Le leadership est avant tout une question de personnes – Festus Mogae

Get monthly
e-newsletter

Le leadership est avant tout une question de personnes – Festus Mogae

Tefo Pheage
Festus Mogae, served as the president of the southern African country of Botswana from 1998 to 2008.
UN Photo/Michelle Poiré
Festus Mogae, former president of Botswana

Festus Mogae a été président du Botswana, pays d'Afrique australe, de 1998 à 2008. Il a reçu plusieurs distinctions internationales, dont le prix Ibrahim 2008 de la bonne gouvernance en Afrique . Dans un entretien récemment accordé à New York à Tefo Pheage pour Afrique Renouveau, l’ancien président partage ses réflexions sur les droits des homosexuels, la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, le droit des populations civiles à la protection en cas de crise humanitaire et la lutte contre le VIH/SIDA. Ce qui suit est un extrait de l’entretien intégral.

Afrique Renouveau : Commençons par les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles (LGBT). Certains dirigeants africains considèrent  qu’en Afrique, les droits des homosexuels sont contre nature. Ces mêmes dirigeants ont applaudi le président zimbabwéen Robert Mugabe quand il a déclaré à la tribune de la 70ème Assemblée générale des Nations Unies que les Africains n’étaient pas gays. En tant que défenseur des droits de ces personnes, quel est votre point de vue ?

Fetus Mogae : Il n’est pas surprenant que nous donnions l’impression de ne pas parler la même langue. Les différences d’opinion sont toujours bienvenues. Même si je reconnais que les Occidentaux essaient souvent de forcer la main à l’Afrique et de lui imposer certaines de leurs priorités, et même si je pense que nous devons nous méfier de cette tendance, je considère que nous, Africains, devons admettre que le monde change et qu’il nous faut changer avec lui. Le plus souvent, cela suppose de revoir certaines de nos plus intimes convictions. Cela fait des années que j’ai des contacts avec les groupes LGBT et que j’explore cette question. J’ai compris que notre savoir était limité et que nous devons rester ouverts aux nouvelles découvertes. Je suis un converti. J’avais jadis un point de vue identique à celui de mes homologues. Le président Mugabe a déclaré qu’il détestait les homosexuels et que pour lui – ce sont ses mots – ces personnes étaient pires que des cochons ou des chiens. C’est sa position et elle n’a pas changé. Mais parfois il faut savoir prendre un peu de recul. Le leadership, c’est avant tout une question de personnes et de circonstances, et j’en appelle aux dirigeants africains pour qu’ils s’ouvrent à la question des droits de la deuxième génération.

Vous vous êtes plusieurs fois retrouvé en porte-à-faux avec les dirigeants actuels et les organisations religieuses du Botswana, du fait notamment de vos prises de positions publiques sur la décriminalisation des pratiques LGBT au Botswana. Comment le vivez-vous ? 

Ce n’est évidemment pas facile, mais quand vous croyez en quelque chose, rien ne doit vous arrêter. Le Botswana a hérité d’une législation qui condamne l’homosexualité. Cette législation, nous ne l’avons pas abrogée même si, plus généralement, nous n’avons jamais harcelé les groupes homosexuels ou lesbiens, ni procédé à des arrestations. Mais la communauté internationale nous dit qu’il ne suffit pas de dire que nous n’arrêtons personne. Elle nous dit que si cette loi existe, vous ou un autre dirigeant pourrait très bien l’appliquer à l’avenir. En tant que pays, nous avons toujours avancé  l’argument selon lequel nous n’avons jamais emprisonné personne pour son appartenance à ces groupes.

Gardez-vous l’espoir que les droits des LGBT seront un jour respectés dans toute l’Afrique ?

Oui, je garde cet espoir et certains pays, comme l’Afrique du Sud, ont montré la voie. Très progressivement, d’autres suivent déjà. Le changement prend du temps et les résistances sont fréquentes dans certains milieux. En Afrique, même les chefs traditionnels se positionnent contre les groupes LGBT. C’est l’un des défis qu’il nous faut surmonter. J’ai participé un jour à un débat organisé par la BBC, au cours duquel des chefs traditionnels expliquaient qu’ils n’aimaient pas les homosexuels parce que les jeunes risquaient de suivre leur exemple. Ils disaient aussi vouloir que leurs enfants se marient, aient des enfants, perpétuent le nom de leurs familles et leur rapportent des dots, entre autres avantages. Je trouve que c’est une façon égoïste de voir les choses et que cela révèle un problème de mentalité à l’égard des droits de ces personnes.

Les Nations Unies ont récemment dû faire face à un barrage de critiques de la part de certains États Membres en raison de  leur inefficacité et du manque de démocratie au sein de l’organisation. Pensez-vous que l’ONU est à la hauteur des attentes ?

Comme toute autre organisation, les Nations Unies doivent faire face à des problèmes et des limites d’ordre interne. Je pense que le  problème vient du droit de veto du Conseil de sécurité. Les Nations Unies seraient plus démocratiques et se porteraient donc beaucoup mieux sans droit de veto. Nous autres Africains devons prôner l'abolition  totale du droit de veto, tout en laissant de côté la question de la composition permanente du Conseil de sécurité. Et dans ce cas, il est clair qu'il y aura une plus grande égalité entre États. Il ne fait aucun doute pour moi qu’aux Nations Unies, il y a des États qui ont plus de droits que d’autres. Le concept même de veto est dépassé et porte atteinte à la réputation de l’ONU.

L’Union africaine demande depuis longtemps un siège au Conseil de sécurité. Dans le même temps, elle semble incapable de s’accorder sur le pays qui pourrait la représenter. Quel est votre position sur ce point ? 

Je soutiens la demande formulée par  l’Afrique  en ce qui concerne l'attribution d'un siège permanent au Conseil de sécurité. Mais la question est  de savoir si nous sommes capables de nommer l’un des nôtres pour nous représenter. Le Nigéria, l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Égypte et plusieurs autres pays veulent entrer au Conseil. Il nous faut défendre l’attribution d’un siège permanent à un pays africain dont le mandat serait de représenter l’ensemble des chefs d’État de l’Union africaine.

Le droit des pays au respect de leur souveraineté peut-il aller de pair avec le droit d’intervention extérieure en cas de faillite économique, de crise humanitaire ou de conflit interne ?

Comme pour tout le reste, c’est à la marge qu’on rencontre des difficultés. Même si un pays est bien gouverné, il peut être confronté à des niveaux de chômage sans précédent comme c'est le cas au Botswana. Cela justifie-t-il une intervention extérieure ? Non. Mais si un pays est déchiré par un conflit ethnique, la communauté internationale est en droit de considérer qu’elle ne peut rester spectatrice d’une boucherie aveugle dont se rendraient  responsables ceux-là mêmes qui sont censés protéger les populations. La souveraineté, comme tous les droits, a des limites. Un dirigeant digne de ce nom ne peut pas tuer, ni harceler sa population et ensuite s'abriter  derrière sa souveraineté. Un dirigeant qui se respecte ne doit pas tuer, mais protéger son peuple. En Afrique, il y a encore des dirigeants qui se croient indispensables et plus grands que nature, et qui pensent qu’ils sont plus importants que le pays qu’ils gouvernent. Cela doit prendre fin. Si un dirigeant perd le contrôle de la situation dans son pays, le monde doit pouvoir intervenir pour sauver les populations.

Vous êtes reconnu comme l’un des grands défenseurs de la lutte contre le VIH/SIDA en Afrique. Que vous ont appris vos nombreux voyages en Afrique sur cette question ?

Nous nous battons âprement mais nous devons faire à de nouvelles infections. Notre pire ennemi, je pense, c’est la complaisance. Souvenez-vous que lorsque le virus a pour la première fois été identifié dans les années 80 en Afrique, les gens mouraient à grande échelle. Dans la panique qui s’est ensuivie, le virus et ses conséquences mortelles ont donné lieu à un excès de stigmatisation et de discrimination. Tout cela a changé depuis. Mais l’erreur serait de croire que nous avons gagné la guerre. Au Botswana, le virus a été considéré comme une urgence. J’ai fait en sorte que la lutte contre le VIH/SIDA ne dépende plus seulement du ministère de la Santé mais aussi de la présidence afin de pouvoir assurer un suivi très précis et exercer l’autorité qui s’imposait. Cette approche a été payante. Selon les statistiques disponibles, la situation s’est fortement stabilisée et cela a aussi été le cas, semble-t-il, dans d’autres pays.