En Afrique du Nord, des révolutions au féminin

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En Afrique du Nord, des révolutions au féminin

Des militantes réclament liberté, dignité et respect de leurs droits
Afrique Renouveau: 
Cairo
Associated Press / SIPA / Alfred
Egyptians in Cairo's Tahrir Square celebrate the fall of the Mubarak governmentSur la place Tahrir au Caire, des manifestants célèbrent la chute du Président Moubarak. Il faut cependant rester mobilisés pour la défense des droits de l'homme et les réformes, estiment de nombreux activistes.
Photo: Associated Press / SIPA / Alfred

Dans les pays arabes, les femmes ont une fois encore prouvé l'importance de leur rôle lors des révolutions. En Egypte comme en Tunisie, elles ont participé aux soulèvements populaires en faveur de la démocratie. Elles continuent depuis à se mobiliser pour que leur société évolue, tout comme elles ont ces dernières années pris part activement à des mouvements de grève, faisant même parfois pression sur les hommes pour qu'ils les rejoignent.

« Les femmes ont participé à la révolution à égalité avec les hommes », affirme Emna Ben Jemaa, journaliste et enseignante tunisienne. « Nous avons défilé dans les rues sans subir de discrimination. »

Le militantisme féminin n'est pas nouveau, ajoute Mme Jemaa. « Pour les Tunisiennes, l'indépendance n'est pas venue avec la révolution. Elle l'a précédée. » Avant l'indépendance du pays en 1955, les Tunisiennes faisaient l'objet d'une discrimination massive. Il était fréquent qu'on les oblige à arrêter leurs études ou qu'on leur interdise de voir des docteurs de sexe masculin. Leur influence dans la sphère politique était très limitée. Mais au cours de cette période, elles ont pris conscience de tout ce dont elles étaient privées et se sont battues pour améliorer leur statut.

Avec l'indépendance, le Président Habib Bourguiba a contribué de manière décisive à améliorer la condition des femmes. En 1956, un « Code du statut de la personne » est adopté. Il donne aux femmes des droits sans précédent au Moyen Orient et dans le monde musulman, notamment le droit de voter et d'être élue au Parlement, le droit de percevoir un salaire égal à celui d'un homme, l'accès à une éducation mixte et au divorce. En 1993, le crime d'honneur – commis le plus souvent par des proches contre des femmes accusées d'avoir transgressé certaines normes culturelles – est condamné par le Code pénal.

Pour toutes ces raisons, la cause des femmes a davantage progressé en Tunisie que dans d'autres pays du Moyen Orient, estime Mme Jemaa. Cela explique que les Tunisiennes aient joué un rôle de premier plan dans la révolution qui a conduit à la chute et l'exil en Arabie saoudite du Président Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier dernier.

« Avant la révolution, la question des femmes n'était pas au centre des préoccupations », note Mme Jemaa. « La liberté et la démocratie pour tous, c'est ce qui nous a poussés, Tunisiens et Tunisiennes, à nous mobiliser contre le régime. »

Commencement

Après la chute du Président Ben Ali, les membres du parti islamiste Ennahda, auparavant interdit par le régime, sont rentrés au pays. Ce parti pourra se présenter aux élections tunisiennes, ce qui n'inquiète pas pour autant Mme Jemaa.

« Les gens craignent que l'islamisme nuise aux droits et libertés des femmes, mais cela ne sera pas forcément le cas. Quand l'Islam est né, les femmes travaillaient et jouaient un rôle actif dans la société. Je ne comprends donc pas pourquoi les gens pensent que la présence d'un parti politique islamiste aboutira nécessairement à l'exclusion des femmes. »

“Long live freedom!” declares graffiti in Tunis« Vive la liberté » lit-on sur ce mur de Tunis. Hommes et femmes étaient unis dans leur mobilisation contre un régime autoritaire.
Photo: Reuters / Louafi Larbi

Mme Jemaa reconnaît cependant que les libertés des femmes risquent de régresser si le pays est dirigé par un parti religieux. « Les gens voient ce qui s'est passé en Algérie et en Iran. L'histoire a montré qu'il n'est pas du tout garanti qu'un parti comme Ennahda préserve les droits des femmes. Même si leurs dirigeants se déclarent en faveur de ces droits, on ne peut être sûr qu'ils tiendront parole une fois arrivés au pouvoir. C'est une règle qui s'applique à tous les hommes politiques. »

Les Tunisiens doivent donc rester vigilants. « Et pour ce qui est de l'avenir", conclut Mme Jemaa, "il faut une révolution des façons de penser et des mentalités. Le changement ne se fera pas du jour au lendemain. A mon avis, nous ne sommes qu'au début de la révolution. »

Sur la place Tahrir

Inspirés par la révolution de leurs voisins tunisiens, les Egyptiens sont à leur tour descendus dans la rue, le 25 janvier, pour réclamer le respect de leurs libertés et de leur dignité. Avant même ces soulèvements, des ouvrières avaient dès 2007 organisé d'importants mouvements de grève, dans des usines de la ville industrielle de Mahalla.

Pendant les 18 jours de manifestations qui ont précédé la chute du Président Hosni Moubarak, sur la place Tahrir au Caire, les femmes représentaient de 40 % à 50 % des manifestants. Des Egyptiennes de tout âge, voilées ou non, ont installé des barricades, mené des débats et chanté des slogans, risquant leur vie aux côtés des hommes.

Pendant la révolution, les hommes et les femmes n'ont pour une fois plus eu à se comporter différemment. Nawara Najm, journaliste, bloggeuse et militante des droits de l'homme, se souvient avoir mené la lutte avec d'autres femmes aux côtés des hommes. « Lorsqu'il fallait se battre, je me battais. S'il fallait jeter des pierres, je jetais des pierres, et je criais des slogans comme les autres. Nous faisions ce qui était nécessaire au nom de la liberté. »

Le 28 janvier, baptisé « Jour de colère », Nawara Najm et d'autres femmes se sont mobilisées pour organiser la résistance. « Quand les affrontements avec la police se sont intensifiés et que les coups de feu se sont multipliés, plusieurs hommes ont battu en retraite. Toutes les femmes se sont placées en première ligne. Quand nos camarades révolutionnaires masculins nous ont vu agir de la sorte, ils ont surmonté leurs peurs et se sont immédiatement joints à nous pour continuer la mobilisation. J'étais sur le pont quand les combats les plus intenses ont eu lieu ce jour-là et j'étais entourée de femmes. Nous avons marché jusqu'à la ligne de front. Tout le monde nous a suivies. »

De ce jour-là date également le pire souvenir de la révolution pour Mme Najm : elle a vu mourir un homme à ses côtés. « Nous étions sur le pont près des rives du Nil. J'ai été bouleversée par la mort de cet homme, parce qu'elle aurait pu être évitée. Nous ne pouvions pas appeler d'ambulance. J'ai essayé d'utiliser mon téléphone mais les lignes étaient coupées. Il a fermé les yeux et j'ai demandé s'il s'était endormi. Quelqu'un m'a répondu qu'il venait de mourir. »

Mais Mme Najm préfère se concentrer sur les bons moments. « La meilleure journée a été celle du 25 janvier : chacun était descendu dans la rue en pensant qu'il serait seul. En voyant que ce n'était pas le cas j'ai été remplie de joie. C'était un très grand moment d'émotion pour moi. »

« Personne ne peut nous arrêter »

Pour Mme Najm, la révolution n'est pas terminée. « Nous avons réussi à chasser du pouvoir le chef du gouvernement, mais le régime est toujours là et nos principales revendications n'ont toujours pas été satisfaites. »

« Je ne crains pas vraiment que les Frères musulmans prennent le pouvoir en Egypte », poursuit-elle. « C'est une organisation politique qui a le même droit que les autres de participer à la vie politique. Tout le monde a sa place en Egypte, chacun a le droit d'exprimer son opinion. Personne ne peut plus s'opposer à la volonté du peuple. Le peuple s'est exprimé et a décidé de ne plus avoir peur. Personne ne peut réduire au silence notre désir de liberté. »

La réalisatrice égyptienne Salma el Tarzi a elle aussi été active pendant la révolution et fait preuve du même esprit combatif que Mme Najm. « Je n'appartiens à aucun parti politique. Je préfère rester neutre pour le moment. Je sais que je serai toujours dans ce qu'on appelle l'opposition, prête à manifester, à me battre. »

Plusieurs semaines après le départ du président Moubarak et le transfert du pouvoir aux militaires, la jeunesse a continué à se réunir sur la place Tahrir, cette fois pour protester contre la lenteur des réformes. Selon Mme Tarzi, les manifestants avaient l'impression que l'armée les avait trahis.

C'est avec indignation qu'elle se remémore ce qui s'est passé lorsque les soldats sont venus évacuer la place Tahrir le 9 mars. « Ils ont violemment dispersé la foule et arrêté plusieurs militants, dont des femmes qui ont été forcées de se soumettre à des tests de virginité. Celles qui n'étaient pas vierges et n'étaient pas mariées ont ensuite été mises en examen pour prostitution. La police et l'armée se sont servies de ces tests comme d'une forme d'humiliation. Les hommes ont eux aussi souffert diverses formes d'humiliation. Seulement, les autorités n'ont pas trouvé de moyens à employer contre eux aussi durs que ceux employés contre les femmes. Mais je suis persuadée que si elles en avaient trouvé, elles s'en seraient servies. »

Comme d'autres femmes, Mme Tarzi continue de protester contre les injustices qui règnent dans l'Egypte d'après Moubarak.

Women in Cairo calling for equal rights.Les femmes du Caire revendiquent l'égalité des droits.
Photo: Fatma Naib

D'Algérie en Arabie

Nabila Ramdani, analyste politique française d'origine algérienne, compare le rôle des femmes pendant les révolutions en Tunisie et en Egypte à celui qu'elles ont joué pendant la Guerre d'indépendance de l'Algérie, entre 1954 et 1962. « Les femmes ont joué un rôle important dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Elles plaçaient des bombes et servaient d'informatrices pour les combattants. Mais l'histoire ne leur a pas donné la place qu'elles méritaient dans la société, ni l'égalité avec les hommes, après la guerre. »

Mme Ramdani pense que la religion, la culture et le droit sont autant de facteurs qui ont contribué à la situation actuelle des femmes en Algérie, certaines interprétations de la religion étant particulièrement problématiques pour les femmes. Dans la Tunisie d'après la révolution, ajoute Mme Ramdani, la voix des femmes est plus forte qu'en Algérie parce que la société est laïque, et la religion et l'État séparés.

Il y a, à son avis, tout lieu d'être optimiste, car les femmes se font enfin entendre. Cette tendance, remarque-t-elle, est notable ailleurs dans le monde arabe, y compris dans des pays comme l'Arabie saoudite ou le Yémen. En Arabie saoudite, où les femmes n'ont pas le droit de conduire, plusieurs d'entre elles ont diffusé en ligne des vidéos dans lesquelles on les voit braver cet interdit. « Avant, il était impensable que les femmes de ce pays défient leur roi en montant dans leur voiture pour conduire », explique Mme Ramdani.

« J'ai bon espoir pour l'avenir des femmes au Moyen Orient », poursuit-elle. « La barrière de la peur a été brisée. Cette peur était un obstacle énorme, qui a disparu pour toujours ». Le vent de la révolte qui souffle dans le monde arabe a fait comprendre aux gens que le changement était possible.

Les femmes de la région font face à différentes défis. Si leur situation est meilleure dans certains pays, partout, elles souhaitent être entendues. Leur revendication : le respect de leurs droits fondamentaux, au sein de sociétés où règnent la liberté et l'équité.  

Fatma Naib, l'auteur de cet article, est journaliste à Al Jazeera.

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