Le périlleux attrait de l’Europe

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Le périlleux attrait de l’Europe

Les jeunes continuent de risquer leurs vies
Afrique Renouveau: 
Migrants from Africa and elsewhere rescued from a smuggler's boat by an Italian naval ship in the Mediterranean. Photo credit: UNHCR/A. D'Amato
Photo: UNHCR/A. D'Amato
Des migrants d’Afrique et d’ailleurs secourus par un navire de la marine italienne en Méditerranée. Photo: UNHCR/A. D'Amato

Amadou a quitté le Sénégal avec son frère cadet en 2016 pour aller en Italie. « Beaucoup de mes amis partis en Europe sont rentrés au Sénégal avec de l’argent pour se construire des maisons », raconte-t-il en soulignant que nombre d’entre eux sont partis sans documents.

« Je pensais pouvoir être l’un d’entre eux », écrit-il encore pour Je suis migrant, une campagne parrainée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui offre aux migrants une plateforme pour raconter leurs histoires de migration.

Après un périlleux voyage, Amadou et son frère de 16 ans sont arrivés sur les côtes libyennes. Amadou a trouvé un emploi dans une petite boutique. Grâce à ce travail, il comptait économiser de l’argent pour la prochaine étape de son voyage vers l’Italie. Mais des jours entiers passés à travailler ne lui ont pas permis de réunir la somme nécessaire.

Un jour, son frère a été tué. « Ils l’ont attaqué en plein jour, dans le centre-ville. Ils lui ont demandé de l’argent, mais il n’en avait pas... alors ils lui ont tiré dessus », raconte Amadou. Sa famille l’a supplié de rentrer.

« J’ai fait tout mon possible pour retourner chez moi », écrit-il en décrivant son expérience au Niger, pays de transit pour les migrants ouest africains où l’OIM aide ceux qui, comme Amadou, sont bloqués sur place, à rentrer chez eux en toute sécurité.

Amadou avait vendu tous les moutons de son père et promis de les remplacer dès son arrivée en Italie. « Mais je ne suis jamais arrivé en Italie. Si je trouve du travail au Sénégal, je resterai, sinon, je tenterai ma chance une deuxième fois. »

Voyage meurtrier

Amadou n’est pas seul dans son désir de tout risquer pour faire le dangereux voyage vers l’Europe dans  l’espoir d’y trouver un emploi. Chaque année, dans de nombreux autres pays d'Afrique, des hommes de 18 à 40 ans partent en direction de l'Afrique du Nord en empruntant les itinéraires bien rodés des passeurs, puis embarquent pour traverser la Méditerranée et rejoindre l’Europe.

Dans des conditions climatiques souvent difficiles, ils voyagent des jours entiers dans le désert, subissant les mauvais traitements des passeurs et des réseaux criminels et dépensant de fortes sommes d’argent pour financer leur voyage. Un bon nombre d’entre eux se retrouvent bloqués dans les pays de transit et certains sont alors obligés de rentrer dans leur pays d’origine.

Au Niger, un migrant de Sierra Leone qui voyageait avec deux de ses fils a raconté aux travailleurs humanitaires comment le conducteur de leur véhicule les avait abandonnés dans le désert pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’ils fassent demi-tour. 

Même lorsque ces migrants issus de toute l’Afrique arrivent en Libye, leur sécurité n’est pas garantie du fait de l’instabilité qui règne dans ce pays. 

Certains de ces migrants africains réussissent à rejoindre l’Europe par la Méditerranée sur des radeaux ou des bateaux surchargés après avoir payé  entre 3 000 et 5 000 dollars par personne pour le voyage. Beaucoup d’autres meurent en tentant leur chance .

Rien qu'en  2015, quelque 171 000 migrants sont arrivés en Italie en provenance d’Afrique du Nord selon les autorités italiennes. Ce chiffre est le plus élevé jamais enregistré, battant le record établi en 2014 avec 170 100 arrivées.

Un autre record a été battu en 2016 : celui du nombre de morts parmi ceux qui ont cherché à rejoindre l’Europe par la mer. Le Projet de l'OIM sur les migrants disparus a enregistré 5 085 décès de migrants et réfugiés en Méditerranée en 2016, contre  3 777 l’année précédente et 3 279 en 2014.

Facteurs d’attraction

« Les gens migrent pour des raisons différentes, mais parfois c’est comme de sauter sans parachute : vous n’avez pas d’autre choix », témoigne Emmanuel sur le site Je suis migrant. Emmanuel est un chrétien de Somalie qui vit au Luxembourg.

Selon l’OIM, la grande majorité des migrants africains qui viennent en Europe par la Méditerranée sont des Érythréens fuyant la répression et le service militaire obligatoire, des Somaliens qui cherchent à échapper à  l'extrême pauvreté , l’instabilité politique et l’insécurité de leur pays, et des Soudanais chassés par les conflits armés.

En tête de liste, on trouve aussi des migrants originaires du Nigéria, de Gambie, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Mali, du Sénégal et, dans une moindre mesure, du Ghana.

Selon Monica Chiriac du bureau de l’OIM au Niger, c’est essentiellement le manque de « perspectives économiques et l'absence d’espoir d’une vie meilleure dans leur pays d’origine » qui motive les candidats au départ chez les jeunes d’Afrique de l’Ouest.

Emmanuel Asante est originaire de Brong Ahafo, la région d’où provient la majorité du trafic migratoire illégal au Ghana. Avec un groupe d’amis, il a entrepris en 2007 le périlleux voyage jusqu’en Libye. Il avait une formation d’électricien automobile et économisait de l’argent pour monter son propre atelier.

« Je n’avais pas l’intention d’aller en Europe. J’avais entendu que traverser la Méditerranée n’était pas facile », se souvient M. Asante.

À Tripoli, la capitale libyenne, il a travaillé sur un chantier de construction et mis  environ 150 dollars par mois de côté pour s’acheter un terrain chez lui, au Ghana. En 2010, il est rentré avec 3 000 dollars à investir. À 33 ans, M. Asante possède aujourd'hui un magasin de composantes  électriques pour voitures. Mais les affaires ne sont pas bonnes, dit-il, et cette fois il veut faire le voyage jusqu’en Europe.

« Les migrants en sont venus à croire que la seule façon de réussir leur vie était de quitter leur pays », explique Kwadwo Boakye-Yiadom de Migrant Watch & Skilled Revolution Front, une ONG qui intervient  à Nkronza Sud dans la région de Brong Ahafo pour sensibiliser les candidats au départ aux dangers des routes migratoires.

En dépit des risques qui attendent les migrants sur la route, les bénéfices du voyage en Europe sont manifestes partout autour d’eux, comme dans le village gambien de Sabaa et dans la région de Nkoranza au Ghana où des cases  aux toits de chaume  cèdent  peu à peu la  place aux maisons en dur, principalement financées par l’argent de parents qui vivent à l’étranger.

« Le projet des jeunes qui ont entre 14 et 15 ans et vont à l’école secondaire, c’est d’aller en Libye puis en Europe », explique  M. Boakyi-Yiadom  à Afrique Renouveau. Pour Adanse Aikins, qui enseigne à l’Institut technique de Nkoranza, le principal facteur qui explique cette tendance est la pauvreté. 

Tendance mondiale

Ces 15 dernières années, le nombre de personnes en mouvement à l’échelle mondiale a été en forte augmentation, quelle qu’en soit la raison – de la recherche de travail à celle d’une vie meilleure à l’étranger. Selon le Rapport  sur les migrations internationales, 2015 des Nations Unies, ils étaient 244 millions  cette année-là. Contrairement à ce qu’on croit, les Africains ne représentent que 14% du total de ces personnes, soit 34 millions de migrants en 2015. Leur destination n’est pas non plus nécessairement celle des pays développés.

Selon le secrétariat régional aux migrations mixtes (Regional Mixed Migration Secretariat, RMMS), une organisation qui aide plusieurs agences de la Corne de l’Afrique et du Yémen dans la gestion et la protection des migrants, l’Afrique reste en effet la première destination des migrations intrarégionales. Leurs  économies étant plus performantes, le Kenya et l’Afrique du Sud sont les principaux pays de destination de la migration mixte – qui comprend les réfugiés et les migrants illégaux et économiques – venus d’autres pays africains.

« Si les gens n’ont aucun moyen de subsistance, ils n'attendent pas de mourir de faim, mais cherchent à partir pour de meilleurs horizons », expliquait à Bruxelles l’ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, à l’issue d’une réunion sur la crise des migrants avec le président de la Commission de l’Union européenne (UE), Jean-Claude Juncker, en 2015.

Certains experts du développement jugent que l’approche adoptée par l’UE aux termes du Cadre de Partenariat pour les migrations signé  en 2016, qui vise à renforcer la coopération avec les pays du tiers monde pour mieux gérer les migrations, n’endiguera pas la tendance, car les résultats de l’aide au développement (quand il y en a) ne sont pas immédiats.

Les décideurs de l’UE se servent de l’aide au développement pour faire pression sur les pays de transit et les pays d’origine comme l’Éthiopie, le Niger, le Nigéria, le Mali et le Sénégal, afin qu'ils mettent  en œuvre des politiques de lutte contre les migrations. Pour les experts, cela ne fait que déplacer le problème.

En décembre dernier, le Mali a été le premier pays à signer un accord « argent contre migration » aux termes duquel il a reçu une enveloppe de 145,1 millions d’euros en fonds pour le développement en échange du rapatriement de Maliens ayant migré illégalement. Cette enveloppe doit aussi permettre de créer des emplois et de lutter contre les passeurs et les réseaux criminels, quand cela est possible.

Le ralentissement de ces flux migratoires exigera des efforts de sensibilisation et  une collaboration. Transformer l’aide en croissance économique prend aussi beaucoup de temps. À court terme, il est donc peu probable que cette aide ait un effet notable sur les décisions de migration des individus. En outre, quand l’aide commencera à favoriser la croissance, elle pourrait avoir l’effet inverse à celui attendu sur les migrations. Dans les pays très pauvres comme le Mali, l’émigration tend en effet à augmenter avec le revenu des ménages. Lorsqu’un nombre plus important de familles s’enrichissent, elles sont en effet en mesure de payer pour les coûts élevés de la migration.