L’accord de Paris et l’Afrique

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L’accord de Paris et l’Afrique

Dr. Richard Munang
Afrique Renouveau: 
UN Secretary-General Ban Ki-moon addresses a summit of local leaders at the  climate change conference in Paris. Photo: UN Photo/Eskinder Debebe
Photo: UN Photo/Eskinder Debebe
Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon devant des responsables locaux à la Conférence de Paris sur le climat. Photo: ONU Photo/Eskinder Debebe

Les spécialistes africains du développement  et des changements climatiques ne doutent pas que l’accord historique de Paris sur le changement climatique adopté unanimement en décembre dernier à Paris sera avantageux pour le continent. Lors du sommet de Paris, 195 pays ont convenu de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’améliorer l’adaptation de  manière à  maintenir l’augmentation de la température mondiale « bien en dessous de 2° C » et, de façon  plus optimiste,  de tenter de la limiter à 1,5 degré Celsius. 

Pour l’Afrique, l’attrait de cet accord tient au fait qu’il a été convenu  d’affecter  des fonds aux  efforts  d’adaptation et d’atténuation du changement climatique des pays en développement. Les négociateurs africains avaient exhorté les pays riches à donner suite à  la promesse des pays développés  d’accroître le financement de la lutte contre le changement  climatique de 100 milliards de dollars d’ici à 2020 pour les pays en développement, conformément à l’engagement pris à Cancún en 2012.  Ils ont obtenu plus qu’il n’espéraient, parce que l’accord de Paris prévoit que l’engagement de 100 milliards de dollars sera révisé à la hausse à partir de 2025. 

Toutefois, selon l’accord,  s’il est vrai que les pays riches devront débourser davantage de fonds, les pays en développement sont aussi tenus d’apporter une contribution. Le deuxième rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) sur l’écart de l’adaptation en Afrique  indique que les pays africains devront mobiliser jusqu’à 3 milliards de dollars par an entre 2016 et 2020. Pour garantir la transparence, l’accord sur le climat impose la communication tous les deux an d’informations sur le financement prévu.

Avant la Conférence de Paris, 189 pays, y compris tous les pays africains, ont soumis un plan climat national, connu sous le nom de Contribution prévue déterminée au niveau national, qui indique ce qu’ils vont faire pour lutter contre le changement climatique, et ce qu’ils feront en plus  si un financement leur est offert. A Paris, les pays ont convenu de soumettre tous les cinq ans des plans mis à jour  qui détailleront les activités et les efforts menés  pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Chaque plan devrait être plus ambitieux que le précédent. 

Si l’on tient compte des émissions comparativement négligeables de l’Afrique au fil des ans, et du fait que les changements climatiques auront plus d’impacts sur l’Afrique que sur beaucoup d’autres continents, le plan de financement de l’adaptation prévu par l’accord de Paris et son mécanisme d’examen solide s’accompagnent  de fortes déclarations d’intention. L’objectif pour les pays africains consiste à exploiter les possibilités existantes en matière d’adaptation et d’atténuation et ainsi de parvenir à un développement industriel durable avec des émissions minimales ou nulles.

On pourrait par exemple, en exploitant les vastes ressources énergétiques renouvelables du continent, comme l’énergie solaire et éolienne, combler le déficit énergétique, soutenir l’adaptation au changement climatique et ouvrir  des possibilités  de revenus en Afrique, selon l’International Policy Digest, une publication indépendante de politique étrangère. Le Digest conseille aux dirigeants africains de renforcer les chaînes de valeur agricoles par le biais d’approches de l’adaptation fondée sur les écosystèmes (EBA) y compris l’agroforesterie, l’irrigation et la conservation efficaces, dans le cadre desquelles le sol est exploité de telle manière que  sa structure et sa biodiversité restent intacts.

Le rapport 2015 sur les progrès en Afrique (APP), publié par un groupe de 10 Africains distingués, dont l’ancien Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, préconise un développement durable en Afrique et renforce la nécessité de mettre l’accent sur les énergies renouvelables. Le rapport indique que la pauvreté énergétique de l’Afrique subsaharienne est élevée,  plus de 60 % de la population n’ayant pas accès à l’électricité et  80% étant privés d’ installations adéquates pour la  cuisson de leurs aliments. Dans les zones rurales, où vivent 70 % des pauvres d’Afrique, l’accès au réseau d’électricité est estimé entre 1 % et 8 %. Pourtant, la population de ces régions paie 20 fois plus (soit 10 milliards de dollars par an selon les estimations) pour des sources d’éclairage insalubres, pour la plupart des lampes à pétrole, que les ménages riches raccordés au réseau dépensent pour l’éclairage, ce qui renforce encore la pauvreté. 

En outre, l’Afrique dépense 50 milliards de dollars par an en subventions pétrolièrres, qui  profitent essentiellement aux 40 % des ménages les plus riches.  Si l’on tient compte du fait que 50 milliards de dollars correspondent à 5,7 % du PIB de l’Afrique, ce qui dépasse les dépenses de santé, la réorientation de ces fonds vers des initiatives à faible émission de carbone pourrait grandement contribuer à améliorer le niveau de vie et même favoriser la durabilité environnementale. Les investissements dans l’énergie propre comme l’énergie solaire et éolienne sont les plus économiques pour l’électrification des zones reculées, et ces investissements améliorent l’épargne des ménages et créent des emplois, soutient l’International Policy Digest.  

En ce qui concerne l’énergie solaire, des représentants de gouvernements, d’entreprises et de la société civile ont annoncé de nombreuses initiatives et engagements nouveaux à Paris parmi lesquels figurent des plans visant à  mobiliser jusqu’à 1 milliard  de dollars par an pour les énergies  propres, au profit d’investissements solaires à travers le monde entier, ce qui est une bonne nouvelle  pour l’Afrique.  En 2015, le secteur des énergies renouvelables a créé 7,7 millions d’emplois dans le monde, soit une augmentation de 18 % par rapport à 2014. Bien que sa part d’énergie renouvelable soit encore dérisoire, l’Afrique peut créer une industrie électrique prospère, et de surcroît, ajouter environ 2,5 millions d’emplois temporaires et permanents, selon le rapport de McKinsey, un Cabinet conseil  mondial en matière de  gestion.  

L’exemple du Bangladesh est source d’inspiration : bien que le Bangladesh fasse partie des pays les moins avancés, le secteur des SSD y a créé plus de 115 000 emplois directs et 50 000 emplois indirects grâce à des investissements dans l’énergie solaire en zones rurales. Les gouvernements africains peuvent suivre l’exemple du Bangladesh en fournissant un soutien financier et technique au secteur des énergies renouvelables. 

En outre, les ménages pauvres d’Afrique peuvent économiser jusqu’à 8 milliards de dollars par an grâce à l’accès à des options renouvelables telles que l’énergie solaire. En adoptant  l’énergie propre, l’Afrique subsaharienne peut sortir entre 16 et 26 millions de personnes de la pauvreté, selon le rapport APP.     

L’énergie propre est bénéfique pour l’environnement. D’ici à 2040, l’Afrique pourrait réaliser une réduction de 27 % des émissions de dioxyde de carbone, selon diverses projections. L’Accord de Paris offre un cadre stratégique, ainsi qu’un soutien technique et une aide à l’investissement, pour les efforts de réduction des émissions du continent.

Chaînes de valeur agricoles 

Étant donné que  l’accord sur le climat insiste sur la nécessité de restaurer pas moins de 127 millions d’hectares de terres dégradées en Afrique et en Amérique latine, principalement par le biais des écosystèmes agricoles,  l’Afrique pourrait en retirer une augmentation de la productivité agricole qui ouvrirait la voie à la sécurité alimentaire, l’adaptation climatique et la création de revenus et d’emplois. L’agriculture emploie environ 64 % d’Africains, et offre  des moyens de subsistance à 70 % des pauvres des zones rurales, selon le Fonds international de développement agricole.

Les approches de l’adaptation fondée  sur les écosystèmes améliorent la productivité agricole et assurent la préservation des écosystèmes qui continuent de fournir de l’eau, de favoriser la formation des sols, préserver les insectes pollinisateurs, réguler   l’hydrologie - et plus encore. L’application de ces techniques à l’agriculture peut accroître les rendements jusqu’à 128 %, améliorer la capacité des écosystèmes et l’adaptation aux changements climatiques, diminuer les risques d’échec des cultures liés au climat et accroître les revenus des agriculteurs.  

Les experts estiment que si l’on fournit un financement abordable, un accès fiable et efficace aux marchés et à une énergie propre aux agriculteurs qui pratiquent l’adaptation écosystémique, il sera possible de parvenir à créer jusqu’à 17 millions d’emplois grâce à l’agro-industrialisation et de stimuler le secteur agricole africain, qui devrait représenter un milliard de dollars en 2030. La Banque mondiale déclare qu’une augmentation de 10 % des rendements des cultures se traduit par une réduction d’environ 7 % de la pauvreté en Afrique, et que la croissance agricole est au moins deux à quatre fois plus efficace pour réduire la pauvreté que des croissances comparables dans d’autres secteurs.

Mise en œuvre de l’Accord 

Tout en se félicitant de l’Accord de Paris, les experts du développement de l’Afrique reconnaissent également que le bilan en matière de mise en œuvre n’a pas été brillant sur le continent. Toutefois, de l’avis  général, l’Afrique semble déterminée à mettre en œuvre l’accord. 


Richard Munang est expert en matière de changement climatique pour l’Afrique et expert en politique de développement. Robert Mgendi est expert en politique d’adaptation.  Ils travaillent tous deux pour le PNUE.