Frustrée mais peu engagée

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Frustrée mais peu engagée

Franck Kuwonu
Afrique Renouveau: 
Workers in Durban, South Africa, protesting over youth unemployment.     Reuters/Rogan Ward
Photo: Reuters/Rogan Ward
Des travailleurs défilent contre le chômage des jeunes à Durban en Afrique du Sud. Photo: Reuters/Rogan Ward

Lorsque les forces de l'ordre ont embarqué en décembre 2016 un groupe de manifestants politiques à Banjul, la capitale de la Gambie, la plupart des personnes arrêtées étaient des jeunes. Ceux-ci protestaient contre la décision du président gambien de l’époque, Yahya Jammeh, de rester au pouvoir après avoir initialement reconnu sa défaite face à son adversaire électoral, Adama Barrow. Cédant aux pressions locales et internationales, M. Jammeh a fini par abandonner  le pouvoir avant de s’exiler.

Les protestations gambiennes ne constituaient qu'un exemple des séries de manifestations qui ont secoué de nombreux pays du continent ces 10 dernières années. Rien qu'en  2015 et 2016, près de la moitié du continent a connu des manifestations importantes, selon Africanews, une chaîne d'information panafricaine. 

En Éthiopie, les régions d'Oromia et Amhara ont mobilisé l’attention alors que des foules de gens protestaient presque tous les jours à cause de problèmes de propriété foncière puis d’exclusion politique. En Afrique du Sud, face à des projets d’augmentation des frais de scolarité, les étudiants ont investi la rue pour exiger des réformes profondes de l’enseignement universitaire.

En République démocratique du Congo (RDC), les incertitudes quant à la fin du mandat constitutionnel du Président Joseph Kabila ont suscité des manifestations et des émeutes dans la capitale, Kinshasa, aussi bien que  dans l'ensemble du  pays pendant la majeure partie de l’année. 

Au Zimbabwe en 2016, à la suite d'une campagne sur les réseaux sociaux contre le mandat prolongé du Président Robert Mugabe, les manifestants sont descendus dans la rue, comme ils l'avaient fait de nombreuses fois ces dix dernières années pour marquer leur opposition au  gouvernement.

Les reportages sur les manifestations mettent  régulièrement en lumière la présence active de jeunes mécontents du climat politique et social sur le continent. Parti de Tunisie, le Printemps arabe a été inspiré par des manifestations de jeunes. En Égypte, les jeunes militants ont joué un rôle crucial  dans l'instauration d'un nouvel ordre  politique qui semble s’être peu à peu défait, alors qu’en Afrique de l’Ouest, les militants sénégalais de Y’en a marre et burkinabé de Le Balai Citoyen ont réussi à se mobiliser contre des réformes constitutionnelles dans leurs pays respectifs. 

Dans d’autres pays, comme le Burundi, la République centrafricaine et le Gabon, les jeunes ont clamé leur  mécontentement face à une variété de questions, notamment la question des élections libres et équitables. 

Pourtant, malgré le rôle croissant des jeunes dans les manifestations politiques, les études suggèrent que la participation politique des jeunes de 18 à 35 ans va rarement  au-delà de la protestation. 

« Les jeunes Africains sont moins susceptibles que leurs aînés de voter aux élections nationales, de mener des activités civiques ou de se joindre à un mouvement de contestation », a expliqué à Afrique Renouveau Michael Bratton, professeur de sciences politiques et d'études africaines à l’Université d' État du Michigan aux États-Unis. 

Le Professeur Bratton faisait référence à une enquête publiée en août 2016 par Afrobaromètre,  un réseau de recherche panafricain indépendant basé au Ghana, qui mène des enquêtes d’opinion publique et dont il est le cofondateur. Menée dans 36 pays à travers le continent, l’enquête a révélé que seulement 65 % des jeunes ayant le droit de vote ont voté à la dernière élection nationale de leur pays, contre 80 % environ pour les personnes âgées. 

Alors comment expliquer que les jeunes, bien qu'il manifestent plus souvent que leurs aînés ,  sont souvent moins  impliqués dans les processus politiques sur le continent ? 

« La situation n’est pas spécifique à l’Afrique , indique le Professeur Bratton.  La tendance est mondiale. » 

L’une des principales raisons qui l'expliquent est la réticence générale des jeunes militants du continent à s’associer à la politique partisane, en raison de leur manque de confiance à l’égard des représentants élus actuels. Les jeunes de certains pays pensent souvent que les hommes politiques sont en règle générale corrompus et que ceux qui les rejoignent se laissent gagner par la corruption.

Boniface Mwangi, un jeune militant politique kényan, agitateur et populaire, a suscité l’étonnement dans son pays lorsqu’il a annoncé en 2016 qu’il allait briguer un siège parlementaire en 2017. À l’occasion de la séance de dédicaces de son livre, à New York en janvier, une jeune femme perplexe a confronté M. Mwangi. « Qu’est-ce qui vous fait penser que vous ne deviendrez pas comme eux ? », lui a-t-elle demandé. Un autre Kényan a exigé de M. Mwangi qu’il explique pourquoi il pensait qu'il ne deviendrait pas comme ceux qu'il avait  accusés de corruption, et qu'il voulait maintenant rejoindre. Le  jeune politicien a répondu qu’il avait « des principes et qu'il ne changerait pas », mais la majorité des jeunes Kényans présents n'ont pas eu l'air convaincu. 

Quand les jeunes descendent dans la rue pour protester, ils le font habituellement sous la bannière de groupes civiques ou non partisans. « Nous ne sommes pas des hommes politiques, nous sommes des citoyens et nous ne voulons rien devoir aux  partis politiques », a déclaré à Afrique Renouveau Idrissa Barry de Le Balai Citoyen. Ces jeunes disent vouloir  rester apolitiques  et se contenter de manifester afin d'amener les responsables politiques à répondre de leurs actes.

Pourtant, en refusant d’occuper des fonctions politiques, les jeunes semblent se priver de la  possibilité de participer à l’élaboration des politiques ou de contribuer à la réforme des lois. Lorsqu’ils souhaitent se présenter à des élections, ils se heurtent aussi au problème de la  disparité entre les âges de vote et ceux d’éligibilité. Dans la plupart des pays, « il y a un écart entre l’âge légal... de vote et l’âge auquel une personne peut occuper des fonction électives  »,  note un guide publié en  2013 par le  Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur le renforcement de la participation des jeunes tout au long du cycle électoral. Alors que la majorité électorale moyenne du continent est de 18,2 ans, l’âge d’éligibilité est de 22,1 ans.

Investir

« Une  révolution des compétences africaines s'impose  pour libérer le potentiel, l’énergie, la créativité et les talents des jeunes d’Afrique », a déclaré  cette année Nkosazana Dlamini-Zuma, l’ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine (UA). 

Alors que les dirigeants africains se réunissaient en janvier dernier à Addis-Abeba (Éthiopie)  pour débattre  de la manière dont le continent pourrait tirer pleinement parti des opportunités offertes par les jeunes et lutter contre le chômage, Mme Dlamini-Zuma a déclaré que pour aller de l'avant il fallait impliquer la jeunesse, créer des emplois, transformer les économies, notamment en les diversifiant, moderniser et industrialiser l’agriculture et investir dans la jeunesse. 

L’UA a reconnu l’importance d’investir dans la jeunesse en adoptant la Charte africaine de la jeunesse il y a environ 10 ans puis en déclarant la période 2009-2018 « Décennie de la jeunesse africaine ». Elle a mis au point un plan d’action visant à autonomiser les jeunes et à encourager leur participation à la vie politique. Pourtant, comme l’ont montré les manifestations dans de nombreuses villes africaines, ainsi que diverses enquêtes, les plans visant à faire élire davantage de jeunes  ne se sont pas concrétisés . 

Alors  que la décennie de la jeunesse prendra fin dans moins de deux ans, en 2018, rien ne semble indiquer que les gouvernements aient  conçu, et encore moins, mis en œuvre, des programmes ciblant  les jeunes pour encourager leur participation aux processus politiques, si ce n'est dans quelques pays. 

Certains pays ont adopté des mesures en faveur des jeunes pour que ceux-ci soient représentés  au parlement. Selon le PNUD, l’Ouganda réserve cinq sièges parlementaires aux représentants de la jeunesse. Au Kenya, 12 sièges parlementaires sont réservés aux représentants désignés par les partis politiques afin de représenter les intérêts particuliers, notamment les jeunes, les personnes handicapées et les travailleurs. Au Rwanda, le Conseil national de la jeunesse élit deux membres à la Chambre des députés. Au Maroc, la loi électorale réserve 30 sièges aux candidats de moins de 40 ans. 

Toutefois, la plupart des initiatives en faveur des jeunes sur le continent semblent davantage consister  à leur fournir des emplois et une éducation décente que d'assurer leur  participation au système politique, et notamment leur  représentation. 

En Tanzanie, à l'approche de l’élection présidentielle d'octobre 2015, les observateurs ont noté que la jeunesse du pays pouvait faire basculer le scrutin en faveur de la coalition  de l’opposition, et mettre  ainsi fin à la présence depuis des décennies du parti sortant à la tête de ce pays d’Afrique orientale depuis son indépendance. Ils ont fait état de l'utilisation des réseaux sociaux en tant qu'outils de campagne, de la participation de  très nombreux  jeunes en tant qu’observateurs électoraux et de la forte présence de jeunes aux rassemblements organisés par l’opposition. 

L’activisme numérique comme mode alternatif de participation politique a renforcé la participation des jeunes aux affaires civiques et à la « petite politique », selon le Global Youth Development Index and Report 2016. Par petite politique, le rapport entend les enjeux sociaux et environnementaux, principalement au niveau local. « Les jeunes utilisent les médias sociaux pour exprimer leur opinion, participer aux campagnes et organiser des manifestations », indique le rapport.

Toutefois,  en dépit de l'élan suscité  par le Printemps arabe et de la participation des jeunes grâce à laquelle de nouveaux dirigeants ont été élus au Burkina Faso, en République centrafricaine, au Tchad, au Gabon, au Niger et au Sénégal, l’engagement politique chez les jeunes d'Afrique ne semble pas s’être renforcé. 

Selon le Professeur Bratton, cela peut être attribué aux « informations diffusées par les médias et à l’utilisation intensive des réseaux sociaux par les jeunes ». Ceci a sans doute  contribué à offrir une vision faussée de l'influence réelle exercée par les jeunes du continent.

Pourtant, même si les jeunes restent moins engagés que leurs aînés dans toutes les autres catégories de participation politique, à l’exception des manifestations et protestations, l’expérience tanzanienne a montré qu’ils ont sans doute trouvé leur voix sur les réseaux sociaux et qu’ils participent à la vie politique d’une autre manière.