FRANCOPHONIE

DISCOURS DE M. CHARLES JOSSELIN,

MINISTRE DELEGUE A LA COOPERATION

ET A LA FRANCOPHONIE,

A LA CONFERENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME,

LA XENOPHOBIE ET L'INTOLERANCE QUI Y EST ASSOCIEE

(DURBAN, 1er SEPTEMBRE 2001)

 


Monsieur (Madame) le (la) Président(e)

Monsieur le Secrétaire Général,

Madame le Haut Commissaire,


Mesdames et Messieurs les chefs de délégation,

 


Quel pays pouvait mieux que l'Afrique du Sud, symboliser l'espoir de terrasser ces fléaux que sont le racisme et la xénophobie ? C'est ici qu'un peuple a combattu victorieusement pour retrouver sa dignité, briser les barrières de l'apartheid et se rassembler.

Nous sommes à Durban pour dire à la face du monde notre rejet absolu du racisme, de la xénophobie et de toutes les discriminations. L'horreur des plus grands massacres qu'ils provoquent, comme les humiliations au quotidien qui en résultent, sont inacceptables. Les uns comme les autres injurient l'égale dignité des individus. Face aux multiples facettes d'un même mal, tous les gouvernements, tous les peuples, toutes les femmes et tous les hommes, tous les citoyens du monde ont l'ardente obligation de se mobiliser.

Car il n'existe qu'une seule espèce humaine et nous rejetons sans appel toute théorie tendant à affirmer l'existence de races humaines distinctes.

Mesdames, Messieurs,

Durban nous offre une occasion privilégiée de regarder en face notre passé commun. Ayons le courage de la saisir.

Pratique immémoriale, officiellement disparue, l'esclavage, en réalité, se perpétue insidieusement dans certaines régions et à travers certaines pratiques. Toutes les civilisations l'ont connu, pratiqué ou cautionné, toutes. Mais après la découverte du Nouveau Monde, l'organisation de la traite a donné à ce commerce honteux, une ampleur inégalée. Fondée sur la négation de l'Autre, sur sa réduction à l'état d'objet, d'outil, de marchandise, la traite a engendré d'immenses souffrances, notamment en Afrique, dans ses peuples et chez leurs descendants, dans les lieux d'exil. La Conférence mondiale doit être l'occasion pour nous tous de le reconnaître, d'exprimer nos regrets et de nous incliner devant toutes les victimes. Et parce que leur souvenir occupe une trop faible place dans l'histoire officielle et la mémoire collective de nos pays, Durban doit vivifier l'oeuvre de mémoire. L'éducation de nos enfants doit entretenir cette histoire et je salue ici le travail précurseur engagé par l'UNESCO, avec sa "route de l'esclave".

En 1848, la République française adoptait le décret qui mit définitivement fin à l'esclavage sur l'ensemble de son territoire. Pour reprendre les mots de Victor Schoelcher, qui en fut l'instigateur, la République française "témoignait ainsi hautement qu'elle n'exclut personne de son éternelle devise : Liberté, Egalité, Fraternité".

En mai dernier, sur proposition de plusieurs de ses membres, le Parlement français a adopté à l'unanimité une loi reconnaissant que l'esclavage, la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan indien, perpétrés à partir du XVème siècle contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituaient un crime contre l'humanité. A ce jour, la France est le seul pays à avoir posé cet acte.

Mesdames, Messieurs,

Parmi les pages sombres de notre histoire commune, il y eut aussi le phénomène colonial. Inspiré d'abord par la volonté de s'approprier les richesses d'autres continents mais fondé aussi sur la domination de l'Autre, dans le cadre d'un rapport de force, ce système a engendré lui-aussi souffrances et humiliation. II est sain, il est normal, que ses victimes invisibles anonymes se rappellent aujourd'hui à notre souvenir.

Il n'est pas question de réduire la colonisation à ses seuls excès et à des atteintes systématiques à la dignité humaine. Mais ayons le courage d'assumer certaines évidences.

Oui le colonialisme a eu des effets durables sur les structures politique et économique des pays concernés. Vis à vis de ces pays qui pour beaucoup d'entre eux avaient été des victimes de la Traite, la solidarité doit s'exprimer avec une plus grande ampleur.

Parce que la misère est souvent le terreau sur lequel s'épanouit la haine, parce que les inégalités du monde portent en elles toute; les violences, la question du développement et de la lutte contre la pauvreté est à nos yeux centrale.

La coopération entre Etats - que notre Conférence vise à renforcer - est un puissant moyen d'agir sur les causes multiples des phénomènes de racisme, de discrimination et d'exclusion. Pour sa part, la France prend en compte cette dimension dans sa politique d'aide au développement, comme dans les relations confiantes qu'elle entretient, autour de projets précis, avec le HautCommissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme.

Mon pays, l'un des plus généreux parmi les membres de l'OCDE en ce qui concerne l'aide publique au développement. Mon pays entend bien conserver cette place. Et parce que notre aide doit en outre être conçue dans un esprit de partenariat, je salue la Nouvelle Initiative Africaine, engagement des pays africains à oeuvrer ensemble pour leur développement.

Mesdames, Messieurs,

II est une facette de notre histoire qui a dépassé en horreur, en ampleur, en abjection érigée en système tout ce que nous avons connu, c'est la Shoah. Nier le caractère unique de ce crime contre l'humanité serait faire insulte à ses victimes et trahir l'histoire. L'antisémitisme qui l'a engendré appelle une condamnation implacable à la moindre résurgence.

Au demeurant, comme l'a souligné Kofi ANNAN, aucune violence subie par un peuple dans son histoire proche ou ancienne ne saurait exonérer de leur responsabilité ceux qui, au nom de ce peuple, infligent. des violences à d'autres communautés.

Mais, la Shoah n'aura pas servi de leçon ultime à l'humanité. Les haines raciales ou ethniques, la peur ou le mépris de l'Autre, exploitées à des fins destructrices sont à l'origine d'autres génocides et de funestes campagnes d'épuration ethnique. Le continent africain comme les Balkans en sont hélas la douloureuse illustration.

Si la conférence de Durban parvient à amener la communauté internationale à regarder en face, de façon équilibrée, les drames de son passé, à rendre hommage aussi à toutes les victimes et à transmettre à ceux que nous représentons la volonté de lutter contre toute tentative de
résurgence de ces tragédies sous une forme ou sous une autre, alors elle aura atteint, aux yeux de la France, une part essentielle de ses objectifs.

Mesdames, Messieurs,

Si cette conférence doit exorciser le passé, c'est aussi pour mieux se tourner vers le présent et surtout vers l'avenir. La mémoire du passé conforte la lutte contre les formes contemporaines de racisme.

Dans son combat, la France s'inspire d'une philosophie universaliste qui reconnaît la personne humaine dans toute sa diversité, dans toute sa liberté, qui la respecte et protège ses droits.

Conformément aux engagement souscrits lors de la ratification de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, mon gouvernement a renforcé les moyens de prévention et de répression des phénomènes racistes et xénophobes. Une loi récente est venue accroître la protection contre la discrimination dans les domaines du logement et du travail. Un important effort est conduit en matière d'éducation et de sensibilisation des citoyens, sur la base du rapport remis chaque année au Premier Ministre par la Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme.

La société française est muticulturelle. Mon pays compte en son sein de nombreux descendants d'esclaves, notamment dans les départements et territoires d'Outre Mer. La population française est riche de sa diversité. Elle n'est pas à l'abri de comportements racistes que notre loi condamne et que notre justice réprime. Oui, cette conférence est aussi l'occasion de regarder en face notre propre société.

Mesdames, Messieurs,

La France attend de Durban la constitution de l'Alliance Universelle contre le racisme à laquelle la Présidence de l'Union Européenne nous a invité, dans un discours en tous points remarquable. Elle en attend une analyse approfondie des nouvelles formes de discrimination, elle en espère une impulsion forte pour les combattre plus efficacement.

Parmi ces nouvelles formes de discrimination, je veux cibler le détournement des nouveaux moyens de communication par ceux qui tentent de promouvoir des thèses racistes inacceptables. La communauté internationale a le devoir d'empêcher cette contamination du réseau Internet.

Les développements récents dans le domaine de la bioéthique appellent aussi à une vigilance extrême parce que l'on peut toucher ici à la nature même de chaque être humain, à travers son patrimoine génétique. Pour prévenir de tels égarements, l'Allemagne et la France proposent que la communauté internationale se dote d'un instrument contraignant interdisant le clonage a des fins de reproduction.

Enfin, l'égalité de traitement dans l'administration de la justice. C'est une question ancienne mais dont l'actualité reste brûlante. Pour nous, les discriminations observées dans ce domaine, en particulier lorsqu'il s'agit de sentences irrémédiables, comme la peine de mort, sont devenues insupportables.

Mesdames, Messieurs,

Nombreux sont ceux qui placent en nous de grandes espérances. Et d'abord les plus vulnérables, ceux qui sont victimes d'une double discrimination : les enfants et les femmes, ceux que la maladie marginalise - je songe au victimes VIH/SIDA - ceux qui souffrent d'un handicap, ceux que frappe une discrimination liée à leur seule naissance ou à leur orientation sexuelle, les réfugiés, les migrants ainsi que les victimes des trafics d'êtres humains. Je veux faire une référence particulière aux Roms et aux populations autochtones dont les Etats modernes ne savent toujours pas accepter la culture, les traditions et leur vision du monde.

Je salue le rôle des institutions Nationales des Droits de l'Homme dans la mise en oeuvre par les Etats des mesures de lutte contre la discrimination. Je veux saluer le courage et la détermination de Madame le Haut Commissaire aux Droits de l'Homme et lui dire toute mon estime. Pour leur part, les organisations non-gouvernementales, les défenseurs des droits de l'homme sont des partenaires et des acteurs essentiels dans ce combat que rejoignent les partenaires sociaux, les syndicats, les responsables économiques et patronaux, ainsi que les représentants des principaux courants religieux et philosophiques.

Ma délégation est venue à Durban avec l'engagement d'oeuvrer, dans un esprit d'ouverture et de dialogue, au succès de la Troisième Conférence Mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée. Elle participera à vos travaux de manière aussi active que constructive, confiante qu'à l'issue de notre réunion, les pays réunis dans la patrie de Nelson Mandela sauront lancer au monde un message de fraternité et d'unité, et affirmer leur volonté commune de permettre à chaque être humain de vivre dans la dignité.