CONFERENCE MONDIALE SUR LE RACISME,
LA DISCRIMINATION RACIALE, LA XENOPHOBIE ET
L'INTOLERANCE QUI Y EST ASSOCIEE

DISCOURS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU
CAP VERT, SON EXCELLENCE MR PEDRO PIRES
A LA PLENIERE

DURBAN, LE 31 août 2001



Monsieur le Président,

Messieurs les Chefs d'Etat et de Gouvernement,

Monsieur le Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies, Madame le Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l'Homme

Mesdames, Messieurs les Représentants de la société civile et Membres des ONGs,

Mesdames, Messieurs,

Permettez avant toute chose que je dise mon émotion et celle de la délégation qui m'accompagne de nous retrouver ici dans le pays de Nelson Mandela, auprès du Président Thabo Mbeki, en ce haut lieu de la lutte des peuples africains contre l'apartheid. Notre mémoire résonne encore des sévices de l'apartheid et du martyr de tous ceux qui ont préféré un destin marqué par le combat à l'enfermement d'une identité bafouée, d'une humanité niée et d'une vie sans avenir.


Permettez moi encore de saluer Madame Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations Unies pour les Droits de l'Homme, pour son engagement dans l'organisation parfaite de la présente conférence assurant ainsi les conditions de son plein succès.


Dans le contexte de cette Conférence et dans la perspective d'une Déclaration et d'un Programme d'action susceptibles d'être adoptés et appliqués par tous, il nous semble opportun de nous remémorer l'expérience de l'Afrique du Sud, notamment en ce qui touche à son évolution" récente. Nous pensons qu'une telle expérience devrait mériter une réflexion approfondie de l'ensemble des délégations présentes.


Le combat contre la ségrégation raciale institutionnalisée a constitué une geste victorieuse. Non pas seulement pour le peuple sud africain, sa victime immédiate, mais encore pour l'humanité. La lutte contre l'apartheid a réuni des personnalités, des organisations non gouvernementales, des sensibilités d'opinion diverses ,des confessions religieuses, des partis et des Etats de tous les continents. Si le régime

de l'apartheid était un régime d'exclusion et de terreur, son démontage a été a l'inverse mobilisateur, intégrateur, et générateur d'une chaîne immense de solidarité. Elle nous a donne sans aucun doute une bonne leçon de globalisation. La globalisation de la solidarité. La raison en est que ce qui était en cause étaient des valeurs de civilisation qui ont a voir avec le dignité de la personne humaine. En ce sens, la contribution du pays qui accueille cette conférence a été fondamentale dans l'approfondissement de la conscience de l'inadmissibilité du racisme.


Si le régime de ségrégation raciale se reproduisait par l'utilisation systématique de la violence, une violence extrême, le processus qui conduisit a son abolition a fait appel, au contraire, à la négociation et au dialogue. Les combattants de la liberté ont su faire de leurs ennemis historiques des partenaires pour la construction d'un futur commun. Ceci constitue un fait aussi extraordinaire qu'exemplaire. L'Afrique du Sud a pu ainsi grâce à la sagesse et à l'action visionnaire de ses élites politiques, donner au monde une démonstration claire d'engagement politique dans la construction de relations multiraciales et multiculturelles.


Mesdames, Messieurs,


Malgré les conquêtes auxquelles nous sommes parvenus et des exemples encourageants il nous faut continuer â approfondir la lutte anti-raciste. Nous estimons qu'il existe encore un intolérable déficit entre les principes non racistes proclamés et la réalité des faits racistes qui marquent le quotidien.


Mon pays a des raisons à suffisance qui motivent son engagement dans cette lutte. En premier lieu, je dois dire que leur expérience historique a rendu les Capverdiens sensibles au thème de cette conférence. C'est le territoire des îles du Cap Vert qui a servi de terrain d'expérimentation au modèle de société connu en sociologie de l'histoire, sous le nom de société esclavagiste. La couleur de la peau tenait lieu de ligne de démarcation sociale. Le racisme surgit dans ce contexte comme un principe d'organisation de la société. Cependant l'intense exploitation qu'aussi bien les maîtres blancs que les

compagnies métropolitaines ont réalisé dans les îles ont provoqué la rupture des fragiles équilibres écologiques existants. C'est alors que survinrent les cycles de sécheresse, de plus en plus virulents qui ont ruiné les bases économiques de la classe esclavagiste créole et permis l'émergence, dans des conditions pénibles du paysannat composé d'esclaves marrons, des esclaves libérés et des métis. Ce sont là les fondements de la gestation du peuple capverdien. Ce processus multiséculaire a conduit au démontage du racisme, en tant que principe de stratification sociale. La plus grande richesse que nous a légué l'histoire, ce dont nous avons conscience et sommes fiers, est une société ou les tensions raciales sont inexistantes.


Notre expérience nous amène à penser que les séquelles racistes, encore présentes dans bien des sociétés post esclavagistes, ne sauraient être perçues comme des faits normaux et spontanés dont il faudrait s'attendre qu'ils disparaissent d'eux mêmes, dans un futur plus ou moins lointain. A notre avis, le racisme et l'exclusion hérités du passé esclavagiste et colonial ne pourront disparaître que si leur élimination devenait une cause d'Etat et de société.


La seconde raison de l'adhésion de mon pays à ce combat réside dans le fait que nous sommes un peuple de diaspora. Les émigrants capverdiens, en nombre supérieur à ceux résidant sur le territoire national sont constamment confrontés dans leur quotidien avec diverses formes de discrimination, lesquelles vont de la discrimination institutionnelle, à l'exclusion sociale, économique et culturelle.


Mesdames, Messieurs,


La déclaration qui nous est présentée ainsi que les recommandations qui y sont attachées sont le fruit d'une longue maturation politique et diplomatique et ont fait l'objet depuis quelque temps déjà, de débats amples et participatifs et de négociations ardues.


Une grande majorité de Nations appuie ce consensus qui ne représente rien moins que le niveau de la conscience actuelle du monde des problèmes et des conséquences du racisme. Il est regrettable que tous les membres des Nations Unies n'aient pas pu adhérer à ce texte avant

la présente assise. Nous sommes convaincus, cependant, que les avancées constatées au cours des négociations seront à même de permettre aux uns et aux autres de trouver les lignes de convergences nécessaires sur des questions aussi fondamentales pour le devenir des nations et de leurs relations au sein de la communauté internationale.


En ce qui concerne le crime contre l'humanité qu'a constitué l'esclavage et le trafic des esclaves, notre position est que le devoir de mémoire et de réparation fait sens. Mais cette exigence de réparation ne saurait être interprétée ni de façon unilatérale, ni de façon littérale. Il ne s'agit pas de situer des responsabilités précises, ni de réclamer des comptes impossibles à chiffrer. Qui pourrait évaluer l'aliénation ou les blessures de l'âme qui se cachent dans les recoins obscurs de l'inconscient après des siècles de vie subalterne et d'auto dévalorisation ? Il s'agit, en réalité d'admettre un fait historique et les conséquences néfastes de ce fait, pour tous ceux qui en furent victimes. Cette réparation doit être perçue aujourd'hui comme une action de compensation solidaire et volontaire, visant le bien être général, la paix et le progrès global. Une telle compensation pourrait se manifester à travers un soutien concret au développement du continent africain, évitant sa marginalisation et contribuant de manière favorable à son intégration dans l'économie mondiale. Ces mesures sont en accord avec les idées de justice, de démocratie et de solidarité qui constituent autant de valeurs, essentielles du reste, pour le monde plus humain que nous souhaitons tous construire.


Mesdames, Messieurs,


La question qui se pose aujourd'hui aux peuples et aux Nations est celle du futur de l'humanité. Quelle globalisation pour quel futur ? Allons nous maintenir l'homme comme le but final de ce processus? Le monde de demain sera-t-il façonné par quelques-uns au détriment du plus grand nombre ou sera t-il l'œuvre de tous y compris des minorités aujourd'hui ignorées?


Un proverbe de notre région Ouest africaine dit que «l'Homme est le remède de l'Homme». Vieille sagesse africaine qui fait que nous ne saurions désespérer! Nous croyons donc que l'Homme saura trouver les

les solutions aux énigmes de notre temps. Solutions qui requièrent le concours de tous les habitants de l'immensité de notre maison commune. Martin Luther King dans son historique marche sur Washington D.C avait proclame qu'il rêvait d'un monde d'hommes et de femmes construisant l'avenir sans distinction de couleur, de race ou de religion. Il nous appartient de faire aujourd'hui de ce rêve, de cette utopie généreuse, une réalité.


Mesdames, Messieurs,


Notre combat commun doit ainsi annoncer un nouvel humanisme fondé sur une universalité plurielle sous-tendue par la liberté, l'égalité et la diversité des êtres humains et des peuples dont les valeurs essentielles seraient l'unité et la solidarité humaines.


Je vous remercie de votre attention !