Zimbabwe : ravitailler la nation devient un défi

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Zimbabwe : ravitailler la nation devient un défi

Zimbabwe
Africa Media Online/David Larsen
De nombreux travailleurs agricoles du Zimbabwe ont perdu leur emploi après la fermeture de grandes exploitations commerciales. Photo: Africa Media Online/David Larsen

Au Zimbabwe il faut 1,8 million de tonnes de maïs par an pour satisfaire les besoins de la population et du bétail. Or, 798 500 tonnes de maïs à peine ont été produites pendant la campagne agricole 2012-2013. L’ancien «grenier de la région», doit combler son déficit de maïs par des importations et compter sur l’aide financière des donateurs. Après la récolte de 2013, le Programme alimentaire mondial, a annoncé que 2,2 millions de personnes (soit un quart de la population rurale) auraient besoin d’aide alimentaire à compter d’octobre 2013 et jusqu’aux premiers mois de 2014.

Cette situation est devenue la norme depuis 2001, année où le Zimbabwe a pour la dernière fois été autosuffisant en maïs. Selon certains experts, si le pays est devenu importateur de produits alimentaires c’est à cause du programme de réforme agraire lancé en 2000, attribuant des exploitations agricoles des fermiers blancs à des Noirs sans terre. Ces derniers n’auraient pas eu les compétences nécessaires pour exploiter les terres à un niveau comparable à celui de leurs prédécesseurs.

Toutefois le tableau est plus complexe. Selon le Syndicat des agriculteurs du Zimbabwe (Commercial Farmers’ Union, CFU), qui représentait les exploitants agricoles blancs mais auquel tous les cultivateurs peuvent maintenant adhérer, jusqu’en 2001, soit un an après le lancement de la réforme agraire dite «accélérée», les petits exploitants produisaient la majeure partie de la récolte de maïs du pays. «Sur les deux millions de tonnes de maïs produits en moyenne chaque année, plus de la moitié l’était par les petits exploitants [noirs]», explique Richard Taylor, un porte-parole du CFU. En 2001, ces mêmes exploitants ont produit 1,2 million de tonnes alors que les gros exploitants agricoles - des blancs pour la plupart - n’en ont produit que 800 000. La contribution de ces derniers s’est maintenue à ce niveau au fil des années car ils irriguaient leurs terres, alors que celle des petits exploitants dépendait des aléas météorologiques.

Richard Taylor attribue les résultats médiocres obtenus dans ce secteur à l’absence de soutien financier, il propose la mise en place d’un programme permettant aux petits exploitants d’emprunter les semences ou les engrais auprès des sociétés productrices. «Ces prêts seraient garantis par le gouvernement et les agriculteurs les rembourseraient après avoir vendu leurs récoltes», poursuit Richard Taylor. Il estime aussi que les droits fonciers constituent une solution au problème actuel. «Les agriculteurs devraient bénéficier d’une sécurité d’occupation foncière afin de pouvoir utiliser leurs terres comme garantie quand ils demandent un prêt», explique-t-il. Et il qualifie les dons de semences ou d’engrais faits aux agriculteurs les plus vulnérables par le gouvernement et les organisations non gouvernementales de solution non durable.

Ce sentiment est partagé par un haut fonctionnaire du ministère de l’Agriculture qui, sous couvert d’anonymat, a expliqué à Afrique Renouveau que l’absence de soutien n’est pas le seul facteur qui permet d’expliquer l’incapacité du pays à produire assez pour nourrir sa population. «Dans certaines parties du pays où la terre n’est pas assez bonne et les précipitations irrégulières, il ne faudrait même pas chercher à produire des cultures», dit-il. Le gouvernement a divisé le pays en cinq zones agro-climatiques ou naturelles, en fonction des chutes de pluie dont chacune d’entre elles bénéficie. D’une région à l’autre, la production vivrière se détériore progressivement.

Selon ce même responsable, en l’absence d’irrigation, la meilleure option serait de permettre aux agriculteurs de se spécialiser dans les activités agricoles adaptées à leur région. Il cite en exemple Beitbridge dans le sud du pays – une région habituée aux sécheresses et où l’agriculture n’est pas une activité rentable. «Même si ces exploitants passent à des petites semences résistantes à la sécheresse, comme le sorgho ou le millet, les chutes de pluies sont si imprévisibles que ces petites semences risquent de ne pas survivre. Ces exploitants devraient plutôt se concentrer sur le bétail et les chèvres, dont la vente leur permettrait d’acheter de quoi se nourrir». Ce responsable ajoute que bien que le gouvernement soit conscient du problème il est, selon lui, peu disposé à encourager le passage d’un mode d’agriculture à l’autre à cause des incidences politiques négatives qui pourraient en résulter. Les agriculteurs qui font pousser du maïs – la denrée de base pour la majorité des Zimbabwéens – pourraient être moins disposés à changer leurs habitudes.

Le Dr Sam Moyo, de l’Institut africain des études agraires (African Institute of Agrarian Studies), s’inquiète lui aussi de l’absence de soutien à la production alimentaire. «Les subventions sont la seule manière d’améliorer la production alimentaire», affirme-t-il, en citant l’exemple de la Zambie, pays où les subventions ont permis d’augmenter la production alimentaire. Paradoxalement, c’était la Zambie qui autrefois importait des céréales du Zimbabwe.

Le vice-ministre de l’agriculture David Marapira reconnaît que l’irrigation contribuerait grandement à l’amélioration de la productivité agricole. «Le pays possède de très nombreux barrages mais cette eau-là reste inutilisée», nous a-t-il déclaré. Malheureusement, la quantité de terres irriguées dont le Zimbabwe dispose aujourd’hui est inférieure à ce qu’elle était quand le programme de réforme agraire a débuté.

Coup d’œil sur le Zimbabwe

Le gouvernement a débloqué 250 000 dollars pour l’entretien des plans d’irrigation en 2013, mais en novembre de cette même année, seuls 36 000 dollars avaient été effectivement déboursés. Le budget 2014 met de côté 138 000 dollars pour servir le même objectif. Mais les analystes ne sont pas très optimistes, évoquant l’écart qui existe entre les sommes annoncées par le gouvernement et les celles effectivement déboursées.

Pour Paul Zakariya du Syndicat des agriculteurs du Zimbabwe, seule une refonte globale du secteur agricole permettra de revenir à l’époque où le Zimbabwe produisait assez pour nourrir sa population et où l’agriculture contribuait à hauteur de 40% des ressources en devises étrangères du pays grâce aux exportations. «Il nous faut des modalités financières spécifiquement conçues pour l’agriculture et ses divers secteurs, au niveau communal ou commercial, à petite ou à grande échelle; il faut aussi que nous puissions envisager non seulement un fonds de roulement, mais aussi des investissements dans l’infrastructure comme l’irrigation, ou les routes de desserte... »

Selon les experts, le gouvernement doit investir jusqu’à 2 milliards de dollars dans le secteur agricole pour que celui-ci puisse subvenir aux besoins du pays. Mais la situation économique du pays étant désastreuse, seulement 155 millions de dollars ont été alloués au ministère de l’Agriculture pour le budget 2014 qui s’élève à 4,4 milliards de dollars, et ce alors même que le ministère avait réclamé 490,5 millions de dollars de budget. Prince Kuipa, économiste en chef au Syndicat des agriculteurs du Zimbabwe, souligne d’ailleurs que cette somme ne représente qu’une estimation et qu’au vu des expériences passées, il est peu probable que le ministère obtienne l’intégralité de cette somme.

Pour couronner le tout, les banques privées refusent d’accorder des prêts aux agriculteurs car elles considèrent les baux emphytéotiques (de 99 ans), qu’ils fournissent en garantie, comme une trop grande prise de risque. Ces banques affirment qu’elles ne peuvent prendre possession de ces terrains en cas de défaut de paiement puisque dans leur forme actuelle, ces baux ne donnent aux agriculteurs que le droit d’exploiter les terrains, sans droit de propriété, ces terres appartenant officiellement à l’État.

Le budget 2014 prévoit une récolte globale de 1,3 million de tonnes de maïs. Mais face à ce chiffre le scepticisme est de rigueur : même si le pays bénéficie de pluies adéquates, les agriculteurs ne disposent pas assez de liquidités afin d’acheter de quoi produire pour nourrir le Zimbabwe. 

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