Nouvelle dynamique niponne

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Nouvelle dynamique niponne

Le Japon plus enclin à soutenir la transformation de l’Afrique
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Japan’s senior vice-minister of agriculture, forestry and fish eries Taku Eto tries out a Japanese-made tilling machine in Cameroon.  Photo: The Government of Japan
Photo: The Government of Japan
Le vice-ministre japonais de l’Agriculture, des forêts et de la pêche, Taku Eto, essaie une machine à labourer de fabrication japonaise. Photo: Le Gouvernement du Japon

Pour de nombreux  Africains, le Japon est un pays notoire pour ses prouesses économiques et technologiques. Johnson Obaluyi de Lagos au Nigéria affirme qu’on pense immédiatement à Toyota, le fabriquant automobile omniprésent, chaque fois qu’il est question du Japon. Pour Kwesi Obeng, un Ghanéen vivant à Nairobi au Kenya, c’est la technologie. Beageorge Cooper, consultante pour la Banque mondiale à Monrovia, au Libéria, considère le Japon comme une « ancienne puissance économique mondiale ». 

Toutefois, la réalité change lorsqu’on demande aux Africains de dire un mot au sujet des relations Japon-Afrique. « Il faudrait que je me documente », déclare Mme Cooper. « Je pense que nous importons leurs Toyota », affirme M. Obaluyi. « Ils soutiennent la recherche sur les maladies tropicales en Afrique », d’après M. Obeng.

Cette faible connaissance de la diversité de relations entretenues par le Japon et l’Afrique ne rend guère compte de la réalité sur le terrain, sachant que c’est en 2013 que le Premier ministre japonais Shinzō Abe a annoncé une dotation spectaculaire de 32 milliards de dollars sur cinq ans pour soutenir les projets de développement en Afrique.

Avant l’annonce de M. Abe, l’intervention multiforme japonaise en Afrique était principalement souterraine, sans publicité majeure. Par exemple, peu de gens savent que l’investissement étranger direct cumulé (IED) du Japon sur le continent est passé de 758 millions de dollars en 2000 à 10,5 milliards en 2014, d’après le magazine américain Forbes. 

Une initiative novatrice

En lançant en 1993 la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD) avec le Programme des Nations Unies pour le développement et le Bureau du Conseiller spécial sur l’Afrique des Nations Unies, le Japon s’est positionné comme le pionnier de la pénétration asiatique en Afrique auprès des dirigeants du continent. Les Chinois ont suivi en 2000, avec le lancement du Forum sur la coopération sino-africaine tandis que l’Inde a rejoint le mouvement en 2010 avec le forum d’Affaires Inde-Afrique. Ces forums qui rassemblent régulièrement une majorité de dirigeants africains, ainsi que des investisseurs et des experts du développement représentent depuis lors des opportunités d’échange sur le commerce international et permettent d’attirer des investisseurs et l’aide publique au développement (APD). 

La décision prise par le Japon d’organiser la sixième édition de la TICAD au Kenya en août, une première pour l’Afrique (les précédentes conférences se sont  tenues au Japon), attirera certainement l’attention du grand public sur les relations Japon-Afrique. Une première visite du Premier ministre en Afrique en 2013 (avec des escales en Côte d’Ivoire, en Éthiopie et au Mozambique), la première d’un dirigeant  japonais depuis 2005 et la toute première dans un pays francophone, a mis en vitrine les opportunités d’investissement en Afrique, en particulier pour les entreprises japonaises. 

La visite du Premier ministre a également provoqué un examen des intentions stratégiques du Japon et de sa politique africaine,  Stratfor, une société oeuvrant dans le domaine du renseignement géopolitique et basée aux États-Unis expliquant que les investissements japonais en Afrique sont motivés  par « le manque de ressources »
surtout que « ses défis en matière de croissance économique sont devenus plus pressants après les catastrophes naturelles de 2011 et l’arrêt du nucléaire. » 

L’Afrique attire des partenaires 

Les ressources inexploitées de l’Afrique et son économie résiliente sont des atouts majeurs. D’après la Banque mondiale, le taux de croissance du PIB sur le continent avoisinait 5 % au cours de la dernière décennie, et l’économie s’est révélée résiliente au cours de la crise financière mondiale de 2007-2008. Ceci  a incité le Premier ministre Abe à exprimer l’avis selon lequel l’Afrique « n’est plus seulement un récipiendaire d’aide mais désormais, un partenaire de  croissance. »  

La confiance croissante des investisseurs a permis de multiplier par quatre l’investissement étranger direct depuis 2000,  son montant total avoisinant 470 milliards de dollars. Pour faire court, l’Afrique ressemble à une jeune vierge attirant le regard de divers prétendants à l’investissement à travers le monde.

Néanmoins, il semblerait que la croissance économique de l’Afrique a forcé un changement subtil des règles internationales en matière d’engagement.  Forbes relève que la Chine et l’Inde font  désormais porter leurs efforts sur la construction de routes, de ponts, de voies ferrées et sur d’autres activités commerciales, plutôt que se contenter d’apporter une aide au développement comme par le passé. La raison en est que les projets infrastructurels, mis en service à grande pompe, peuvent être posés comme preuves de relations constructives. 

Contrairement à la Chine et l’Inde, la majorité des flux japonais en direction de l’Afrique continuent d’être « essentiellement destinés à  l’aide au développement plutôt qu’aux investissements commerciaux du secteur privé japonais, » relève Harry G. Broadman, Directeur du Council on Global Enterprise and Emerging Markets  de l’Université  Johns Hopkins  à Baltimore, dans le Maryland. 

Atout concurrentiel du Japon

Au Mozambique, M. Abe a annoncé une aide au développement de 570 millions de dollars destinée à la mise en valeur de la région du corridor de Nacala qui s’étend du Nord du Mozambique au Malawi. Ce projet permettra la réhabilitation de routes au Malawi et la construction d’un poste frontière unique entre le Malawi et le Mozambique, et d’un autre entre le Malawi et la Zambie. 

D’après Stratfor, du fait de la volatilité des prix des produits de base, les pays en développement africains ont besoin de l’aide du Japon. Toutefois, même si  des projets comme  celui du corridor de Nacala peuvent être rentables, « ils sont illustratifs de l’approche traditionnelle japonaise de l’aide à l’Afrique », objecte  M. Broadman.

La critique de M. Broadman ne fait pas grand cas de la nouvelle approche pragmatique adoptée par le Japon dans ses  relations avec l’Afrique. Le ministère des Affaires étrangères japonais relève que son Premier ministre souhaite que l’Afrique
« choisisse le Japon comme véritable partenaire » parce que l’Afrique a besoin « de l’aide du Japon ainsi que la culture organisationnelle des entreprises japonaises qui valorisent les ressources humaines et accordent une attention particulière au génie créatif. » 

L’avantage concurrentiel du Japon provient de ses produits de qualité supérieure, convient M. Broadman, et l’Afrique pourrait en bénéficier dans les domaines des transports, de la production et la distribution d’énergie et dans la fabrication de matériel  et de machines de construction. Il ajoute que les entreprises  japonaises sont « réputées pour le partage de leur savoir-faire et le transfert de technologie. » 

Lorsqu’il a pris la parole devant  l’Union africaine à Addis-Abeba, en Éthiopie, M. Abe s’est souvenu qu’un dirigeant africain lui avait dit : « seules les entreprises japonaises nous enseignent les valeurs du travail et la joie que procure un dur labeur. » 

M. Abe réitère dans son discours la hâte du Japon de participer à la transformation de l’Afrique grâce à des projets de qualité et au transfert de connaissances. Il  préconise une stratégie alliant APD et autonomisation. L’Initiative  pour l’éducation commerciale des jeunes Africains, qui donne aux Africains la possibilité d’entreprendre des études supérieures dans 58 universités japonaises, est l’un des programmes japonais de développement des ressources humaines destinés aux Africains. La première fournée de 156 étudiants africains a entamé ses  études  en septembre 2015. Tsuneo Kitamura, le vice-ministre de l’Economie et du Commerce, reconnait que le Japon adopte une démarche prudente face aux investissements étrangers. Le Mail and Guardian, une publication sud-africaine, rapporte que  M. Kitamura a déclaré que, « les entreprises japonaises prennent le temps de décider où investir, mais n’abandonnent jamais en cours de processus. » Christophe Akagha Mba, le ministre gabonais des Mines affirme que tandis que les Chinois profitent de la baisse des produits de base, « les Japonais sont toujours au même niveau. Ils n’ont pas encore engagé  d’investissements majeurs, » rapporte Reuters, un service d’information.

Une vingtaine de dirigeants d’entreprise  japonais ont accompagné le Premier ministre lors de sa visite en Afrique. 

Au-delà de l’économie 

Pendant ce temps, des centaines de casques bleus  japonais sont déployés  à Juba au Sud-Soudan, où ils apportent un soutien technique  et  logistique essentiel dans le cadre des opérations de maintien de la paix des Nations Unies. L’aide du Japon pour ce qui est du  transport aérien de matériel et d’approvisionnements au Sud-Soudan et à Entebbe en Ouganda, où l’ONU a une plate-forme logistique, est considérée comme essentielle pour les opérations de maintien de la paix. Le géant asiatique travaille également en coordination avec l’Éthiopie et d’autres partenaires régionaux pour mettre un terme aux hostilités au Sud-Soudan. 

De plus, le Japon prévoit  de participer à la résolution des conflits et aux interventions d’urgence en Afrique à hauteur de 320 millions de dollars. Cette somme comprend  25 millions de dollars devant servir à faciliter le règlement  pacifique du conflit au Sud-Soudan. « Le Japon estime que la médiation des pays voisins, tels que l’Éthiopie, est vitale et doit être encouragée »,
a affirmé M. Abe lors de sa visite en Éthiopie. 

Les relations culturelles et sportives sont également renforcées. En prélude aux jeux olympiques de 2020, le Japon a lancé un programme baptisé « Sports for Tomorrow » et sollicite la participation des jeunes Africains. 

Tandis que le Japon et l’Afrique se préparent en vue du  sixième sommet de la TICAD, le Président kényan Uhuru Kenyatta affirme que l’Afrique saisira cette occasion pour mettre en vedette ses propres initiatives de croissance et présenter au Japon les pistes probables de coopération, d’échanges et d’investissements.  

Si le Japon peut aider à accélérer la transformation de l’Afrique comme l’a promis M. Abe, les Africains seront sans doute  bientôt plus nombreux à avoir une connaissance plus profonde des relations Japon-Afrique.