La longue marche des Africaines vers l’égalité

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La longue marche des Africaines vers l’égalité

En dépit des progrès, l'égalité reste hors de portée
Afrique Renouveau: 
UN Capital Development Fund / Adam Rogers
Women in Madagascar benefit from a micro-finance programmeDes femmes malgaches bénéficient d'un programme de micro-financement : les mouvements de femmes africaines s'intéressent non seulement à l'accès des femmes aux ressources, mais aussi aux moyens de contrôler ces ressources.
Photo : Fonds d'équipement des Nations Unies / Adam Rogers

L'indépendance politique de l'Afrique s'est accompagnée d'appels en faveur de l'élimination de la pauvreté, de l'analphabétisme et de diverses maladies. Cinquante ans après la fin du colonialisme, pour les femmes africaines, la marche vers la liberté a permis de lents et laborieux progrès.

Au plan continental, l'Union africaine (UA) a adopté un protocole qui réaffirme les droits de la femme au sein de sa Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Ce protocole décrit les droits de la femme à l'égalité et à la non-discrimination dans plusieurs domaines. Ratifié par un nombre croissant de pays africains, il peut être invoqué dans les procédures judiciaires et est de plus en plus intégré dans les dispositions du droit de la famille. L'UA a par ailleurs publié une Déclaration sur l'égalité des sexes en Afrique.

Au niveau national, de nombreux pays africains s'orientent vers une meilleure protection des femmes, notamment dans le domaine des droits et de l'égalité. Les 20 dernières années ont vu l'émergence de législations contre la violence à l'égard des femmes, notamment la violence sexuelle.

Représentation politique

Cette évolution s'est accompagnée d'améliorations dans la représentation politique des femmes. L'UA a fixé un quota de 50 % de représentation féminine, quota respecté par sa Commission.

En Afrique du Sud, en Tanzanie et en Ouganda 30 % des sièges au parlement sont désormais réservés aux femmes, ainsi que le prévoyait l'objectif initial. Au Rwanda la représentation féminine atteint 50 %, l'une des plus élevées au monde. Dans des pays comme le Nigéria, des femmes ont occupé des postes ministériels importants, comme la défense et les finances. En élisant Ellen Johnson-Sirleaf, le Libéria est devenu le premier pays africain à élire une femme au poste de chef d'État.

Les progrès sont évidents, notamment dans les pays dotés de systèmes électoraux entièrement ou en partie proportionnels. Dans les pays dotés de scrutins majoritaires de liste à un tour, l'évolution est plus compliquée.

Et même lorsqu'il y a eu des progrès, une question demeure : la présence accrue des femmes aux leviers de commande législatifs favorise-t-elle davantage l'égalité des sexes ? En effet, la représentation des femmes n'est pas seulement une question de nombre. Si les statistiques peuvent être flatteuses dans certains cas, reste encore à atteindre cette égalité entre hommes et femmes, dans le domaine de la prise de décisions par exemple.

Au cours des 20 dernières années, les mouvements de femmes en Afrique ont modifié leurs objectifs et stratégies, passant de la priorité accordée au développement des capacités des femmes comme moyen d'accéder aux ressources à la priorité accordée à la prise de décisions par les femmes comme moyen de contrôler ces ressources. Ce passage a été rendu possible par les réels progrès suscités par les politiques de renforcement des capacités.

Éducation, pauvreté, santé

Les progrès sont les plus manifestes dans l'éducation des femmes du continent. Les taux d'inscription dans l'enseignement primaire sont à présent identiques pour les filles et les garçons. Les efforts de scolarisation des filles se sont accompagnés de mesures visant à les garder à l'école. L'écart entre le taux d'inscription des filles et des garçons diminue dans l'enseignement secondaire. Le défi se situe au niveau des études supérieures, tant pour ce qui est des taux d'inscription que pour les programmes scolaires destinés aux jeunes femmes.

Les progrès réalisés par les femmes pour sortir de la pauvreté sont toutefois plus difficiles à mesurer. Depuis l'indépendance les investissements dans le microcrédit et les petites entreprises ont permis d'améliorer l'existence des femmes et de leurs familles. Les femmes africaines s'étant montrées dignes de la confiance des prêteurs, le microcrédit leur est désormais accordé non seulement par les organismes de développement et de micro-financement, mais aussi par les institutions financières commerciales.

Pourtant les investissements de cette nature ont fait l'objet de critiques, surtout dans les années 1980, lorsque les gouvernements se sont retirés des domaines sociaux après l'adoption de politiques d'ajustement structurel. Compte tenu des priorités de l'époque, ces investissements visaient essentiellement à assurer la répartition des ressources parmi les populations pauvres plutôt qu'à faciliter leur redistribution des riches aux pauvres.

La fin de cette période a vu l'émergence de la budgétisation favorisant l'égalité des sexes, dont la principale priorité a été d'assurer que les subventions et dépenses publiques contribuaient à renforcer la situation économique des femmes. Cette approche a incité les gouvernements africains à investir à nouveau dans les services sociaux.

Les pays d'Afrique ont convenu d'investir 15% de leurs budgets dans le domaine de la santé. Pour les mouvements de femmes, l'augmentation devrait toucher la santé procréative et sexuelle et les droits de la femme. Ces domaines constituent un sujet de préoccupation particulièrement sensible pour les femmes en raison de l'impact du VIH/sida, de la mortalité maternelle et de la violence envers les femmes, notamment dans les zones de combat. Le fait que les femmes du continent ne peuvent toujours pas faire de choix en matière de procréation et de sexualité est une source de grande inquiétude.

Scénario du futur

Dans ces conditions, que faire des 50 prochaines années ? Forts de l'expérience acquise, les mouvements de femmes africaines s'intéresseront non seulement à la représentation politique, mais aussi à ce que cette dernière signifie pour la progression de l'égalité des sexes et des droits des femmes. Compte tenu des tendances politiques récentes (recrudescence du nombre de coups d'État constitutionnels et de "démocraties négociées"), les mouvements de femmes s'intéresseront également à la démocratie, à la paix et la sécurité, c'est-à-dire à la nature même du système politique plutôt qu'aux seuls moyens de l'intégrer.

D'un point de vue économique, les femmes continueront de porter leur attention sur les activités macroéconomiques, mais de manière plus approfondie. Les efforts de budgétisation tenant compte des différences entre hommes et femmes ont permis de se rendre compte de la nécessité d'examiner les dépenses budgétaires de manière détaillée.

Il importe également d'accorder une attention prioritaire au cadre macroéconomique budgétaires et monétaires. Ceci est d'autant plus nécessaire dans le contexte des programmes de stabilisation mis en place suite aux récents chocs économiques. Autrefois on supposait que cet aspect était indépendant des considérations de sexe, mais il est désormais évident qu'il peut avoir des incidences différentes pour les femmes.

Enfin, les mouvements de femmes s'intéresseront davantage aux questions de santé et de droits en matière de procréation et de sexualité. La lutte pour la liberté de choisir (notamment en ce qui concerne l'identité sexuelle et l'orientation sexuelle) est à présent entamée dans de nombreux pays africains.

La résurgence de courants politiques conservateurs (ethniques et religieux) attise les polémiques sur le continent. Ce phénomène est dangereux pour les femmes. Il a une grave incidence sur leur autonomie, leur liberté de choix et leur intégrité physique. Il doit être combattu. La longue marche des femmes africaines vers la liberté ne fait que commencer.   

L. Muthoni Wanyeki est directrice générale de la Commission des droits de l'homme du Kenya. Elle a été auparavant directrice générale du Réseau des femmes africaines pour le développement et la communication, organisation panafricaine qui œuvre pour l'égalité et le développement de la femme ainsi que le respect de ses droits.