REPUBLIQUE D'HAITI


Intervention du Ministre des Affaires Étrangères
S.E.M Joseph Philippe ANTONIO
1 er septembre 2001

3ème Conférence Mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui est associée

Durban, Afrique du Sud, 31 août - 7 septembre 2001

 

Madame la Présidente,
Au nom de la délégation haïtienne, je vous félicite pour votre élection ainsi que tous les membres du bureau. Je saisis l'occasion pour transmettre au Gouvernement et au peuple d'Afrique du sud les voeux du Président Jean-Bertrand Aristide, du Gouvernement et du peuple haïtiens.
Le racisme et toutes les autres formes de discrimination ont pour caractéristique essentielle de déshumaniser la personne ou le peuple qui en est victime en portant atteinte à sa dignité. Une telle attitude ne peut que révolter la conscience universelle et doit être condamnée avec la plus grande véhémence par la communauté internationale.

La nécessité de lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie ainsi que toutes les formes d'intolérance doit être au centre des débats de cette Conférence de Durban. Des moyens audacieux doivent être mis en œuvre pour mener cette lutte. L'éducation doit jouer ici un rôle fondamental.
La Conférence de Durban doit être l'occasion de rappeler au monde que l'idéal de justice est à la base de la société internationale, édifice à la construction duquel nous, ici, apportons notre contribution.

Cet idéal de justice s'exprime notamment au travers de l'interdiction de toute discrimination raciale, qui constitue aujourd'hui un principe bien établi. Cette interdiction est inscrite dans les textes de base qui posent les jalons de cette société internationale que nous construisons. Rappelons seulement la Déclaration Universelle des droits de l'homme qui affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux.

Cependant l'objectif ne sera atteint que si nous partons sur des bases solides en rétablissant la vérité historique. Ainsi, les erreurs, horreurs et crimes passés commis en relation avec les pratiques du racisme, de la traite des esclaves et du colonialisme doivent être reconnus, dénoncés, analysés et condamnés pour que jamais plus ils ne se reproduisent. En faisant référence à ces faits, qui ont été à la base d'un système et d'un régime de ségrégation raciale qui avaient pour objectifs la recherche du profit et la puissance hégémonique, la délégation d'Haïti n'a nullement l'intention de faire le procès de qui que ce soit, nation ou institution. Elle estime cependant avec tant d'autres, que c'est un devoir de mémoire de ne pas passer sous silence ces tragédies qui ont souillé l'histoire de l'humanité.

La traite des noirs et l'esclavage constituent donc un crime contre l'humanité. La délégation haïtienne respecte toutes les initiatives tendant à cette reconnaissance, celle de l'Etat français par exemple avec l'adoption de la loi du 21 mai 2001.

Madame la Présidente,

En 2004, Haïti s'apprête à célébrer les deux siècles de son indépendance. A l'aube de cette célébration, je rappelle que l'arrivée des colons à la fan du XVème siècle a été pour l'île de Saint-Domingue, qu'Haïti partage actuellement avec la République Dominicaine, comme pour l'ensemble de la région, le début d'une longue période marquée par la traite, l'esclavage, les traitements inhumains, l'assujettissement et l'exploitation des populations autochtones d'abord puis ensuite des nègres transportés depuis le continent africain comme simples marchandises dans les cales des bateaux pour les besoins en bras du système colonial. Saint-Domingue, était considérée à cette époque comme le joyau de l'Empire colonial des Bourbons, en raison de la richesse produite par la sueur et le sang de ses 50' 000 esclaves.

Une histoire de rébellion aussi. En effet, en 1801 déjà, la première Constitution conçue et rédigée sous l'instigation de Toussaint Louverture, Précurseur de l'indépendance haïtienne, affirmait en son article 3 qu'il ne pouvait exister d'esclaves sur le territoire. Trois ans plus tard, en 1804, la première révolution antiesclavagiste réussie, aboutie à la création de la première République noire, la République d'Haïti. Dès sa naissance, le nouvel État doit faire face à l'hostilité des puissances coloniales de l'époque et payer une rançon de 150 millions de francs or à l'ancienne métropole. Cette situation va constituer un handicap dans le développement ultérieur du pays. Personne ne peut nier l'impact des facteurs historiques dans l'analyse du sous développement du pays.

Madame la Présidente,

Rassemblés dans un pays aussi symbolique que l'Afrique du sud, nous ne pouvons prétendre lutter contre les formes contemporaines de discrimination et faire l'apologie de l'amitié entre les peuples, sans reconnaître le caractère inique des pratiques ci-dessus mentionnées. Tout cela est essentiel pour parler de justice et poser les vrais jalons pour la réconciliation des sociétés du monde.

Pour toutes ces raisons, la délégation d'Haïti soutient l'idée d'une reconnaissance pleine et entière des injustices historiques liées à la traite des noirs, à l'esclavage et au colonialisme. Au nom des victimes de ces 400 ans de violations massives des droits de l'homme, des excuses publiques sont nécessaires sinon, nous passerions à côté de ce rendez-vous historique.

Il ne fait aucun doute que les blessures dues à la traite, à l'esclavage et au colonialisme ne peuvent être comptabilisées car la dignité humaine n'a pas de prix. Mais cela ne peut nous empêcher d'aborder la question de la réparation et des compensations pour ces injustices. Ces réparations devront permettre de travailler à la création d'un nouvel environnement où les handicaps issus de la période coloniale ne puissent continuer à empêcher le développement harmonieux de peuples qui ont déjà tant souffert. A ce sujet, il est a retenir que dans une contribution à la troisième Conférence mondiale le Saint Siège a souligné l'obligation morale pour les pays riches d'aider les pays en voie de développement dont la pauvreté est due aux dommages causés par l'esclavage ou le colonialisme.

Un système international d'indemnisation aux fins de développement devrait être institué. Il comprendrait, entre autres, les éléments suivants
Une plus grande ouverture des marchés internationaux aux produits des pays ayant connu la traite, l'esclavage et le colonialisme ;
Une augmentation de l'aide publique au développement (APD) ;
Une annulation de la dette des pays concernés, notamment les pays les moins avancés (PMA) ;
La création d'un fonds pour l'éducation.

Madame la Présidente,

La délégation d'Haïti est également très préoccupée par la situation particulière des travailleurs migrants et de leur famille dans les pays d'accueil et de transit. Ils sont l'objet parfois de campagnes de dénigrement systématiques dans certains médias et sont le plus souvent perçus comme s'accaparant des emplois des nationaux. Dans certains cas, ces migrants n'ont pas accès à la justice, et leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. Parfois, ils font l'objet d'une discrimination structurelle qui prend diverses formes dont l'exclusion et la réduction des possibilités d'insertion professionnelle et d'accès aux institutions de l'Etat dans des conditions d'égalité et sont sous payés.Davantage d'efforts devraient être déployés en vue d'améliorer la situation des migrants en consolidant notamment les mécanismes existants.

Madame la Présidente,

Durban devra aussi permettre à la Communauté internationale pour faire une autocritique de son attitude vis-à-vis de certains pays ou groupe de pays. L'évolution des relations internationales montre que certaines situations jouissent d'une meilleure attention que d'autres ; certains Etats bénéficient d'une meilleure compréhension que d'autres. Nous devons être vigilants pour empêcher la résurgence de certaines pratiques néocolonialistes. Sous prétexte du respect des droits de l'homme, de la démocratie, certains Etats interviennent dans les affaires internes d'un autre et gèlent parfois, comme c'est dans le cas d Haïti, toute l'aide financière et économique, indispensable au développement du pays ?. La délégation d'Haïti estime que cette Conférence devrait également se pencher sur certains comportements de la Communauté internationale, notamment de certaines institutions, de certains pays qui pourraient être assimilées à des pratiques discriminatoires.

Les victimes attendent beaucoup de nous et veulent de solutions concrètes et efficaces. C'est pourquoi la délégation d'Haïti estime que les textes qui seront adoptés par la Conférence devront prévoir un mécanisme de suivi chargé de surveiller leur mise en oeuvre.


Madame la Présidente,

2004 marquera le bicentenaire de l'indépendance d'Haïti. Le peuple haïtien compte en faire un événement exceptionnel et nous vous convions tous à venir le célébrer avec nous.

Je vous remercie.