriculteurs supplémentaires si la plateforme continue d’offrir des informations à la fois opportunes et fiables. 

La force de la plateforme tient essentiellement à la collecte et à l’analyse de données pour la prise de décisions et Charles Dhewa projette de coopérer avec le gouvernement. Selon lui, « ceux qui prennent les décisions politiques ont besoin des idées et de la créativité des entrepreneurs. Tout est possible au Zimbabwe si vous avez des idées, du recul, une vue d’ensemble. »

Dans le même temps, Charles Dhewa souhaite voir les institutions financières et les petites et moyennes entreprises interagir sur eMkambo. Il espère ainsi attirer un nombre croissant de jeunes vers l’agriculture. Certaines banques semblent prêtes à soutenir les négociants des grands marchés informels d’Harare, de Bulawayo et de Mutare, les trois plus grandes villes du Zimbabwe.

Grâce à l’information mobile, Charles Dhewa, les opérateurs de téléphonie mobile et les agriculteurs ont désormais une relation « gagnant-gagnant ». Charles Dhewa récolte les fruits de son initiative en termes de revenus et de reconnaissance. Les opérateurs de téléphonie mobile gagnent eux aussi de l’argent tout en contribuant au développement de la société. Pendant ce temps, la vie des agriculteurs zimbabwéens, elle, s’améliore. 

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