RWANDA

INTERVENTION DE M. GASANA NDOBA,
PRESIDENT DE LA COMMISSION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME DU RWANDA

CONFERENCE MONDIALE SUR LE RACISME, LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XENOPHOBIE ET L'INTOLERANCE QUI Y EST ASSOCIEE

Durban, Afrique du Sud, 31 août - 7 septembre 2001

Monsieur le Président / Madame la Présidente, Excellences,
Distingués Délégués, Mesdames, Messieurs,

Pour le peuple rwandais et pour ses institutions, tant publiques que privées, la Troisième Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée était un événement souhaité, voire fébrilement attendu. C'est la raison pour laquelle le Séminaire National Préparatoire à la Conférence Mondiale, organisé à Kigali, les 16 et 17 août de cette année, a connu une participation diversifiée et exceptionnellement active du public, venu de la capitale comme des onze provinces rurales que compte le pays.

Après avoir débattu avec passion des thèmes majeurs de la Conférence Mondiale, les participants au Séminaire National Préparatoire ont adopté vingt-neuf recommandations générales, essentiellement adressées à l'Etat et à la société civile du Rwanda, ainsi que seize recommandations spécifiques particulièrement inspirées des projets de Déclaration et de Programme d'Action destinés à la Conférence Mondiale. Faute
de temps, il est hors de question de passer en revue l'ensemble de ces recommandations.

Cela étant, Monsieur le Président, permettez-moi de citer un bref passage du préambule des recommandations inspirées de la dynamique des présentes assises (Je cite)

«Le séminaire observe que le Projet de Déclaration de Durban n'a (...) pas tenu compte des recommandations de la Commission d'enquête indépendante - présidée par l'ancien Premier Ministre de Suède, Ingvar CARLSSON -, créée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour enquêter sur l'action de l'ONU pendant le génocide perpétré au Rwanda en 1994. Cette Commission a soumis son Rapport au Conseil de Sécurité le 15 décembre 1999. De ce document, on retiendra, entre autres, les recommandations 1, 13 et 14, dont la première suggère que (nous citons) : « Le Secrétaire Général (sous-entendu « des Nations Unies ») devrait initier un plan d'action, impliquant l'ensemble du Système des Nations Unies, visant à prévenir le génocide et destiné à alimenter les travaux de la Conférence Mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée prévue en 2001 » (Fin de citation)

A ma connaissance, un tel plan ne fait pas partie des documents soumis à la présente Conférence, sans doute parce qu'il n'existe pas ... ou pas encore. Rien n'est perdu pour autant. Car cette Conférence dispose de l'autorité nécessaire pour impulser une dynamique susceptible de combler cette lacune.
Monsieur le Président, Distingués Délégués,
« Tout commence par les mots », disait Jean-Paul Sartre, le célèbre philosophe et écrivain français. En effet, pour combattre le fléau du génocide, il faut commencer par le nommer; mettre un terme à la stratégie de l' esquive, illustrée de manière regrettable par les instructions avérées, données, pendant les premières semaines du génocide, tant par le Secrétariat général de l'ONU que par le Département d'État américain à leur personnel respectif. Il faut plutôt faire face au monstre, courageusement et avec un sens aigu de nos responsabilités vis-à-vis des victimes et des générations futures.

Mesdames et Messieurs,

Holocauste ou Shoah sont les noms, aujourd'hui universellement connus, qui désignent le génocide perpétré par les Nazis contre les Juifs d'Europe au cours de la deuxième guerre mondiale. Apartheid est le nom unique qui désigne le système officiel de discrimination raciale en vigueur en Afrique du Sud de 1948 à 1994, à l'instigation du Parti National, au détriment des Non-Blancs et plus particulièrement des Noirs.

Distingués Délégués,

Le moment est venu de nous familiariser avec un autre nom de l'horreur : itsembabwoko, un mot du kinyarwanda, la langue nationale du Rwanda, formé à partir du verbe gutsemba, qui signifie « exterminer » et ubwoko qui signifie «clan, ethnie, race, espèce, sorte » et bien d'autres choses encore. Un mot polysémique que la raciologie coloniale et ses avatars post-coloniaux ont spécialisé pour exprimer la prison de « l'appartenance raciale ou ethnique » où ils tenaient à coincer chaque Rwandais, au détriment de toutes les autres facettes de son identité, forcément multiple comme celle de tout être humain.

Itsembabwoko est le néologisme forgé par les Rwandais dans l'immédiat après-génocide pour dire l'innommable, la
mémoire de manipulations racistes et de politiques discriminatoires à l'encontre des Tutsi, qui ont culminé dans l'élimination physique d'un million d'entre eux, en trois mois, par les partisans du Hutu Power.

Itsembabwoko est le terme soumis à votre attention parce qu'il constitue une clé pour la reconnaissance et la compréhension de la singularité du génocide perpétré au Rwanda, une arme contre l'incrédulité et l'oubli, contre le négationnisme, le révisionnisme et la minimisation, un outil, à l'instar de ses correspondants, pour la prévention du « crime des crimes ».

Monsieur le Président,

La Commission Nationale des Droits de l'Homme du Rwanda est déterminée à assumer sa part de responsabilité dans la lutte contre le génocide, ultime expression du racisme, contre la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Initiatrice et co-organisatrice, avec le Ministère de la Justice et des Relations Institutionnelles du Rwanda, du Séminaire National Préparatoire à la Conférence Mondiale, elle s'est engagée à assurer le suivi, au niveau national, de la Déclaration et du Programme d'action qui seront adoptées à Durban.

Monsieur le Président, Distingués délégués, Mesdames, Messieurs,

La Conférence Mondiale de Durban est certes une étape, mais une étape majeure d'un combat qui honore l'humanité, à l'orée d'un siècle prometteur. A nous, ensemble, de transformer ces promesses en progrès réels, en termes de dignité, d'égalité et de fraternité pour tous les humains sans discrimination aucune.

Je vous remercie de votre attention.