Les médias d’Afrique rompent le silence

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Les médias d’Afrique rompent le silence

Pour les journalistes du continent, le combat pour les libertés se poursuit
Afrique Renouveau: 
UNESCO / Dominique Roger
Reading a newspaper in Madagascar.Lecture d'un journal à Madagascar : depuis le début des années 1990, les journaux indépendants ont brisé le monopole gouvernemental sur la presse mais dans de nombreux pays les médias demeurent en situation précaire.
Photo: UNESCO / Dominique Roger

Le 18 mars dernier alors que le Daily Nation, l'un des plus grands journaux indépendants d'Afrique célèbre ses 50 ans, Charles Onyango Obbo, éditorialiste du quotidien Kenyan relevait que "Les médias africains ont vécu un véritable cauchemar pendant une grande partie de ces 50 ans. Leur période la plus libre a duré 15 ans entre 1990 et 2005."

L'explosion médiatique de la fin des années 1980 et le mouvement de réformes démocratiques en Afrique ont transformé le paysage médiatique africain. Elle a mis fin au monopole des gouvernements, ouvrant la voie au pluralisme. Du jour au lendemain, des journaux ont fait leur apparition dans les rues des capitales africaines. La "culture du silence" a reculé.

Explosion des médias indépendants

A l'époque de l'indépendance, la plupart des journaux étaient détenus par des capitaux privés (souvent européens) ou, quelquefois, liés aux mouvements politiques nationaux. Dans les années 1970, la majorité des journaux dignes d'intérêt étaient détenus par les gouvernements. Tout journal exprimant des positions éditoriales indépendantes faisait l'objet de censure ou d'interdiction poussant à l'occasion des éditeurs à renoncer à leur activité. En plus de l'Afrique du Sud sous l'apartheid, seuls le Kenya et le Nigéria toléraient une presse privée et indépendante.

Dans quelques pays (Gambie, Niger), les premiers quotidiens ont paru pendant la période de libéralisation et d'explosion médiatique. Le journaliste libérien Kenneth Best, a lancé le premier quotidien au Libéria (1981) et le premier quotidien en Gambie (1992) avant d'être contraint à l'exil à chaque fois.

Dans les années 1990, les médias indépendants ont poussé comme l'herbe de la savane après les fortes pluies qui marquent la fin des saisons sèches. En 2006, selon une étude de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique (CEA), l'Afrique de l'Ouest comptait plus de 5 000 journaux et stations de radio et de télévision répartis dans 15 pays.

L'évolution la plus spectaculaire a été l'explosion du nombre de stations de radio. La montée en puissance des radios privées et indépendantes a menacé d´éclipser les radios du secteur public. Le Mali, compte à peu près 300 stations de radio. La République démocratique du Congo, dévastée par la guerre, compte environ 196 stations de radio communautaires. A travers le continent, l'Internet et la téléphonie mobile s'ajoutent aux médias conventionnels. Ce qui diversifie les sources d'information et les moyens de communication de masse disponibles.

Les conflits armés des années 1990 n'ont pas freiné l'émergence des médias indépendants sur le continent, même si certains organes de presse ont été pris pour cibles. La Somalie a vu naître une presse, une radio et même une télévision indépendantes, après avoir sombré dans une anarchie qui persiste. Un grand nombre de journaux et de stations ont vu le jour au Libéria et en Sierra Leone pendant les guerres qu'ont connues ces pays, alors même que leurs secteurs audiovisuels publics étaient au bord de la faillite.

Aujourd'hui, 20 ans après cette explosion médiatique, l'Érythrée est le seul pays de l'Afrique subsaharienne où le gouvernement exerce une mainmise totale sur la presse et l'audiovisuel.

A DJ on Mozambique’s Radio KomatiDisc-jockey à la station de radio Komati, au Mozambique : la radio est un outil essentiel pour communiquer avec les habitants des régions rurales d'Afrique, parfois dans leurs propres dialectes.
Photo: UNESCO / Sergio Santimano

Renforcement démocratique

"Les Africains sont plus nombreux aujourd'hui à vivre dans une liberté relative qu'il y a 50 ans", estime Linus Gitahi, président-directeur général du groupe de presse kenyan Nation Media Group (NMG). Dans les pays qui ont réalisé de véritables progrès en matière de gouvernance et de respect des droits de l'homme, les médias ont joué un rôle décisif dans le renforcement de la démocratie.

Malgré tous les obstacles auxquels ils se heurtent, les médias indépendants notamment ont contribué de manière significative à la tenue d'élections pacifiques et transparentes au Bénin, au Cap Vert, au Ghana, au Mali, en Namibie, en Afrique du Sud et en Zambie, au rétablissement de la paix au Libéria, au Mozambique et en Sierra Leone, et au respect des principes constitutionnels en période de crise en Guinée, au Kenya et au Nigéria. Beaucoup d'organes de presse continuent de se battre pour une plus grande liberté de parole dans des contextes difficiles.

La radio a développé ses programmes d'informations locales. La téléphonie mobile a renforcé la participation citoyenne aux débats sur des questions d'intérêt général. Par la diffusion croissante d´émissions dans différents dialectes, la radio a favorisé un sentiment d'identité culturel positif dans de nombreuses communautés. En janvier dernier, lors du dixième anniversaire de la radio communautaire ghanéenne Ada, le chef de la communauté, a rappelé "qu'avant l'arrivée de la station, on n'entendait pas notre langue à la radio. On n'avait pas l'impression de faire partie du Ghana".

Cependant, dans certains cas, les radios ont été un instrument de promotion de la haine, de la xénophobie et de crimes contre l'humanité. La Radio des Mille Collines au Rwanda a soutenu le génocide contre les Tutsis. D'autres cas d'incitation à la haine ethnique ont été signalés au lendemain des élections au Kenya en 2007 et au Ghana un an plus tard. Dans tous ces cas, les médias incriminés étaient détenus par des personnalités puissantes du gouvernement, des partis politiques ou des factions en guerre, ou les soutenaient.

Répression continue

L'émergence des médias s'est généralement heurtée à une répression violente. Lorsque les médias osaient s'interroger ou révéler les activités criminelles et la corruption de certains membres des milieux haut placés, elles provoquaient la colère des "détenteurs du pouvoir".

Les assassinats de journalistes, comme celui de Norbert Zongo en 1998 au Burkina Faso, de Carlos Cardoso en 2000 au Mozambique ou de Deyda Heydara en 2004 en Gambie, s'expliquent par les mêmes raisons. Le rapport d'une commission indépendante sur l'affaire Zongo a conclu que "Norbert Zongo avait été assassiné pour des raisons strictement politiques, car il pratiquait le journalisme d'investigation engagé. Il défendait un idéal démocratique et participait, dans le cadre de son journal, au combat pour le respect des droits de l'homme et de la justice contre la mauvaise gouvernance des affaires publiques et contre l'impunité".

Certaines associations internationales de défense des droits des médias, à l'instar du Comité pour la protection des journalistes, basé à New York, estiment qu'environ 200 journalistes ont été tués en Afrique au cours des 20 dernières années. La plupart ont été victimes des guerres.

Les législations répressives ont considérablement entravé les droits des journalistes. À l'exception de l'Afrique du Sud, où la transition après l'apartheid s'est accompagnée d'une refonte complète du droit des médias, le nouveau pluralisme médiatique n'a suscité que de très légères réformes juridiques et politiques.

Une étude de la CEA estimait en 2005 que le carcan législatif et politique imposé aux médias dans la plupart des pays du continent était tellement contraignant que "la nécessité d'un examen critique et de transformations majeures du cadre législatif et politique dans lequel fonctionnent les médias du continent ne saurait être surestimée".

En revanche, l'Union africaine et les organismes régionaux comme la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), ainsi que les 11 membres de la Conférence régionale sur les Grands Lacs ont tous adopté des protocoles et des déclarations en faveur de la liberté de la presse et de la liberté d'expression.

Et si la plupart des gouvernements des pays membres ne respectent toujours pas ces protocoles, les groupes de la société civile mobilisent pour leur part des organismes comme le Bureau du Rapporteur spécial sur la liberté d'expression et l'accès à l'information de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples pour faire connaître les droits des médias. D'autres associations, comme la Fondation des médias pour l'Afrique de l'Ouest dénoncent les violations des droits des journalistes auprès de la nouvelle Cour régionale de justice communautaire de la CEDEAO.

Entraves et limitations

Attaques violentes et législations restrictives ralentissent la croissance des médias et en réduisent l'efficacité. Pendant ce temps, les carences professionnelles et la précarité financière des organes de presse contribuent à en diminuer la portée.

Malgré le foisonnement extraordinaire des médias en Afrique, le professeur Guy Berger de la Rhodes University School of Journalism and Media Studies en Afrique du Sud estimait en 2007 que les Africains "étaient les populations les moins bien servies en matière de dissémination de l'information. Les médias étant limités, partout sur le continent, du point de vue quantitatif et même parfois qualitatif".

L'Afrique compte, précise-t-il, peu de journalistes par habitant si on comparait le continent à d'autres régions du monde. Avec un journaliste pour 1 300 habitants, l'Afrique du Sud occupe la tête du classement. Au Ghana, il y a un journaliste pour 11 000 personnes, et un pour 18 000 habitants au Cameroun. Le Zimbabwe, avec un journaliste pour 34 000 devance l'Éthiopie qui a un journaliste pour 99 000 personnes. Au fil des ans, la pénurie s'aggrave.

Plus que toutes autres, les considérations économiques menacent la survie du pluralisme médiatique. À l'exception de groupes tels que le Nation Media Group au Kenya et Multimedia au Ghana, la plupart des organes de presse sont de petites et fragiles entreprises, sur lesquelles pèse souvent la menace de la réduction de la taille des activités et même celle de la faillite.

Au rythme de la dépendance croissante des médias à l'égard de l'économie de marché, leur indépendance est toujours plus menacée. Entreprises dominantes et mécènes tentent d'imposer leurs volontés aux médias.

Face à de telles attaques contre la liberté de la presse, des organisations de mobilisation et de défense des journalistes ont fait leur apparition sur tout le continent. L'Institut des médias de l'Afrique australe à Windhoek, la Fondation des médias pour l'Afrique de l'Ouest à Accra, le Media Rights Agenda du Nigéria et Journalistes en danger de Kinshasa sont parmi les plus connues. Les associations nationales et régionales de journalistes professionnels ont de leur côté intensifié leurs activités de défense des journalistes.

Bien que l'audiovisuel public demeure prédominant sur les ondes de la plupart des pays d'Afrique, les médias indépendants et pluralistes du continent se sont également imposés dans la durée, malgré de nombreuses difficultés. Cette présence contribue certainement à garantir la croissance et le renforcement de la démocratie en Afrique. 

Kwame Karikari est directeur exécutif de la Fondation des médias pour l'Afrique de l'Ouest, basée à Accra (Ghana), et dirige l'École des sciences de la communication de l'Université du Ghana.