« Économie verte » : un discours creux ou une voie d'avenir ?

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« Économie verte » : un discours creux ou une voie d'avenir ?

Le sommet de Rio laisse les délégués africains sur leur faim
Africa Renewal
Afrique Renouveau: 
Rio de Janeiro
Panos / Giacomo Pirozzi
Panneaux solaires au Mali. Davantage de pays africains s'orientent vers l’utilisation de sources d'énergie propre. Photo: Panos / Giacomo Pirozzi

Les dirigeants du monde entier et près de 40 000 personnes se sont réunis en juin à Rio de Janeiro au Brésil, dans l’espoir de tracer la voie d'un avenir meilleur et plus durable pour tous que beaucoup appellent l’« économie verte. »

Toutefois, les vives tensions et la méfiance entre les pays du Nord et du Sud et entre la société civile et les gouvernements, accompagnées d’un sentiment d'incertitude générale à l’égard de l’économie mondiale, ont finalement abouti à de vagues accords qui n’ont pas vraiment répondu aux attentes.

« Cela aurait pu être pire » était un sentiment partagé à l’issue du sommet, connu sous le nom de Rio+20 car tout comme le premier Sommet Planète Terre organisé il y a vingt ans, il s’est tenu à Rio.

« Moitié plein, moitié vide »

Le sommet s’est avéré un exemple de « verre à moitié plein et à moitié vide pour l’Afrique, » a déclaré Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de
développement (BAD). « Notre réflexion sur l’économie verte progresse, notamment en ce qui concerne le lien entre la lutte contre la pauvreté et l’environnement. »

Achim Steiner, le Directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), qui a joué un rôle moteur dans la promotion du concept d'économie verte, était optimiste. « Aujourd'hui, les gouvernements et les dirigeants mondiaux ont convenu que la transition vers une économie verte, soutenue par de solides dispositions sociales, offre une voie vers un XXIe siècle durable, » a-t-il déclaré lors de la clôture du sommet.

Mais le Sud-africain Kumi Naidoo, Directeur exécutif de Greenpeace International, a exprimé son profond désaccord. « Pendant trois jours nous n'avons été témoins que de discours creux et d'écoblanchiment de la part des dirigeants mondiaux, a-t-il déclaré.
Les gouvernements ne sont pas parvenus à l’accord historique dont nous avons besoin pour répondre à un orage de crises : crise de l’équité, crise de l’écologie et crise de l’économie. »

Le document officiel issu du sommet Rio +20 s’intitule « L’avenir que nous voulons. » Il réaffirme ou rappelle ce qui avait déjà été convenu 20 ou 10 ans auparavant mais n’offre pas grand-chose de nouveau. Les dirigeants mondiaux se sont simplement mis d’accord pour poursuivre les pourparlers en vue de renforcer les institutions des Nations Unies, d’examiner s'il y a lieu de fournir des ressources financières et technologiques aux pays en
développement, et d’établir de nouveaux objectifs de développement durable.

Ressources

Au début du sommet, les pays en développement ont appelé les pays industrialisés à fournir un financement supplémentaire de plus de 30 milliards de dollars par an au cours de la période 2013-2017 et de 100 milliards de dollars par an par la suite, pour les aider à
écologiser leur économie.

« Nous espérons que l’économie verte portera ses fruits lorsqu'il s'agira de préserver l’environnement ainsi que de lutter contre la désertification et la pauvreté, » a déclaré Adam Mohammed Nour du Ministère soudanais de l’environnement, des forêts et du
développement physique. La promesse de l’économie verte, a-t-il dit, « ne peut être tenue que s'il y a suffisamment de ressources disponibles à cet effet. Si nous ne déployons pas suffisamment d'efforts, nous n'atteindrons jamais les objectifs de développement durable. »

Le Président du Kenya Mwai Kibaki a partagé ce point de vue, en expliquant qu'une stratégie internationale de financement du développement durable « faciliterait notamment la mobilisation des ressources financières pour aider les pays en développement à réaliser plus efficacement la transition vers l’économie verte. »

Après l’échec des négociations entre les pays développés pour la création de nouveaux fonds, le Président de la BAD, M. Kaberuka, a exprimé sa déception. Le sommet de Rio, a-t-il dit, n'a pas établi de calendrier concret ni mis sur pied de dispositif pour contrôler et vérifier la progression vers l’écologisation des économies. « Nous sommes encore en pleine phase transitoire et ambitieuse. »

Certains ministres africains ont attiré l’attention sur les modes de production et de consommation des pays du Nord, insoutenables à terme. « Les pays doivent assumer leurs obligations et consommer de manière responsable, » a déclaré Raymond Tshibanda, Ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo, en faisant allusion au fait que les émissions de carbone des pays industrialisés et leur utilisation de l’eau et des ressources ont un impact beaucoup plus important sur la planète que celles des pays africains.

« Une boîte noire »

Les dirigeants réunis au sommet de Rio ont admis que l’économie verte « devait contribuer à l’élimination de la pauvreté ainsi qu'à la croissance économique durable, à l’amélioration de l’intégration sociale, et du bien-être de l’humanité et à la création de possibilités d’emploi et de travail décent pour tous, tout en préservant le bon fonctionnement des écosystèmes de la planète. » Ils ont également convenu qu'il appartenait à chaque pays de définir ses propres politiques sur la façon d'y parvenir.

Mais au-delà de ce consensus général, le sommet n'a fourni aucune signification précise du terme « économie verte. » De nombreux Africains et de nombreuses organisations de la société civile craignent que rien ne change ou que l’économie verte ne représente qu’une nouvelle façon de limiter les échanges commerciaux et le développement.

« Pour le moment l’économie verte est une boîte noire, » a déclaré Davinder Lamba, directeur du Mazingira Institute, une organisation non gouvernementale (ONG) de Nairobi au Kenya. « Nous ne savons pas comment la faire fonctionner. » Il faudra faire preuve de plus de transparence et employer plus de moyens pour surmonter la réticence et l’opposition à la création d'économies vertes, a ajouté M. Lamba. Quand il parle de moyens, il veut dire que les pays pauvres ou très pauvres, doivent avoir un rôle dans l’élaboration des économies vertes et de leur mode de fonctionnement.

Le Comité de coordination des peuples autochtones d'Afrique (IPACC), un réseau d'ONG de plus de 155 organisations dans 22 pays africains, s'est dit encouragé par l’engagement pris dans le cadre du document « L’avenir que nous voulons » afin d’améliorer les moyens de subsistance des pauvres et d’évaluer leurs besoins et leurs préoccupations.
Selon Nigel Crawhall, le directeur du Secrétariat d'IPACC, de nombreux projets destructeurs ont été justifiés au motif qu'ils augmentaient la croissance économique, et on a fermé les yeux sur leur impact sur les communautés locales et sur leurs terres. Ces projets doivent maintenant être « réévaluées, ajustés ou tout simplement annulés, car ils créent de la pauvreté plutôt que de la réduire, » a-t-il dit. « Le point principal que soulève IPACC est la nécessité de prévoir des freins et des contrepoids dans le « développement » des infrastructures et de l’industrie extractive qui exproprient les autochtones de leurs terres, détruisent la biodiversité et appauvrissent la population ou la contraignent à vivre dans des taudis urbains. »

Certains se sont rendus à Rio pour y chercher des mesures pratiques qui pourraient stimuler le développement économique et la création d'emplois. « Nous espérions que Rio produirait des solutions concrètes en matière de développement durable. En Afrique de l’Est, notre priorité est de préserver la nature, dont nos économies dépendent, » a déclaré Jesca Eriyo, vice-secrétaire générale de la Communauté d’Afrique de l’Est, un groupe régional intergouvernemental comprenant le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie.

« Nous nous attendions à des solutions qui aideraient nos femmes et nos économies à se développer parce que la plupart de nos populations sont pauvres et que l’économie ne répond toujours pas aux attentes, » a déclaré Mme Eriyo.

Toutefois, a-t-elle ajouté, il est difficile de déterminer ce qu'une économie verte signifierait pour les acteurs des secteurs dépendant de la nature comme l’agriculture, la pêche et le tourisme. Si elle apporte l’innovation et l’industrialisation, et crée ainsi des emplois dans les nouvelles industries, elle pourrait être un atout, a-t-elle reconnu.

Pour Charles Mbella Moki, le maire de Buea, une ville du sud-ouest du Cameroun, il faudra du temps pour que la signification du sommet de Rio apparaisse clairement. « Il reste à savoir si, dans les années à venir, cette réunion aura un effet positif sur l’humanité. »