Les économies africaines captivent l’attention mondiale

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Les économies africaines captivent l’attention mondiale

Mais il reste de grands défis à relever
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
Photo: Reuters / Mike Hutchings
Ligne d’horizon de Luanda en Angola.Ligne d’horizon de Luanda en Angola. L’Afrique sera-t-elle « la prochaine frontière de l’économie mondiale » ?
Photo: Reuters / Mike Hutchings

Dans les allées étincelantes du complexe commercial tentaculaire, de jeunes gens bavardent. Ils entrent et sortent des 65 magasins du centre avec à la main des gadgets de communication ultramodernes et dans leurs sacs à provision des articles coûteux. En retrait se trouve une grande aire de jeux bien équipée pour les enfants. Entièrement climatisé, le centre offre un espace commercial de 20 000 mètres carrés, un théâtre, des restaurants, des bars et un parc de stationnement pour 900 véhicules. Bienvenue à l’Accra Mall au Ghana, l’un des plus grands centres commerciaux de l’Afrique de l’Ouest, et comparable à tout autre centre commercial du monde.

Au Ghana, à l’image de nombreux autres pays africains, les jeunes vivent au rythme de la croissance économique du continent. Ils sont instruits et relativement aisés, comme en témoignent leur voiture, leur tenue vestimentaire et leur maison. En 2011, l’économie ghanéenne a affiché une progression impressionnante de 14,4 %. Selon la Banque mondiale, bon nombre d’économies africaines devraient figurer en 2012 parmi celles qui connaîtront la croissance la plus rapide au monde. Le Ghana, le Libéria, le Nigéria, l’Éthiopie, la République démocratique du Congo et d’autres pays en seront le fer de lance.

Il ne fait aucun doute que l’Afrique reste accablée par la pauvreté, la moitié de sa population vivant avec moins de deux dollars par jour. Sa croissance économique ces dix dernières années a cependant été saisissante.

Un continent plein d’espoir

« Il y a une nouvelle histoire qui voit le jour au sujet de l’Afrique : une histoire de croissance, de progrès, d’opportunités et de rentabilité, » indique Ernst & Young, un cabinet spécialisé en conseil d’entreprise basé aux États-Unis. Et Johnnie Carson, le Secrétaire d’État adjoint américain chargé des Affaires africaines, d’ajouter : « L’Afrique représente la prochaine frontière de l’économie mondiale. » Il faut que les investisseurs en soient conscients, indique M. Carson, qui a récemment conduit une délégation commerciale américaine au Mozambique, en Tanzanie, au Ghana et au Nigéria. En 2011, les échanges commerciaux de la Chine avec l’Afrique se sont élevés à près de 160 milliards de dollars, ce qui fait du continent l’un de ses plus importants partenaires commerciaux.

Dix ans auparavant, en 2000, The Economist ne voyait aucune raison d’espérer. Sentencieusement, le magasine titrait « L’Afrique : un continent sans espoir, » et mentionnait notamment les problèmes de guerre civile sanglante en Sierra Leone, de famine en Éthiopie et de conflit politique au Zimbabwe. Le magasine londonien s’est cependant ravisé en décembre dernier « Depuis que The Economist a regrettablement qualifié l’Afrique de “continent sans espoir” il y a dix ans, un profond changement s’est opéré. Aujourd’hui, le soleil brille… il semble probable que l’impressionnante croissance du continent se poursuive. »

Des indicateurs prometteurs

L’ensemble des indicateurs économiques africains ont été remarquables. Au cours de la dernière décennie, les échanges commerciaux de l’Afrique avec le reste du monde ont augmenté de plus de 200 %, l’inflation annuelle a été en moyenne de 8 % à peine, et la dette extérieure a diminué de 25 %. L’investissement étranger direct (IED) a connu une hausse de 27 % pour la seule année 2011.

Bien que les prévisions de croissance globale pour l’année 2012 aient été revues à la baisse en raison des crises politiques en Afrique du Nord, l’économie africaine progressera encore de 4,2 %, selon un rapport de l’ONU publié en juin. Les économies de l’Afrique subsaharienne enregistreront une croissance de plus de 5 %, indique le Fonds monétaire international (FMI). En outre, il y a actuellement plus de 600 millions d’utilisateurs de téléphones mobiles sur le continent, cependant que la progression de l’alphabétisation et l’amélioration des compétences ont entraîné une croissance de la productivité de 3 %.

La plupart des investisseurs restent prudents à l’égard de l’Afrique, notamment du fait des problèmes de sécurité et d’infrastructures. On assiste néanmoins à une augmentation constante de l’investissement intra-africain, qui représentait en 2011 près de 17% du total de l’IED, selon Ernst & Young. Les entrepreneurs africains en récoltent les fruits. Autrefois, l’icône américaine du talk-show, Oprah Winfrey, était la personne noire la plus riche au monde, avec une fortune d’environ 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, le Nigérian Aliko Dangote, que le magazine Forbes a surnommé « le titan des matières premières, » a amassé plus de 10 milliards de dollars.

Un paradis pour les investisseurs

Plusieurs facteurs contribuent à faire de l’Afrique un paradis pour les investisseurs. Le McKinsey Global Institute, un groupe de réflexion, écrit, « Le taux de rendement de l’investissement étranger en Afrique est plus élevé que dans toute autre région en développement. »

La croissance économique de l’Afrique est stimulée par un certain nombre de facteurs. Il s’agit notamment de la fin de nombreux conflits armés, de l’abondance de ressources naturelles et des réformes économiques qui ont favorisé un climat plus propice aux affaires.

Une plus grande stabilité politique alimente le moteur économique du continent. En 2005, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) a établi un rapport entre la démocratie et la croissance économique. « La bonne gouvernance est essentielle à l’amélioration des performances économiques et à l’accélération du progrès économique en Afrique, » expliquait à l’époque Abdoulie Janneh, le Secrétaire exécutif de la CEA.

L’accélération de l’urbanisation est un autre facteur important. Alors qu’elle peut mettre à rude épreuve les services sociaux des villes, elle est aussi à l’origine d’une augmentation du nombre de consommateurs urbains. Plus de 40% de la population africaine est aujourd’hui urbaine, et d’ici à 2030, McKinsey prévoit que « les 18 principales villes africaines auront un pouvoir d’achat combiné de 1,3 billion de dollars. » Le Wall Street Journal indique que la classe moyenne africaine, qui compte actuellement 60 millions de personnes, atteindra 100 millions d’ici à 2015.

Le chemin est encore long

Si les indicateurs économiques actuels de l’Afrique peuvent inspirer l’optimisme, les analystes déclarent que l’heure n’est pas encore aux réjouissances. « Je mets en garde contre un excès d’optimisme, » déclare Donald Kaberuka, le Président de la Banque africaine de développement (BAD). « Un ralentissement prononcé dans les pays avancés pèsera sur la demande d’exportations africaines, » ajoute Christine Lagarde, Directrice générale du FMI. L’Europe représente plus de la moitié du commerce extérieur de l’Afrique, et le tourisme pourrait également souffrir car moins d’Européens visitent le continent, menaçant ainsi les économies — comme celle du Kenya, de la Tanzanie et de l’Égypte — qui dépendent pour beaucoup du tourisme.

En mai, la Banque centrale sud-africaine a également prévenu que la crise en Europe, consommatrice de 25 % des produits d’exportation sud-africains, pose de gros risques. Et les effets néfastes sur la plus grande économie africaine auront des conséquences dévastatrices pour les économies environnantes.

La résurgence des crises politiques est un autre point de tensions. En raison du Printemps arabe, la croissance économique de l’Afrique du Nord a chuté à 0,5 % en 2011. Les récents coups d’État au Mali et en Guinée-Bissau pourraient avoir de plus grandes répercussions économiques. « Le Mali obtenait de bons résultats, maintenant nous repartons à zéro, » déclare Mthuli Ncube, économiste en chef de la BAD. L’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda et d’autres pays sont militairement engagés en Somalie, ce qui pourrait ralentir leur économie. Et le Nigéria est aux prises avec Boko Haram, une secte terroriste du nord du pays.

L’Afrique est en proie à d’autres turbulences. Le Rapport économique sur l’Afrique 2011 de la CEA et de l’Union africaine a mis en garde contre la « reprise sans emploi » en Afrique, signalant que les investisseurs se concentrent sur le secteur minier, en particulier sur le pétrole, l’or et les diamants, qui ne génère que peu d’emplois.

Un autre rapport, les Perspectives économiques en Afrique 2012 (rédigé par la BAD, la CEA, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le Programme des Nations Unies pour le développement) renforce les préoccupations sur le chômage, en ajoutant que 60 % des chômeurs africains sont âgés de 15 à 24 ans et que la moitié d’entre eux sont des femmes. En mai, le PNUD a sonné l’alarme sur l’insécurité alimentaire en Afrique subsaharienne, un quart des 856 millions de personnes qui y vivent souffrant de sous-alimentation.

Parler d’une classe moyenne émergente en Afrique est précipité, affirme la BAD. La plupart des Africains qui font partie de cette « classe moyenne » (en gros, ceux qui vivent avec 2 dollars ou plus par jour) ne dépensent pas plus de 4 dollars au quotidien, précise la Banque. Les chocs économiques potentiels pourraient aisément plonger de nombreuses familles dans la pauvreté, sous le seuil de 2 dollars. La forte inégalité des revenus assombrit le tableau. En 2008, par exemple, sur le milliard d’habitants que compte l’Afrique, 100 000 à peine se partageaient un patrimoine de 800 milliards de dollars, ce qui équivalait à 60% du produit intérieur brut du continent.

Malgré ces obstacles, les économies africaines ne semblent pas prêtes de ralentir. Ernst & Young précise que cette « histoire doit être racontée avec plus de confiance et de persistance. » Mais il importe tout autant de veiller à ce que la croissance économique du continent crée également des emplois et permette de sortir des millions de personnes de la pauvreté.  

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